Le 33e baromètre de confiance dans les médias réalisé par Kantar pour La Croix le montre : le niveau d’intérêt des Français pour l’information est à son plus bas niveau historique. Faut-il vraiment s’en étonner ?
Le quotidien La Croix répond en partie mais en partie seulement à cette question en publiant son baromètre commandé à Kantar (ex-TNS Sofres) le 15 janvier 2019. Selon le journal, c’est « l’intérêt des Français pour l’information » qui est au plus bas et non pas l’intérêt des Français pour une information orientée et diffusée par des médias officiels, ayant a très peu d’éléments près les mêmes avis sur toutes les questions et donnant chaque jour quitus aux dépêches de l’AFP. Interrogeant la relation des Français aux médias, ces derniers oublient une chose essentielle à chaque fois : se remettre en cause.
La méthodologie du 33e Baromètre de confiance dans les médias
Dates de terrain : l’enquête a été réalisée par Kantar pour La Croix entre le 2 et le 6 janvier 2020.
Méthode : la méthode utilisée est celle des quotas, auprès d’un échantillon de 1 007 personnes, représentatif de l’ensemble de la population française âgée de 18 ans et plus.
Mode de recueil : les entretiens ont été réalisés en face à face.
Un désintérêt des Français pour l’information ?
Il est vrai que certains des chiffres publiés par La Croix sont vertigineux. Ainsi, « un an après l’émergence des gilets jaunes, 71 % des Français n’ont pas le sentiment que les médias rendent mieux et davantage compte de leurs préoccupations ». Le mouvement des gilets jaunes étant le fait majeur de l’année écoulée, sur le plan social et politique en France, il est normal que le baromètre s’interroge à ce propos. Cependant, il y a bien longtemps que les Français ont perdu (presque) toute confiance dans des médias qui ne reflètent pas le moins du monde la diversité des opinions en vigueur dans le pays, affichant même des obsessions auxquels ne croient plus que ceux qui y ont un intérêt immédiat : d’un côté les grands méchants loups, comme le RN, les courants de la droite hors les murs, Poutine, Boris Jonhson, Trump, les personnalités françaises conservatrices ou populistes ; de l’autre, les gentils qui vont sauver le monde, de Macron à Greta Thunberg en passant par France Inter.
Plus encore : quatre Français sur dix se détournent de l’information (officielle, La Croix ne le précise jamais). La perte de vitesse de l’intérêt est même massive depuis cinq ans selon le même baromètre. Qui s’intéresserait le moins à l’information (officielle) ? « Les jeunes (50 %), les femmes (53 %), les moins diplômés (54 %), les personnes engagées politiquement (48 %), mais aussi les ouvriers (53 %) ou les commerçants et artisans (53 %) s’isolent le plus de l’information. » Un tel baromètre ne peut mesurer un fait que chaque observateur concerné constate autour de lui : si les moins diplômés figurent dans la catégorie des personnes ayant décidé de ne plus s’intéresser à l’information, c’est en grande partie dans le cadre d’une demande implicite d’information moins uniforme.
Les Français ne croient plus trop en la parole médiatique
De fait, le baromètre le reconnaît : les médias traditionnels ne font plus référence — à commencer par la télévision. Ainsi, 75 % des jeunes s’informent prioritairement par internet et par les réseaux sociaux, même si les supports numériques de la presse ne sont pas en reste (30 %). Cela traduit une défiance vis-à-vis de l’indépendance des médias et des journalistes : 68 % des personnes interrogées pensent que les journalistes ne résistent pas aux pressions des partis politiques au pouvoir et 61 % aux pressions de l’argent. Dans ce dernier cas, il est difficile de donner tort au résultat de ce sondage, au vu de l’extrême concentration financière des médias en peu de mains, concentration qui pose en France de vraies questions quant à la démocratie et à la liberté d’expression. Voir nos infographies sur ce sujet.
Les médias sont jugés peu ou modérément crédibles : la radio (50%), les journaux (46%), la télévision (40%) et internet (23%). Le résultat concernant internet est typique des méthodes d’analyse officielles : « internet » peut-il être considéré comme un seul type de média, et donc les sondés être interrogés à son propos de la même manière que pour la presse ? Kantar ne devrait-il pas distinguer les formes de contenus d’internet, puisqu’ il existe par exemple de très nombreuses chaînes de télévision, en particulier celles utilisées par les jeunes, qui ne peuvent évidemment pas être assimilées à Twitter…
La critique sans doute la plus frappante : les Français sondés considèrent que l’information est biaisée par le « système médiatique », fait de manque de diversité d’opinion et de « parisianisme », les deux étant évidemment liés, c’est une question idéologique. Pourtant, les médias officiels continuent de se présenter comme la seule chambre d’écho officielle des affaires du monde, ne paraissant pas s’émouvoir, peut-être même ne pas se rendre réellement compte de l’entre-soi qui domine, un entre-soi qui plus est associé aux milieux politiques et culturels dominants. Il y a un monde, minoritaire, qui dit ce que « doit » être l’information (Poutine et Trump sont méchants, le Brexit c’est mal) et le reste du pays, le décalage ne peut que se creuser.