Au moment même où un faux mineur pakistanais assaillait à coups de hachoir deux journalistes pris à tort pour des collaborateurs de Charlie Hebdo, pendant le procès même des terroristes de 2015, Éric Zemmour était condamné à 10.000 € d’amende pour injure et provocation à la haine (il a fait appel) pour des propos tenus sur LCI en 2019. Quelques jours plus tard, le quotidien le plus emblématique de la presse de grand chemin, Le Monde, appelait à la mort sociale d’Éric Zemmour dans un éditorial du 2 octobre 2020, CNews : la stratégie de la haine. Analyse d’un processus où la haine n’est pas forcément où on croirait la trouver.
Vous avez dit haine ?
Un éditorial non signé engage la direction du quotidien de manières solennelle. Le quotidien du soir commence sur un ton dramatique. « Une chaîne de télévision française vient d’inciter le public à la haine envers un groupe humain en diffusant les propos d’un polémiste déjà condamné à deux reprises pour le même délit. Même un leader politique d’extrême droite n’aurait sans doute pas osé… » Osé quoi ? inciter à la haine à partir de « ses fantasmes favoris » : « l’invasion » par les immigrés et la défense de l’« identité française, prétendument menacée en affirmant « à propos des mineurs étrangers isolés qui demandent l’asile à la France : « Ils n’ont rien à faire ici, ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs, c’est tout ce qu’ils sont, il faut les renvoyer. ». Voilà l’objet du délit.
Mensonge par omission
La première partie de la déclaration – un peu rapide – d’Éric Zemmour est bien reprise telle quelle. Le quotidien de grand chemin se garde bien de compléter les propos suivants du journaliste qui, questionné par Christine Kelly lui demandant de préciser sa pensée, répond « non, pas tous ». Quand on voit ou lit l’ensemble de la conversation, on comprend clairement qu’il ne soutient pas que l’ensemble des mineurs isolés (ou pseudo-mineurs pour une très grande part) sont tous des criminels.
Double langage et appel à la censure
La plus belle ruse du diable c’est de faire croire qu’il n’existe pas (non, nous ne prétendons pas que Le Monde est diabolique). La plus belle ruse de la censure c’est d’appeler à la limitation de la liberté au nom de la liberté. Ce que fait joyeusement l’éditorial en quatre temps de valse. Ouvrons la valse de la nouvelle Inquisition.
Premier temps de la valse, l’hommage à la liberté, la main sur le cœur, des larmes dans les yeux : « Le procès du drame de Charlie Hebdo rappelle la valeur inestimable de la liberté d’expression ». Ensuite on pivote sur le pied gauche.
Deuxième temps de la valse, que fait le CSA diantre ? Car ses « mises en demeure répétées sont manifestement vaines, y compris lorsqu’elles visent des comportements punis par le code pénal ». Surveiller et punir aurait dit Michel Foucault. On repivote.
Troisième temps de la valse, l’appel à la sanction y compris financière. « Face à cette stratégie de provocation, destinée à gonfler les courbes d’audience et donc les recettes publicitaires, le CSA doit jouer pleinement son rôle de régulateur. L’obligation de « maîtrise de l’antenne », dont le Conseil supérieur de l’audiovisuel est le garant, devrait conduire à des sanctions lourdes pour la chaîne de télévision, seul moyen de mettre fin à la diffusion de contenus manifestement illégaux. » Les caractères en gras sont de notre rédaction. On refait un tour avec sa cavalière.
Quatrième temps de la valse, enveloppez-moi le tout dans une sauce à la moraline tiède et un peu poisseuse, pour démontrer le caractère abject de l’individu, de sa chaîne et de ses propos. Les adjectifs pourraient figurer au Dictionnaire de novlangue : « caractéristiques repoussantes » voire « intentions pernicieuses » visant l’ensemble d’une communauté (on suppose que la communauté en question est celle des migrants mineurs, vrais ou faux).
Pernicieux ? Que dit le Littré ? « Qui cause la mort, la maladie » ou bien « Qui cause la ruine, le mal ». La messe est dite, l’hérétique Zemmour sera brûlé en place publique par la gendarmerie médiatique et le CSA supprimera la chaine CNews d’un trait de plume.
Le quart d’heure de la haine et l’hystérie collective
Bien entendu, Élisabeth Moreno, ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances (ouf), a dénoncé une nouvelle « sortie abjecte et raciste d’Éric Zemmour », et le parquet de Paris a ouvert une enquête pour « provocation à la haine raciale » et « injures publiques à caractère raciste ». Bien entendu le garde des Sceaux a accablé un « délinquant récidiviste ». Relisons ce qu’écrivait Orwell dans son 1984 sur les deux minutes de la haine :
« Comme d’habitude le visage d’Emmanuel Goldstein, l’Ennemi du Peuple, avait jailli sur l’écran… La petite femme rousse poussa un cri de frayeur et de dégoût… Goldstein était le traître fondamental, le premier profanateur de la pureté du Parti…Goldstein débitait sa venimeuse attaque habituelle contre les doctrines du Parti…A la seconde minute, la Haine tourna au délire. Les gens sautaient sur place et criaient de toutes leurs forces… Une hideuse extase, faite de frayeur et de rancune … semblait se répandre dans l’assistance comme un courant électrique ».
Comme le dit l’avocat Gilles-William Goldnadel dans une tribune à Boulevard Voltaire « On est dans une hystérie collective. Les tenants de la censure n’acceptent pas l’idée qu’ils aient perdu le monopole médiatique. Pour eux, c’est une idée insupportable. Ils sont incapables de voir leurs propres défauts ».
Que réclame Éric Zemmour au fond ? Revenons à 1984 :
« La liberté, c’est la liberté de dire que deux et deux font quatre. Lorsque cela est accordé, le reste suit ». Amen.