Quand Soros affirmait qu’il se désintéressait de l’Europe, c’était en réalité pour mieux s’intéresser à l’Europe centrale et orientale, et notamment à la Pologne, à la Hongrie et à l’Ukraine. Ce n’est pas uniquement Alex Soros, fils de George Soros et président l’Open Society Foundations (OSF), qui l’a dit ouvertement dans un article publié le 31 août sur Politico, mais c’est ce que les Polonais constatent à l’approche de leurs élections législatives le 15 octobre prochain.
Soros en couverture
L’hebdomadaire conservateur polonais Sieci en a même fait son sujet de couverture dans son numéro du 4–10 septembre 2023, avec notamment George Soros en couverture et en gros titre « L’argent étranger dans la campagne polonaise », puis en sous-titre : « Une organisation gauchiste américaine pompe d’énorme sommes d’argent qui doivent aider l’opposition à prendre le pouvoir ».
L’Open Society reste bien active en Pologne
L’Observatoire du Journalisme le remarquait déjà dans cet article publié le 1er septembre : « Soros va-t-il sortir d’Europe ? Une réponse nuancée » : la société néerlandaise Pluralis B.V., qui compte des fonds sorosiens (dont le Media Development Investment Fund) parmi ses principaux actionnaires, venait de prendre le contrôle du groupe de presse polonais Gremi Media, propriétaire notamment du prestigieux quotidien Rzeczpospolita et du journal financier Parkiet. Rzeczpospolita est classé parmi les médias polonais les plus influents en termes de citations dans d’autres médias. C’était même le plus influent, tous médias confondus, dans le classement de juin dernier.
Pluralis B.V. était entrée au capital de Gremi Media en décembre 2021. Voir à ce sujet, sur l’Observatoire du Journalisme : « Soros étend encore son influence dans les médias polonais » (publié le 20 février 2022).
À la fin du mois d’août 2023, Pluralis a racheté des parts au fonds KCI du Polonais Grzegorz Hajdarowicz (qui avait jusqu’ici le contrôle de Gremi Media) et a ainsi momentanément pris le contrôle du groupe de presse polonais, suscitant de nombreuses réactions négatives dans le camp conservateur polonais. Pluralis avait acquis le droit de racheter ces parts dans le cadre de la transaction de 2021 qui comportait une option d’achat supplémentaire.
En réaction à cette transaction, la chaîne d’information de la télévision publique, TVP Info, affichait un bandeau avec la question « Les Allemands et Soros veulent influer sur le résultat des élections en Pologne ? » Au printemps, une opération de crowdfunding en Allemagne avait en effet déjà fait hurler les conservateurs polonais, comme signalé dans notre article « Crowdfunding en Allemagne pour aider Soros à financer les médias libéraux en Pologne » (publié le 14 juin 2023).
Un hongrois hostile à Orban comme intermédiaire
On apprenait cependant une semaine après la prise de contrôle de Gremi Media par Pluralis B.V. que cette société de la nébuleuse Soros avait justement revendu ses nouvelles parts à un milliardaire hongrois, Zoltán Varga. Pluralis ne peut donc plus prendre seule les décisions pour Gremi Media. Ainsi, il semblerait que cette société sorosienne ait uniquement servi d’intermédiaire en exerçant son option d’achat sur les parts de KCI afin de permettre à ce Hongrois d’entrer au capital du propriétaire du prestigieux quotidien Rzeczpospolita.
L’homme d’affaires hongrois Zoltán Varga a une forte présence dans les médias de son pays depuis qu’il a racheté en 2015 la branche hongroise d’un groupe médiatique finlandais, Sanoma Media (une branche hongroise rebaptisée depuis Central Médiacsoport Zrt). Aujourd’hui, son média le plus connu, c’est le site Internet 24.hu. Un site qui, comme les autres médias de Varga, présente une ligne éditoriale très marquée à gauche et très critique des gouvernements conservateurs de Viktor Orbán.
Cet homme d’affaires, dont la richesse compte parmi les 50 plus grandes fortunes de Hongrie, s’est d’ailleurs plaint à Politico en décembre dernier que ses problèmes avec le fisc hongrois seraient liés à la volonté de Viktor Orbán de faire taire ses médias.
Le baron rouge à la manœuvre
Après son rachat de parts du groupe polonais Gremi Media auprès de Pluralis B.V., le grand quotidien conservateur hongrois Magyar Nemzet titrait « György Soros et Zoltán Varga sont désormais partenaires en affaires, le “baron rouge” s’intéresse à plusieurs médias de gauche ». Cet article reprenait les informations d’un article du site conservateur Origo.hu intitulé : « Zoltán Varga, baron rouge et propriétaire de médias de gauche, est devenu un partenaire commercial de George Soros. »
Commentaire de Csaba Faragó, chef du département international du groupe de réflexion et institut de sondage conservateur hongrois Százádvég, contacté à ce sujet par l’Observatoire du Journalisme :
« [Ils disent] qu’ils n’interviendront pas dans la création et la réalisation du contenu de Rzeczpospolita. Ils utilisent toujours la même rhétorique. M. Varga avait également déclaré, lorsqu’il était devenu président du conseil d’administration de 24.hu, qu’il ne voudrait jamais de sa vie intervenir dans le travail de l’équipe éditoriale. Pourtant, on a vite constaté qu’ils devenaient de plus en plus sévères à l’égard des conservateurs et plus gaucho-libéraux au fil du temps, après leur acquisition par Zoltán Varga. »
Pour les médias hongrois, ces transactions concernant le propriétaire du quotidien polonais Rzeczpospolita sont une action concertée et ce n’est pas la seule opération de la nébuleuse sorosienne à l’approche des élections polonaises. Le but est évidemment de faire gagner les libéraux et la gauche aux élections du 15 octobre en Pologne, alors que les sondages ne donnent pas cette fois une majorité absolue à la coalition de droite conduite par le parti Droit et Justice (PiS).
Les américains en renfort
« Le réseau Soros se prépare à la bataille de Varsovie », titrait le 14 juillet le quotidien Magyar Nemzet, en référence à l’activisme de l’organisation américaine Action for Democracy, liée non seulement aux réseaux Soros (ne serait-ce qu’au travers des membres de son conseil d’administration) mais aussi, selon ses détracteurs, à l’organisation National Endowment for Democracy dont on dit qu’elle sert habituellement de couverture à des opérations de la CIA. Un autre article du Magyar Nemzet publié la veille portait le titre évocateur : « Ils ont échoué en Hongrie, ils s’attaquent maintenant à la Pologne. »
Action for Democracy est au centre d’une enquête en Hongrie, et aussi d’un rapport parlementaire publié en décembre 2022, depuis qu’il est apparu que cette organisation avait contribué avec un financement très conséquent et sans doute illégal à la campagne du candidat unique de l’opposition au poste de premier ministre, Péter Márki-Zay, à l’approche des élections hongroises d’avril 2022.
Sur son site Internet, Action for Democracy énumère ses « champs de bataille » (sic.) : Brésil, Italie, Hongrie et Pologne. Après son échec en Hongrie l’année dernière, affirment les médias conservateurs polonais et hongrois, cette organisation américaine concentre désormais toute son attention sur les élections polonaises.