Mardi 3 octobre 2023, ont démarré les états-généraux de l’information. Un « évènement » qui se déroule jusqu’en mai 2024 et est censé permettre selon le CESE de « débattre et partager vos idées pour garantir l’accès à l’information et à sa transparence ». Initiative du président Macron, ils sont censés, toujours selon la 3ème chambre, « établir un diagnostic sur les enjeux liés à l’information et de proposer des actions concrètes qui pourront se déployer aux plans national, européen et international. ».
Habitué de ces événements qui se veulent « participatifs » le président a déjà donné dans le registre avec le « Conseil national de la Refondation » (2022), le « Ségur de la Santé » (2020), ou encore, en 2019, la « Convention citoyenne pour le climat » et le « Grand débat national » censé requinquer la majorité après l’épisode Gilets Jaunes.
Un comité de pilotage « indépendant »… et surtout à gauche
L’équipe choisie pour piloter la bonne marche de l’évènement est présidé par Bruno Lasserre de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada). Il a le profil typique du haut-fonctionnaire : cet énarque de 69 ans a travaillé au Conseil d’État et à l’Autorité de la concurrence, où il a laissé un souvenir tragique puisqu’il avait été mis en examen pour « complicité de harcèlement moral » en 2019. Gageons que son profil saura permettre la sérénité des échanges dans ces états généraux !
Il est secondé par un « délégué général du comité de pilotage » qui n’est autre que Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), ONG atlantiste qui n’a pas cru bon de s’opposer au « media freedom act » présenté à Bruxelles et dénoncé par d’autres associations et lobbies de médias en septembre 2023.
Nathalie Collin, ancienne directrice générale adjointe du groupe La Poste mais aussi passée par la coprésidence du directoire de Libération et la direction générale du groupe Le Nouvel Observateur.
Camille François, chercheur à Columbia University sera la benjamine de l’équipe. Cette trentenaire exilée chez l’Oncle Sam est décrite dans Les Échos comme « visionnaire pour son travail d’analyse des campagnes de désinformation et de harcèlement sur les réseaux sociaux ». Spécialiste de la Data et disposant d’une expérience dans la sécurité, elle semble apparaître comme la personnalité la plus compétente du quinté et aussi la plus proche du monde américain !
Enfin, Anne Perrot, inspecteur général des finances, est issue du milieu universitaire mais a côtoyé Bruno Lasserre à l’Autorité de la concurrence dont elle occupait la vice-présidence de 2004 à 2012… Le monde est petit ! En 2017, elle avait appelé, à l’instar de 40 économistes, à voter Emmanuel Macron dans le journal Le Monde.
Enfin, ce beau monde travaillera « en liaison » avec la journaliste Maria Ressa, prix Nobel de la paix en 2021 ; venue tout droit des Philippines, cette détentrice de la nationalité étasunienne (un hasard) est opposante au président Duterte. On peut s’interroger sur l’opportunité de sa présence dans ce comité tant son pays, situé en Asie du sud-est à plus de 10 000 km de Paris, est éloigné culturellement de l’Europe qui ne fait pas face aux mêmes problèmes en matière de médias…
Demandez le programme : fausses informations et monopole
En huit mois, ces états généraux vont avoir le temps de brasser un paquet de sujets. Au programme : la lutte contre la désinformation et les fake news. L’inquiétude réside ici sur la place des plateformes dans l’univers médiatique. Une situation paradoxale car celles-ci (Facebook, Twitter devenu X…) ont donné une nouvelle jeunesse à des médias papiers parfois vieillissants.
Très enthousiaste, France Info rappelle que l’institut britannique Reuters a publié « une étude mondiale qui montre que 20% des 18–24 ans s’informent via TikTok ». En France le baromètre Kantar — La Croix paru en janvier 2023 affirme que les plateformes étaient « la deuxième source quotidienne d’information des jeunes adultes » et cela, juste après les journaux télévisés. Il convient cependant de préciser que les plateformes relaient en partie des informations des grands médias via les comptes de ces derniers ou à travers des « copier-coller ».
Au cœur des débats aussi, la présence massive de grandes fortunes dans les médias. Une présence qui ne dérangeait pas avant que l’un d’eux s’avère plus à droite en la personne de Vincent Bolloré. Le patron de RSF, membre du comité de pilotage ne cache par exemple pas son hostilité à l’égard du milliardaire breton.
Objectif, préserver l’entre-soi actuel
Les noms de Lagardère, Arnault, Saadé, Dassault, Drahi, Křetínský et Niel devraient aussi être envisagés… Mais pour quoi faire ? La presse écrite, radio et télé sont des secteurs coûteux qui survivent souvent des largesses de mécènes ; à part nationaliser l’information, ce qui ne serait pas un gage de pluralité de l’information, peu de solutions semblent s’offrir à ces états généraux.
Le président du directoire du groupe Le Monde a lui plaidé sur France Info : « Si le gouvernement pouvait pousser une proposition de loi qui obligerait les actionnaires à demander l’avis des rédactions avant de nommer un directeur de la rédaction, je pense que ce serait une avancée notable ». On relèvera ici la méconnaissance crasse du fonctionnement des institutions de ce personnage qui ne sait visiblement pas que le gouvernement est à l’origine de « projet de loi » et les parlementaires de « proposition de loi ». Clin d’œil non fin à l’affaire Geoffroy Lejeune au JDD, il s’agit là de préserver un certain entre-soi dans des rédactions qui demeurent souvent ancrées à gauche et au centre gauche et attachées au monde clos libéral libertaire.
Quand les médias échappent au monopole
La mission de ces états généraux doit déboucher sur « des propositions concrètes » pour « garantir le droit à l’information à l’heure numérique » selon les mots de Christophe Deloire à l’occasion de la conférence de presse de lancement à Paris. Ces propositions pourront ensuite être suivies de mesures législatives, fiscales et budgétaires à l’initiative des pouvoirs politiques…
Derrière ce verbiage très convenu se trouve une inquiétude née de nombreux facteurs : développement des réseaux sociaux, émergence du phénomène des « lanceurs d’alerte », érection de la notion de « fake news » en bouc-émissaire de l’information, l’arrivée de médias alternatifs en ligne (TV Libertés à droite, Le Média à gauche) ou encore la prise en main de quelques télévisions et radios par Vincent Bolloré.
La multiplication des scandales d’État amplifiée par le développement d’internet au cours de la décennie passée pourrait aussi avoir inquiété un appareil étatique et des « élites » qui ont pu en faire les frais. De l’affaire Cahuzac à l’affaire Alexis Kholer en passant par les procès Sarkozy et Benalla, la puissance des médias a été décuplée par le développement des nouveaux canaux d’information.
Un coup de com’ ou un coup de pression ?
Comme tous les comités Théodule du président Macron, cette opération « états généraux de l’information » pourrait bien n’aboutir à aucun résultat. Quatre syndicats de journalisme (SNJ, SNJ-CGT, CFDT et FO) ont ainsi exprimé leurs inquiétudes dans un communiqué commun exprimant leur crainte « que ces États généraux ne se résument qu’à une nouvelle opération de communication » et exigeant d’y être associés. La participation active du CESE (Conseil Économique, Social et Environnemental) semble indiquer le caractère inutile de l’opération. Elle permettra néanmoins pour le président Macron de tenir, à moindre frais, une promesse de campagne de 2022.
Si d’aventure vous êtes tenté par l’exercice, une consultation en ligne est ouverte jusqu’au 12 novembre, accessible via le site états-generaux-information.fr. Si vous comptez parmi les heureux tirés au sort vous pourrez même participer aux journées délibératives.