« L’oiseau est libéré », tweetait Elon Musk, le nouveau propriétaire du média social Twitter, le 28 octobre, au lendemain de la finalisation de son acquisition à 44 milliards de dollars. Il venait déjà de mettre à la porte Parag Agrawal, le PDG qui avait succédé à Jack Dorsey, ainsi que le directeur financier Ned Segal et encore Vijaya Gadde, la directrice juridique également « responsable politique et confiance » de Twitter, surnommée « la reine de la censure » par le site d’information conservateur Breitbart qui évoque « sa campagne de censure gauchiste fanatique ».
L’UE surveille l’oiseau
« En Europe, l’oiseau volera en suivant nos règles », lui a répondu le même jour le Français Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur. Breton a fait suivre sa déclaration du tag #DSA, pour « Digital Service Act », l’instrument mis en place au niveau de l’UE pour « réguler » (ou censurer le cas échéant) les contenus publiés et diffusés sur Internet.
Le milliardaire américain d’origine sud-africaine Elon Musk, fondateur et PDG, entre autres, de SpaceX et aussi PDG de Tesla, dit de lui-même qu’il est un « absolutiste de la liberté d’expression », et il avait fait de l’acquisition de Twitter et de la levée de la censure qui pesait sur ce réseau social une question de défense de notre civilisation. Quand le président des États-Unis Donald Trump avait été banni de la plateforme alors dirigée par Jack Dorsey, Musk avait tweeté : « Beaucoup de gens vont être super-mécontents avec la High Tech de la Côte Ouest comme arbitre de fait de la liberté d’expression. » Et il avait aussi tweeté en avril, au moment de l’annonce de son OPA sur Twitter : « J’espère que même mes pires détracteurs resteront sur Twitter, car c’est ce que signifie la liberté d’expression. »
De la censure à la modération
L’objectif avoué d’Elon Musk est donc de cesser de transformer la modération en censure sur Twitter et de s’opposer à la fragmentation de l’Internet en espaces réservés aux commentateurs de gauche en repoussant les commentateurs de droite dans d’autres espaces réservés moins mainstream.
Cherchant à prévenir les craintes des annonceurs publicitaires qui font vivre Twitter, le milliardaire a toutefois bien précisé qu’il n’était pas question de transformer le réseau social en « paysage infernal où tout est permis ». Il a d’ailleurs indiqué le 2 novembre que Twitter ne rétablirait pas les comptes bannis avant plusieurs semaines, ce qui veut dire, remarquait le Washington Post ce jour-là, que Donald Trump ne pourra pas redevenir actif sur Twitter avant les élections de mi-mandat qui se dérouleront le 8 novembre. Après avoir mis à la porte la direction du média social californien dès son arrivée, Musk veut créer un nouveau « conseil de la modération » qui sera chargé de mettre en place une politique de modération plus transparente. Et ce n’est qu’une fois le nouveau système en place que les utilisateurs jusqu’ici bannis à vie pourront éventuellement revenir.
Le camp du Bien réplique
Le très anti-Trump Washington Post indique aussi dans le même article que 50 organisations ont déjà envoyé une lettre aux plus gros annonceurs publicitaires de Twitter pour leur demander de retirer leurs publicités si Elon Musk « met en œuvre ses plans visant à saper la sécurité de la marque et les normes de la communauté, notamment en supprimant la modération du contenu ». « Non seulement les extrémistes se réjouissent de la prise de contrôle de Twitter par Musk, mais ils y voient une nouvelle occasion de publier les propos et les images les plus injurieux, diffamatoires et racistes. », auraient écrit les auteurs de cette lettre selon le Washington Post. Or le futur conseil de la modération annoncé par Elon Musk présentera « des points de vue très divers », ce qui ne plaira pas forcément à la multitude d’associations et autres organisations de gauche toujours actives pour faire pression sur les marques afin qu’elles retirent leurs publicité des sites conservateurs.
GM en retrait
Déjà, le groupe General Motors a annoncé la suspension de ses publicités sur Twitter. « Nous discutons avec Twitter pour comprendre la direction de la plateforme sous son nouveau propriétaire », a indiqué le groupe dans un message transmis à l’AFP. « Comme il est normal de le faire lors d’un changement important sur une plateforme de médias, nous avons temporairement suspendu notre publicité payante »… sans oublie que GM est un concurrent de Tesla de Musk…
S’il est partisan de la liberté d’expression, l’acheteur de Twitter va donc devoir ménager ses annonceurs. Ainsi que le faisait remarquer le New York Times le 31 octobre, « M. Musk, qui a grevé Twitter d’une dette de 13 milliards de dollars pour son rachat, doit faire face à la pression financière pour redresser l’entreprise afin de pouvoir payer les intérêts – environ 1 milliard de dollars par an – sur la dette. Ce sera un défi. Twitter n’a pas réalisé de bénéfices pendant huit des dix dernières années, et l’ensemble du marché de la publicité numérique est frappé par les craintes pesant sur l’économie mondiale. »
C’est d’ailleurs pour éviter les « parachutes dorés » (un total d’environ 90 millions de dollars US pour quatre dirigeants remerciés) qu’Elon Musk aurait viré les dirigeants de la compagnie à l’oiseau bleu « pour justes motifs », ce qui laisse présager des suites judiciaires à ces renvois.
Certification payante
D’où également l’annonce du lancement d’un abonnement à 8 dollars par mois (aux USA, le prix devant être ajusté en fonction des pays) pour avoir un compte certifié sur Twitter avec un petit badge bleu confirmant l’identité du propriétaire du compte et d’autres avantages. Pour le moment, ce badge « indique aux utilisateurs l’authenticité d’un compte d’intérêt public » et est réservé aux comptes qui sont « authentiques, notoires et actifs ». En le rendant payant, Elon Musk estime le démocratiser puisqu’il sera accessible à tout le monde. « Le système actuel de seigneurs et de paysans pour qui a ou non une coche bleue est une connerie. Le pouvoir au peuple ! », a‑t-il tweeté le 1er novembre.
Il s’est aussi dit que Musk prévoyait de se débarrasser des trois quarts des quelque 7500 personnes travaillant aujourd’hui chez Twitter, mais cette information a été démentie par l’intéressé qui prévoit bien, néanmoins, de procéder à des coupes claires dans le personnel, et pas que dans les instances dirigeantes.
Ce rachat du média social Twitter par un milliardaire très critique de la censure politique et idéologique imposée par les médias sociaux est intervenu alors qu’un sondage New York Times/Siena venait de révéler qu’une majorité d’Américains considèrent leurs grands médias classiques comme étant aujourd’hui « une menace majeure pour la démocratie ». À suivre…