Le Figaro Magazine du 24 octobre 2021 a publié une longue enquête, signée de trois journalistes chevronnés, sur un phénomène connu depuis longtemps mais rarement évoqué dans la presse nationale, celui de la prégnance absolue des idées du monde libéral libertaire dans le secteur public audio-visuel : Radio France et France Télévisions. Une situation souvent étudiée par l’Ojim. Nous livrons un extrait de cette enquête exemplaire, qui fourmille d’exemples, sans commentaires, une semaine après sa parution. Le texte complet se retrouve sur Le Figaro Magazine et en digital sur le site du Figaro.
ENQUÊTE — Une propagande insidieuse se déverse, au fil des programmes de France Inter, Info, Culture et des émissions politiques de France Télévisions, sur les électeurs français. Aux frais du contribuable.
Il est 7h, le 8 octobre. La Pologne vient de défier l’Union européenne et le sommet Afrique-France commence, mais le journal de France Inter ouvre sur une information « édifiante » et « exclusive » : une agence d’intérim sur deux accepterait les demandes des entrepreneurs du BTP de leur fournir de la main‑d’œuvre « de type européen ». Le testing « inédit » réalisé par SOS-Racisme — via seulement 69 appels téléphoniques — est présenté sans contradicteur, ni mise en perspective. La journée commence bien.
Vient ensuite le catéchisme de Thomas Legrand sur la lutte contre le dérèglement climatique, domaine dans lequel France Inter rivalise parfois d’intransigeance avec Greta Thunberg. Le chroniqueur politique dresse la liste des 11 arguments « qui fleurent bon ce poison de la pensée » qu’est, selon lui, « le bon sens » : « Ils ont tous un petit morceau de pertinence », mais viseraient surtout à « nous autoconvaincre que ce serait mieux de ne rien faire » . Ne pas dire, donc, que l’empreinte carbone de la France est « ridicule » comparée à celle de l’Inde, de la Chine et des États-Unis. Ni que « la technologie nous sauvera » et que la décroissance serait économiquement et socialement insoutenable, surtout pour les plus pauvres. Ne jamais parler d’ « écologie punitive » car ce qui est bon pour la planète ne saurait être une punition. Dans l’audiovisuel public, on adore dresser des listes mais là, l’éditorialiste a simplement repris celle établie par la revue scientifique de l’université de Cambridge et adoubée par le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Amen !
Campagne oblige, en cette rentrée, sur les cent vingt minutes de matinale quotidienne, trois minutes de chronique ont été accordées à nos confrères Alexandre Devecchio (Le Figaro et Le Figaro Magazine), Natacha Polony (Marianne et BFMTV) ou Étienne Gernelle (Le Point). Trois fois trois minutes par semaine, tout au plus, pour écouter autre chose que la pensée dominante : cela équivaut à moins de 2 % du temps d’antenne hebdomadaire entre 7h et 9h. La séquence où ils interviennent est intitulée « en toute subjectivité », pour rassurer la Société des journalistes de France Inter, qui s’est émue du choc culturel infligé !
Réunissant près de 15 millions d’auditeurs chaque jour, en audience cumulée, les radios du service public teintent le débat national. Elles le font avec le budget colossal de 600 millions d’euros, le déploiement d’une quantité inégalée d’émetteurs sur tout le territoire et presque sans publicité, ce qui garantit un confort d’écoute que la concurrence leur envie.
Histoires édifiantes
En charge de la revue de presse matinale de France Inter, du lundi au vendredi, suivie par près de 2 millions d’auditeurs depuis 2017, Claude Askolovitch officie sur l’antenne publique Arte. Le soir, dans « 28 Minutes », il raconte des histoires édifiantes, comme celle, le 8 octobre, du boulanger Makram Akrout, lauréat du grand prix de la baguette de tradition française. La récompense : 4000 euros et le titre de fournisseur officiel de l’Élysée, pour un an. Ce gagnant a tout pour plaire à l’auteur de Nos mal-aimés, ces musulmans dont la France ne veut pas . Pensez, « un boulanger, fils de boulanger, venu de Tunisie, clandestinement d’abord, pour gagner son pain et qui avait conquis sa citoyenneté et nos palais » !
Las, des internautes arabophones déterrent sur le compte Facebook du gentil boulanger des partages de messages au fort relent islamiste. L’Élysée ne veut plus de son pain, au grand dam du chroniqueur de France Inter. « Makram, c’est vrai, relayait parfois des messages assez idiots, énervés, venus d’autres profils » reconnaît-il, mais puisqu’il n’y avait « pas d’appel au djihad ou au meurtre » pourquoi s’émouvoir de ce qu’il considère comme de simples manifestations de « mauvaise humeur » ? Morale de l’histoire, selon Claude Askolovitch : « L’idée que nos passés électroniques nous assiègent […] est une malédiction commune, mais quand l’islam est la grande peur, certaines fâcheries vous font plus vite tomber. »
« Nos journalistes font de l’info , se défend la directrice de l’information de France Inter Catherine Nayl. On n’est pas une radio d’opinion, on a des lignes éditoriales — ce qui est très différent. On n’a pas une unique sensibilité sur toute l’antenne qui déplairait ou plairait à nos auditeurs. Notre objectif consiste à transmettre une information fiable, plurielle, indépendante afin de permettre au public de disposer d’outils pour comprendre les différents enjeux. De nombreux débats ont lieu sur nos antennes, à l’image du récent face-à-face entre Dominique Reynié et Pascal Blanchard sur l’identité nationale. Si sensibilités il y a, ce ne sont pas celles des journalistes qui composent la rédaction de France Inter et de nos autres antennes. On se pose des questions, entre nous, dans les rédactions pour essayer d’avoir la couverture la plus juste des sujets. On peut parfois se tromper, mais il y a toujours une honnêteté intellectuelle de notre part. »
« Jésus est pédé »
Au rayon « humour », le parti pris est assumé depuis longtemps. Les catholiques y constituent une cible de prédilection. La journaliste de Valeurs Actuelles Charlotte d’Ornellas se souvient encore du numéro particulièrement gratiné de « l’humoriste » Daniel Morin en septembre 2018. Il y fantasmait sa relation avec elle, en susurrant : « Les petites cathos d’extrême droite, ça me plaît, ça me fait chavirer, ça me transporte, ça m’excite. » Rires gras dans le studio quand il décrit une pénible séquence sadomaso avant de conclure : « Nous ferons l’amour comme deux bergers allemands. »
En janvier 2020, le « chanteur récréatif » Frédéric Fromet a, lui, gratifié les auditeurs d’Inter d’une variation sur le thème Jésus est pédé . Devant l’abondance des courriers de protestation, Frédéric Fromet s’est excusé… d’avoir pu paraître insultant à l’égard des homosexuels en utilisant le terme « pédé » : « Je constate que ma chronique est ratée. Elle n’avait pour but que de dénoncer l’homophobie. J’ai été si mal compris que j’ai même heurté une association LGBT. » …
« Merci les fachos »
Pas découragée, La Manif pour tous vient de saisir le CSA pour contester l’apologie de la GPA faite par le journaliste Christophe Beaugrand pendant douze minutes sur France 2, face à une animatrice émue. Pour le collectif, « le service public n’a pas à présenter de manière angélique une pratique interdite et constitutive d’un délit en France parce qu’elle est une aliénation des femmes. En militant ouvertement pour l’exploitation reproductive des femmes, le service public s’engage dans une voie dangereuse ».
Le rire est un vecteur d’idéologie. L’émission de l’après-midi, « Par Jupiter ! », animée par Charline Vanhoenacker et Alex Vizorek, deux ressortissants belges truculents, en est la preuve. La productrice de l’émission s’est filmée le 16 septembre devant une affiche d’Éric Zemmour qu’elle a affublé d’une moustache rouge hitlérienne. Elle y griffonne un « Zob » et encourage ses 312.000 abonnés sur Twitter à faire de même. « #ParJupiter lance un mouvement national de LOL activism : toi aussi, poste ton Zob ! » , écrit-elle. Dans la même veine, Aymeric Lompret, chroniqueur de l’émission, a salué mi-octobre le prélèvement de la redevance télé par un sonore « Merci les fachos d’avoir payé pour qu’on dise que vous êtes des gros cons ! » Ces « soldats de la blague », « ouvriers de la rigolade », « les têtes à claques » , comme ils s’appellent eux-mêmes, sont des virtuoses et leur agilité impressionne, mais le rendez-vous faussement déjanté des après-midi de France Inter répond aux mêmes tropismes et vise toujours les mêmes cibles, sans surprise.
« Subjectivités »
Un sketch de Guillaume Meurice, chroniqueur régulier de l’émission, entendu début septembre, résume « l’esprit maison » : l’humoriste s’y moque de la « droite du panache » des jeunes adhérents LR qu’il a rencontrés au Parc floral. Le studio s’esclaffe au simple énoncé de la séquence : « J’ai passé un dimanche après-midi avec Léopold, Marie-Charlotte et Charles-Henri. »
« Il y a des sensibilités diverses. On ne les a pas pesées sur une balance pour trouver le point d’équilibre parfait à tout instant, se défend encore Catherine Nayl. Chaque chronique ne peut pas plaire à tout le monde. » « Nous ne sommes pas dans l’arrogance, renchérit Dana Hastier, directrice des antennes et de la stratégie éditoriale de Radio France. Il nous arrive de commettre des erreurs dans tous les domaines, l’info ou l’humour. Et puis Radio France, ce n’est pas que Guillaume Meurice ou Charline Vanhoenacker ! On pèse lourd dans la vie culturelle et intellectuelle du pays au-delà des deux “blagounettes” du mois qui ont agacé quelques personnes et parfois nous-mêmes. Nous faisons travailler des talents, donc des subjectivités qui n’engagent qu’elles-mêmes. Sur le terrain des humoristes, nous en comptons 24 sur nos antennes, extrêmement différents. Qu’ont en commun Daniel Morin et Tanguy Pastureau ? Nous avons aussi François Morel, dans un registre poétique, beaucoup de jeunes… Il y a un équilibre dans la diversité. Je ne pense pas que telle ou telle chronique engage la totalité du groupe Radio France. »
Dana Hastier réfute en bloc les accusations de partialité : « Je ne peux pas manquer de m’interroger sur le fait que nos résultats d’audience doivent déranger ! On représente un service public puissant, avec 15 millions d’auditeurs chaque jour, et France Inter y contribue à hauteur de 6,6 millions de personnes. Et parmi eux, il y a de plus en plus de jeunes, et toutes les catégories de la population, dont les classes populaires. »
Polémique monstre
Le traitement du « cas » Zemmour est à part. À France Télévisions, on a fait assaut de virulence envers le « journaliste-pas-encore-candidat ». Laurent Ruquier a suscité une polémique monstre dans l’édition du 11 septembre de « On est en direct », la seule émission du service public où l’ex-journaliste du Figaro Magazine a été reçu depuis 2016, en ne se donnant même pas la peine de respecter les apparences de la neutralité. « Vous avez une image fausse sur tout » , a lancé l’animateur de France 2 à son invité. Les audiences du chroniqueur de CNews ? Pas un « triomphe » , selon Laurent Ruquier. « Les chevilles, ça va ? » , l’a‑t-il interrogé comme un prof sermonne son élève. Oubliait-il que la case de « Face à l’info », autrefois sinistrée avec 100.000 téléspectateurs atteignait sous l’impulsion de Zemmour entre 800.000 et 1 million de téléspectateurs à l’horaire éminemment stratégique de l’access prime time sur CNews ?
Le 3 octobre dernier, Laurent Ruquier s’est fendu d’un édito à charge intitulé « Zemmour, comme un virus qui progresse » qui se terminait ainsi : « Je l’ai eu dans mon laboratoire pendant presque cinq ans et j’ai l’impression que je l’ai laissé s’échapper. » Sollicité, l’animateur n’a pas souhaité répondre aux questions du Figaro Magazine.
Consigne claire
Son passage à « On est en direct » mis à part, l’ensemble de l’audiovisuel public a reçu une consigne claire sur Éric Zemmour : il ne sera pas convié dans une émission politique tant qu’il n’aura pas déclaré sa candidature. France 2 a bien annoncé le 11 octobre que l’ancien chroniqueur du Figaro Magazine serait le prochain invité d’« Élysée 2022 », mais « l’émission sera programmée alors qu’il sera candidat » , nous a précisé Laurent Guimier, directeur de l’information de France Télévisions. À quelle date ? Mystère, mais c’est déjà trop pour l’humoriste Aymeric Lompret, qui a regretté, toujours dans son sketch sur la redevance, que « le service public se mette à genoux » devant Éric Zemmour, qu’il « baisse le pantalon d’Éric et… » . On épargnera la suite à nos lecteurs.
En fait, l’annonce de France 2 ne vise qu’à éteindre l’incendie allumé bien malgré lui par le journaliste politique Gilles Bornstein le 7 octobre sur France Info TV.
« Pas le droit de venir ici »
Comme l’élu communiste parisien Ian Brossat, son invité du jour, reprochait aux médias d’« avoir promu depuis des années Éric Zemmour », Gilles Bornstein s’est défendu en affirmant : « Pas ici, Éric Zemmour n’a pas le droit de venir d’ici. » Devant le tollé, il a expliqué sur les réseaux sociaux s’être « mal exprimé » : il voulait juste rappeler la consigne édictée par sa direction. Laquelle parle de « dérapage » et « instruit actuellement la mesure de sanction qui sera prise à l’encontre de son auteur ». Le premier qui dit la vérité…
Donner du temps d’antenne à un candidat déclaré n’est pas une preuve d’impartialité, mais une obligation inscrite dans le cahier des charges de tous les médias audiovisuels, publics ou privés. Le CSA veille ! Par ailleurs, pléthore de responsables politiques sont invités tous les jours par les chaînes et les radios publiques sans être candidats ni avoir la moindre intention de le devenir. Et comment couvrir la campagne présidentielle en s’interdisant d’interroger celui qui, même non déclaré, en est l’épicentre depuis plusieurs semaines ? « Regardez nos antennes !, riposte Laurent Guimier. Nous couvrons ses déplacements — le lancement de sa tournée dans le Sud, par exemple -, nous avons fait de nombreux sujets dans nos journaux, des duplex et des débats sur sa candidature. » Quant à l’absence de l’écrivain Zemmour des émissions littéraires du service public, « ce n’est pas le sujet » d’après le directeur de l’info de France Télévisions. La France n’a pas dit son dernier mot , il est vrai, ne s’était écoulé qu’à 200.000 exemplaires un mois après sa parution ! …
Patrick Cohen, arbitre des élégances
Après un détour par Europe 1, où l’audience de sa matinale a perdu 200.000 auditeurs dès la première saison, Patrick Cohen rejoint désormais chaque dimanche le studio de France Culture, pour décrypter l’actualité avec ses invités Aurélie Filippetti, Christine Ockrent, Monique Canto-Sperber ou des signatures du journal Le Monde, tous familiers de la « maison ronde » et de la pensée dominante depuis des décennies. Il a retrouvé l’entre-soi poli et intelligent qui donne à ses rendez-vous un petit air de « l’oligarchie passe l’oral ». Le conflit qui l’a mis aux prises avec la direction d’Europe 1 semble loin.
En 2020, Patrick Cohen s’était notamment opposé à l’arrivée de Louis de Raguenel à la tête du service politique de la radio privée, sous prétexte qu’il venait de Valeurs actuelles après être passé par des cabinets du ministère de l’Intérieur. « Mais quand j’ai demandé à le voir, il m’a affirmé qu’il n’avait rien contre moi, se souvient Raguenel. Cela ne l’a pas empêché de dénoncer ensuite mes papiers qui lui déplaisaient à la Société des rédacteurs d’Europe 1, dont il était l’un des principaux membres. Mais sans jamais me le dire en face. » Sonia Mabrouk, qui conduit l’interview matinale sur Europe 1, a aussi essuyé indirectement les foudres de Cohen. Son interview de Mélanie Luce, la présidente de l’Unef, le 17 mars, lui a valu un communiqué de protestation de la Société des rédacteurs de la radio. Patrick Cohen était à la manœuvre. Le communiqué faisait état d’un « malaise » provoqué par la façon dont la journaliste avait mené l’entretien. Sa « faute » ? Avoir demandé à Mélanie Luce d’expliquer pourquoi elle approuvait les réunions en « non-mixité » au sein du syndicat étudiant.
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