« La liberté des journalistes africains est encore largement entravée dans plusieurs pays du continent »
Marc Aboflan est le Responsable pour l’Afrique au sein de la Journalism Trust Initiative (JTI), un programme porté par RSF. Il a une expérience de plus de dix ans dans les domaines du journalisme, du développement des médias, et de la communication. Son travail au sein de JTI consiste à promouvoir des pratiques éthiques dans les médias africains, en aidant ces derniers à adopter les meilleures pratiques en termes de transparence et de qualité de traitement de l’information. Dans cet entretien avec OJIM Afrique, il évoque la mission de la Journalism Trust Initiative, en indiquant la manière dont cette institution encourage les médias pour qu’ils s’engagent dans des pratiques journalistiques éthiques. Toutefois, Marc Aboflan se plaint de la liberté des journalistes africains qui, dit-il, est entravée dans plusieurs pays.
OJIM : 1– Parlez-nous un peu de la Journalism Trust Initiative avec la mise en place d’un mécanisme international récompensant les pratiques journalistiques éthiques ?
Marc Aboflan : La Journalism Trust Initiative est une norme internationale qui vise à encourager les médias à s’engager dans des pratiques journalistiques transparentes et éthiques. À travers un cadre certifiable, la JTI permet de récompenser les médias qui respectent un minimum de règles éthiques et professionnelles. En obtenant cette certification, les médias peuvent démontrer leur engagement à fournir une information fiable, tout en améliorant la transparence et la responsabilité envers leurs audiences. Ce mécanisme a déjà été adopté par plusieurs médias dans le monde, dont plus de 500 sont basés en Afrique.
OJIM : 2– Comment travaillez-vous avec les médias africains ?
Marc Aboflan : Nous travaillons avec les médias africains en leur fournissant des outils et des ressources pour adopter le standard de la JTI. Il s’agit de formation, de coaching mais également de soutien technique et financier pour se conformer à la norme. Notre approche est participative, impliquant les médias dans un processus d’auto-évaluation qui leur permet d’analyser et d’améliorer leurs pratiques internes. Nous collaborons également avec des associations professionnelles et des régulateurs pour promouvoir ces normes au niveau institutionnel. Nos efforts se concentrent sur la sensibilisation, la formation et l’accompagnement des médias à chaque étape du processus de certification.
OJIM : 3– Comment analysez-vous la qualité de l’information en Afrique de l’Ouest ?
Marc Aboflan : La qualité de l’information en Afrique de l’Ouest varie énormément d’un pays à l’autre et même au sein de chaque pays. Il existe des médias qui font un travail remarquable, malgré des contextes difficiles, tandis que d’autres sont confrontés à des défis liés à la pression politique, au manque de moyens financiers et à l’absence de formation. On observe également une forte prolifération des fausses informations, accentuée par les réseaux sociaux. Il est donc essentiel de renforcer les capacités des médias, notamment en matière de vérification des faits et de respect de l’éthique journalistique.
OJIM : 4– Avez-vous des solutions pour renforcer cette qualité de l’information ?
Marc Aboflan : Oui, la première solution passe par la formation continue des journalistes et des acteurs des médias. Il est essentiel de leur offrir des outils et des compétences pour mieux naviguer dans les défis modernes de l’information, tels que la désinformation. Ensuite, la mise en place de mécanismes comme la JTI permet d’encourager les médias à adopter des pratiques plus transparentes. Enfin, il faut aussi travailler sur la viabilité économique des médias, car des médias financièrement stables sont plus à même de produire un contenu de qualité, indépendant et rigoureux.
OJIM : 5– Quelles sont les conditions pour certifier un média ?
Marc Aboflan : La certification JTI repose sur un ensemble de critères qui évaluent les pratiques internes du média. Cela inclut la transparence de la gouvernance, la diversité éditoriale, l’indépendance financière et la capacité à corriger les erreurs. Les médias doivent passer par un processus d’auto-évaluation, suivi d’un audit externe pour vérifier la conformité aux standards. Une fois certifiés, ils peuvent afficher ce statut auprès de leurs lecteurs, ce qui constitue une marque de confiance et de qualité.
OJIM : 6– Selon vous, le journaliste africain a‑t-il une totale liberté ?
Marc Aboflan : La liberté des journalistes africains est encore largement entravée dans plusieurs pays du continent. Ils doivent souvent composer avec des pressions politiques, économiques, voire parfois sécuritaires. Cependant, cette situation varie selon les pays et les contextes. Dans certaines régions, les journalistes jouissent d’une plus grande liberté, tandis que dans d’autres, les restrictions sont encore nombreuses. Il est essentiel de continuer à lutter pour cette liberté comme nous le faisons avec mes collègues car un journalisme libre est un pilier essentiel pour la démocratie et la transparence.
OJIM : 7– Que préconisez-vous de faire dans l’avenir pour sensibiliser davantage les médias africains ?
Marc Aboflan : Il est crucial de renforcer les réseaux de collaboration entre les médias africains et les organisations internationales. La sensibilisation doit aussi passer par des campagnes d’information qui valorisent l’importance d’un journalisme éthique et transparent. En parallèle, il faut développer des programmes de formation à grande échelle, notamment sur les enjeux numériques, comme la lutte contre la désinformation et l’adoption de l’intelligence artificielle dans les rédactions. L’adoption de normes comme la JTI doit également être soutenue par les instances régulatrices pour que les médias aient une motivation à se conformer aux standards internationaux.
Propos recueillis par Mapote Gaye
Correspondant OJIM Afrique