Les élections du 3 avril 2022 ont vu un triomphe du Fidesz de Viktor Orbán au pouvoir depuis douze ans. Avec 54% des voix (contre 34% à l’opposition unie de six partis, des anciens communistes aux anciens nazis du Jobbik), le Fidesz conserve sa majorité constitutionnelle des 2/3 des sièges au Parlement monocaméral, alors que des dissidents du Jobbik (Mi Hazànk) remportent six sièges. Ces élections ont été décrites sans raison comme manipulées du Monde au New York Times en passant par la plupart des télévisions françaises. Le rapport qui suit rétablit les choses d’une manière plus mesurée.
Une délégation de l’Ojim en Hongrie avant et pendant les élections
À l’invitation de la Fondation pour un journalisme transparent (Transzparens Újságírásért Alapítvány), l’Observatoire du journalisme (Ojim) a participé à une commission de contrôle des élections hongroises avec une délégation de trois personnes en tant qu’observateurs électoraux accrédités. En collaboration avec notre organisation partenaire (la Fondation pour un journalisme transparent), nous avons activement participé aux travaux de la délégation d’observation des médias pour les élections législatives (49 personnes venues de dix pays différents) Nous avons également fait un certain nombre de constatations intermédiaires au cours de la semaine électorale, qui ont été régulièrement rapportées dans les médias nationaux.
Un travail centré sur la liberté d’expression des médias
Pour la France, Claude Chollet, Andréas Bild et Thibault Mercier, en coopération avec des professionnels des médias hongrois, ont pu observer les processus médiatiques et les aspects politiques des élections hongroises et surveiller l’équité des élections en tant qu’observateurs électoraux accrédités. Le personnel hongrois nous a aidés à obtenir autant d’informations que possible sur les médias hongrois et sur le processus électoral, ainsi qu’à construire une image plus complexe et plus juste des élections législatives hongroises de 2022.
Rencontres avec les principaux acteurs
Le rapport examine principalement la situation des médias en Hongrie dans le contexte des élections, avec un accent particulier sur la période de la campagne électorale elle-même (50 jours avant le scrutin), mais aussi sur la période précédant immédiatement les élections. Nous avons suivi les événements affectant les médias pendant la période électorale, participé à des réunions avec des représentants d’institutions jouant un rôle important dans le processus électoral (cour constitutionnelle, cour des comptes etc) et invité d’importants médias à nous nous rencontrer lors d’un entretien sur leur politique éditoriale.
La délégation a eu l’occasion d’engager une discussion de fond avec des éditeurs de différentes écoles de pensée et de valeurs. Du côté critique du gouvernement comme du côté pro-gouvernemental.
Une élection démocratique
Principales conclusions de la Délégation de surveillance des médias électoraux :
- Les élections hongroises se sont déroulées sans perturbations majeures. En tant qu’observateurs électoraux accrédités, les membres de la délégation n’ont relevé aucune anomalie électorale dans les bureaux de vote où l’élection s’est tenue de manière paisible.
- La grande majorité des médias hongrois présentent une coloration politique affirmée, soit en accord avec les objectifs politiques de l’opposition, soit en faveur du parti au pouvoir. Ceci d’une manière relativement équilibrée entre les deux camps sur le plan des rapports de force dans les médias.
- Les électeurs hongrois ont eu l’occasion en toute liberté de recueillir des informations sur la politique par plusieurs canaux différents, à partir de nombreuses plateformes différentes, que ce soit à la télévision, sur papier ou en ligne. La télévision d’État a sans aucun doute favorisé le parti au pouvoir, mais les principales chaînes privées sont favorables à l’opposition.
- Il s’est avéré faux que les messages de l’opposition n’aient pas pu atteindre l’électorat général. Sur les réseaux sociaux, les plateformes liées au pro-opposition DatAdat (agence de l’opposition basée à l’étranger sous couvert d’ONG) ont dépensé plus au cours des 30 derniers jours de l’élection que son opposant Megafon, qui promeut le récit pro-gouvernemental.
- Les médias les plus lus ont été polarisés selon des lignes politiques opposées au cours de la dernière semaine de la campagne électorale. La plupart des médias ont fait peu ou pas d’efforts pour présenter une diversité d’opinions, s’engageant dans un camp ou dans l’autre.
- De nouvelles techniques politiques sont apparues pour influencer les élections par le biais des médias (parfois de l’étranger dans le cas de l’opposition).
Les réseaux sociaux en faveur de l’opposition
- Dans le monde des médias sociaux, la transparence des campagnes électorales n’a pas été respectée. De nombreux produits de propagande qui apparaissent comme des médias ont publié des contenus sans financement transparent. De plus, les publicités sur ces plateformes ne révèlent pas exactement qui les finance. Les plateformes liées à DatAdat, qui soutient l’opposition, en sont un exemple.
- Faire campagne avec de fausses nouvelles dans les médias est devenu une pratique courante. Dans de nombreux cas, cela se produit par l’utilisation de faux profils Facebook ou de plateformes médiatiques jusque-là inconnues pour atteindre les électeurs.
- Des bulletins de l’opposition auraient été brûlés en Transcarpathie comme l’a révélé le site d’opposition Telex. Le « cas Télex » pourrait provenir de fausses informations politiques présumées et nécessite une enquête plus approfondie ; en effet, l’historique de l’URL de l’article de Télex sur les bulletins de vote brûlés, paru fin mars quelques jours avant le vote, indique une date de rédaction tout début février. Le directeur de Telex, Szabolcs Dull, a expliqué que la date de l’URL était due à une erreur technique, ce qui reste à vérifier.
- Les discussions de fond ont également révélé que Facebook restreignait ou censurait constamment les articles publiés par les médias sur Facebook, par la pratique du shadow banning en particulier sur les sites pro-gouvernement. Il est donc difficile pour les citoyens d’avoir accès à des opinions différentes sur un sujet donné sur ce réseau social favorable à l’opposition et utilisé massivement en Hongrie avec plus de 5 millions de comptes pour moins de 10 millions d’habitants.
- Outre la pratique susmentionnée, le blocage total de la page du parti « Mi Hazánk » (parti nationaliste) par Facebook six jours avant le vote peut être considéré comme une ingérence étrangère, causant de graves dommages au parti en question qui a malgré tout réussi à être représenté au Parlement avec 6 députés mais qui aurait peut-être pu en obtenir plus sans cette action du réseau social.
- Selon les médias publics favorables au gouvernement, tous les partis n’ont pas profité des messages publicitaires gratuits de 80 minutes qu’ils ont proposés, même si chaque parti ou alliance de partis sur la liste a bénéficié d’une présentation de 5 minutes. Les médias publics ont déclaré vouloir donner plus d’espace aux débats politiques contradictoires, mais il n’y a pas eu d’ouverture sur ce format de la part des partis politiques ni d’un côté ni de l’autre.
Conclusion
Aucune démocratie n’est parfaite, ainsi la campagne électorale en cours en France indique que les médias publics soutiennent massivement la réélection du président sortant. Il en est de même de la majorité des médias privés mainstream. Peut-on dire pour autant que l’élection française est non démocratique ? La campagne électorale en Hongrie nous a semblé in fine plus équilibrée qu’en France, avec des médias très engagés mais dans une ambiance respectant mieux le pluralisme. Aucun journaliste hongrois n’est en prison pour ses prises de position, l’opposition domine sur les réseaux sociaux alors que la presse écrite est favorable au gouvernement Fidesz. Les bulletins de vote des partis sont bien en place dans les bureaux de votes et les assesseurs des deux coalitions contrôlent le dépouillement. La victoire du Fidesz est nette et due aussi bien aux succès économiques du parti au pouvoir qu’aux erreurs de l’opposition dont le leader a été battu dans son fief. Nous y reviendrons.
Claude Chollet
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Pour mémoire composition du Parlement monocaméral hongrois après les élections
199 sièges répartis comme suit :
- Fidesz 135
- Opposition unie 57
- DK (eurofédéralistes, dirigé par l’ancien PM Ferenc Gyurcsány) 15
- Momentum (LREM hongrois) 11
- Jobbik (ex néo-nazis) 9
- MSZP (PS ex communistes) 9
- Párbeszéd (pastèques libérales) 7
- LMP (Verts sur le déclin) 4
- Div 2
- Mi Hazánk (nationalistes) 6
- Et un député de la minorité ethnique allemande