Année 1988. Personne n’a encore entendu parler de la chute du mur de Berlin ni même des accords de la table ronde en Pologne, entre le régime du général Jaruzelski et le syndicat Solidarité.
Les habitants de la chambre 217 du collège universitaire de droit de la rue Ménesi à Budapest – Áder, Kövér et Orbán, qui occupent aujourd’hui respectivement les fonctions de président de la République hongroise, président du parlement et premier ministre – passent leur temps libre à jouer au foot et à discuter devant une bière des chances de pouvoir créer un parti politique non communiste. Au même moment, une équipe spéciale au sein du Comité central du parti communiste MSzMP élabore différents scénarios de « transition en douceur » du totalitarisme à la démocratie. Un des points clés de cette transition s’avère être le quatrième pouvoir, c’est-à-dire les médias. Il est décidé de vendre discrètement les médias au capital étranger, principalement autrichien et allemand, afin d’empêcher qu’ils tombent entre les mains des forces anticommunistes. La privatisation commence par les journaux régionaux, et l’opération est ensuite couronnée par la vente du plus important quotidien communiste, Népszabadág, au groupe médiatique allemand Bertelesmann. Mais il y a une condition : le rédacteur en chef et les responsables des différents services doivent rester en place pendant au moins cinq ans.
De fait, le premier gouvernement non communiste en Hongrie, qui arrive au pouvoir au printemps 1990 après les premières élections démocratiques depuis un demi-siècle, se retrouve tout de suite en mauvaise posture dans les médias. Au fil des années, le Népszabadság conserve un tirage supérieur à celui de tous les autres quotidiens hongrois pris dans leur ensemble. La situation est la même sur le marché des hebdomadaires fortement dominé par la revue postcommuniste HVG. Le monopole des postcommunistes dans les médias finit par mettre en rage les Hongrois qui en ont assez de la propagande gaucho-libertaire et pro-gouvernementale. En 2006, la foule en colère prend d’assaut et incendie le siège de la télévision publique MTV. C’est la seule fois où c’est arrivé en Europe centrale après 1989. La petite chaîne privée de télévision câblée HirTV est la seule à transmettre l’événement. À cause de cela, elle est accusée par le vice-premier ministre István Hiller de terrorisme et d’avoir organisé les troubles sociaux, ce qui manque de lui coûter sa concession.
L’année 2006 marque en fait l’apogée des gouvernements postcommunistes et des médias gaucho-libertaires qui les soutiennent. En novembre 2006, le quotidien gaucho-libertaire Magyar Hirlap est racheté par l’homme d’affaire Gábor Széles, ami de Viktor Orbán, qui transforme complètement le profil de ce journal. Peu après, la domination de l’hebdomadaire HVG est défiée par l’hebdomadaire conservateur Heti Válasz. La nouvelle loi sur les médias de 2011 fait le reste en limitant les possibilités de concentration des médias entre les mêmes mains, et en garantissant des financements suffisants aux médias publics (radio et télévision) grâce aux subventions budgétaires (100 Mds Ft, soit environ 350 Mios €) et à la publicité. Aujourd’hui, la chaîne publique d’information en continu MTV1 est une des meilleures en Europe. Elle le doit aussi à son important réseau de correspondants dans des capitales comme Paris, Bruxelles, Londres, Damas, Bagdad, etc. La réussite de la chaîne est également due à de nouvelles formules comme ces nouvelles d’une minute très bien préparées et répétées tous les quarts d’heure. Ainsi, dans le temps qu’il faut pour nouer sa cravate, on entend sous forme condensée les 3 ou 4 actualités les plus importantes de la journée sans avoir à lire du texte qui défile à l’écran.
Mais contrairement à ce qui a été dit il y a quelques années, il n’y a pas eu de censure gouvernementale après l’arrivée du Fidesz au pouvoir en 2010. Ce sont même toujours les médias tendance gauche libertaire qui dominent, ce que confirment les rapports du think tank Mertek Muhely pourtant hostile au gouvernement d’Orbán. Sur Internet, ce sont les sites Origo et Index qui sont leaders, dans la presse imprimée, c’est toujours Népszabadság et HVG, et à la télévision c’est RTL. Néanmoins, ce n’est plus une domination absolue grâce à l’apparition de médias conservateurs qui prospèrent, comme les quotidiens Magyar Nemzet et Magyar Idök (n° 2 et 3 sur le marché de la presse quotidienne), l’hebdomadaire Heti Válasz (n° 2 de la presse hebdomadaire) déjà mentionné, ainsi que plusieurs chaînes de télévision publiques et privées (MTV1, MTV2, Duna, Duna World…). Ainsi, le pluralisme des opinions est plus ou moins assuré et la qualité du débat politique ne s’en porte que mieux. Car au final dans une démocratie, le citoyen moyen ne vote pas tant pour un homme politique ou un parti que pour l’image qui en est donnée par les médias.
De notre correspondant à Budapest
Crédit photo : Moyan Brenn via Flickr (cc)