Comme l’Italie, l’Espagne a un gouvernement de gauche. Le premier ministre Pedro Sánchez est à la tête d’une coalition formée par le Parti socialiste (PSOE) et le parti d’extrême-gauche Unidas Podemos, une alliance du parti « anti-système » Podemos et des communistes.
Et comme en Italie, cela se ressent dans la critique des fautes graves commises par le gouvernement dans la gestion de l’épidémie de coronavirus, et qui valent à l’Espagne d’avoir rapidement dépassé l’Italie en nombre de cas confirmés et d’être troisième au classement mondial du nombre de décès provoqués par le coronavirus (selon les chiffres du 9 avril 2020 au soir, avec 18.279 décès recensés en Italie, 16.697 aux USA, 15.447 en Espagne et 12.210 en France), et même deuxième après Saint-Marin en nombres de morts par million d’habitants.
Manifestation féministe du 8 mars
Comme en Italie et en France, les autorités nationales ont tardé à prendre la menace au sérieux, et en Espagne la principale critique faite au gouvernement de Sánchez porte sur l’organisation des manifestations féministes du 8 mars, et notamment de la grande marche de Madrid avec 120.000 femmes défilant en rang serrés alors que plusieurs centaines de cas de COVID-19 avaient déjà été confirmés dans la capitale espagnole. Le bond enregistré dans les statistiques à partir du 9 mars conduit certaines voix critiques à accuser le gouvernement d’avoir volontairement caché la vérité pour encourager la gauche et l’extrême gauche à sortir dans la rue ce jour-là. Le 8 mars, la ministre de l’Égalité Irene Montero, d’Unidas Podemos, défilait en tête de la manifestation de Madrid. Quatre jours plus tard, elle était testée positive au coronavirus SARS-CoV‑2. Carmen Calvo, la vice-présidente socialiste du conseil des ministres, était elle aussi en tête de la manifestation du 8 mars à Madrid.
De son côté, Santiago Abascal, le leader du parti Vox, un parti libéral-conservateur classé à l’extrême droite par les grands médias espagnols, organisait un meeting ce jour-là et était lui aussi testé positif au coronavirus quelque temps après. Il a pu être contaminé par Javier Ortega Smith, le secrétaire général du parti lui-même testé positif deux jours après ce meeting politique avec 9.000 participants qui se voulait être une réponse aux convocations organisées par la gauche. Contrairement au gouvernement qui, après avoir encouragé la participation aux manifestations du 8 mars, estime qu’il a uniquement commis les mêmes erreurs que tous les autres pays occidentaux (même si en réalité, comme le faisait remarquer le Visegrád Post le 3 mars, certains pays européens ont réagi plus rapidement et ne connaissent pas la même catastrophe sanitaire qu’en Espagne, en Italie et en France), Santiago Abascal et son parti présentaient leurs excuses aux Espagnols dès le 10 mars, tout en faisant porter la responsabilité au gouvernement de Pedro Sánchez pour avoir caché la gravité de la situation et en rappelant qu’ils avaient été le seul parti à exiger la suspension des vols depuis l’Italie et la Chine. Le 10 mars, le ministre de la Santé Salvador Illa, du PSC (la branche catalane du PSOE de Pedro Sánchez), défendait l’organisation des marches féministes par le fait que l’impact réel de l’épidémie ne se serait fait sentir que le dimanche 8 mars au soir, ainsi que le décrivait l’édition en castillan du journal catalan La Vanguardia, considéré comme étant plutôt de droite, dans un article du 10 mars intitulé « Coronavirus – Le gouvernement justifie le déroulement des marches du 8 mars par le fait que la situation a changée ‘le dimanche dans la soirée’ ».
Ligne de défense gouvernementale
Il n’empêche : désormais, toute critique de l’attitude du gouvernement espagnol le 8 mars est contrée par les médias qui lui sont favorables au moyen de ce rassemblement de Vox. Exemple typique : sur le site de la télévision publique RTVE, un article du 31 mars intitulé « Abascal demande à Sánchez de démissionner et de laisser la place à un gouvernement d’urgence nationale » est illustré par une photo du leader de Vox avec la légende « Le leader de Vox, Santiago Abascal, pendant le meeting du 8 mars ». C’est d’ailleurs la ligne de défense du gouvernement, comme on peut le voir dans cet article de La Vanguardia du 26 mars intitulé « Irene Montero réapparaît après sa quarantaine et reproche aux droites leurs critiques du 8 mars », avec en chapô : « La ministre de l’Égalité rappel que le même week-end il y a eu ‘des centaines d’événements’ comme le congrès de Vox à Vistalegre ».
Autre ligne de défense, la critique des manifestations féministes du 8 mars serait dirigée contre les femmes. Comme on peut le lire dans le même article de La Vanguardia, « Dans une déclaration à La Sexta [une des chaînes privées de la TNT en Espagne, NDLR], la numéro deux de Podemos a critiqué ‘le niveau d’agressivité et de haine avec lequel l’extrême droite essaie de pointer du doigt les femmes en relation avec la manifestation du 8 mars et la crise du coronavirus ». Dans ces deux articles de La Vanguardia, le journal se contente de relater les propos des uns et des autres, sans prendre position, ce qui est vrai aussi pour un autre article du 31 mars où il est expliqué qu’après les attaques de Montero contre ceux qui critiquent les manifestations du 8 mars, « Le PP [Parti populaire, de centre-droit, NDLR] demande une étude indépendante pour analyser l’impact du 8 mars sur l’augmentation des contagions ».
Points de vue contraires
El País, équivalent espagnol du Monde, informait ses lecteurs le 12 mars que les marches du 8 mars avaient été convoquées en contradiction avec les recommandations du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (CEPCM). Sans surprise, l’article publié par ce journal de gauche favorable au gouvernement de Sánchez commençait ainsi : « Madrid a accueilli dimanche la marche féministe du 8 mars, avec 120.000 participants, ainsi que le meeting de Vox, avec 9.000 personnes rassemblées dans un lieu fermé comme Vistalegre [un complexe situé à Madrid, NDLR], alors que la ville remplissait depuis au moins trois jours les conditions sous lesquelles l’agence de santé publique européenne remet en question ce type d’événements et déconseille même à la population de s’y rendre. »
Le journal ABC, équivalent espagnol du Figaro, multiplie au contraire les articles sur l’impact des manifestations du 8 mars en soulignant l’attitude irresponsable du gouvernement de Pedro Sánchez. Exemple le 8 avril, un mois après, dans un article intitulé « L’inaction du gouvernement : un mois à la remorque du coronavirus après plusieurs semaines passées à minimiser le risque ». En haut de l’article publié sur le site Web d’ABC, une vidéo exposant le comportement de la ministre de l’Égalité Irene Montero, qui a, après avoir participé à la manifestation du 8 mars à Madrid et avoir été testée positive, rompu sa quarantaine avant d’être à nouveau testée positive, avec en fin de vidéo une citation de la ministre qui rappelle fort l’argument avancé par le gouvernement français, notamment pour justifier les élections municipales du 15 mars (qui sont, dans le contexte de la crise sanitaire actuelle, l’équivalent français des manifestations féministes du 8 mars en Espagne) : « Nous avons agi en tout temps conformément à ce que conseillaient les experts et les autorités sanitaires ». Dans son article, ABC dresse la liste des erreurs et négligences commises par le gouvernement espagnol depuis le mois de janvier et critique le mensonge consistant à dater le début de l’épidémie au 9 mars, jour où le nombre de cas officiellement confirmés a curieusement doublé pour dépasser la barre des mille. Dans un éditorial publié le 8 avril sous le titre « Demander pardon », ABC appelle le gouvernement espagnol à reconnaître son erreur du 8 mars, à accroître la transparence et à demander pardon aux Espagnols.
À l’instar de Giuseppe Conte en Italie et d’Édouard Philippe et Emmanuel Macron en France, Pedro Sánchez semble toujours estimer que son gouvernement a été un des plus rapides à réagir pour contenir la pandémie de COVID-19. L’heure des comptes viendra sans doute après la crise.