Le meilleur de l’Ojim en 2014 (14) — Pendant les fêtes, l’Ojim fait relâche et se rallie à la trêve des confiseurs. L’occasion de vous faire revivre les grands moments de l’année 2014 du point de vue de la critique des médias. Cette année, l’Ojim s’est particulièrement attaché à décrypter le discours produit par les médias par une analyse exhaustive de certaines émissions ou de certains supports de presse. Mais l’Ojim continue également de débusquer petites et grosses manipulations dont se rendent coupables certains journalistes, et tente de mettre à jour les enjeux qui se cachent derrière ce combat de la parole. N’oubliez pas que l’Ojim est un site entièrement indépendant qui ne vit que grâce à vos dons. Aidez-nous à remplir notre rôle d’Observatoire des médias et à exercer librement notre critique du système médiatique. Tout don nous est utile.
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Pour qui aurait passé le week-end sur une île déserte, le réveil a du être angoissant ce lundi matin. À en croire la presse française, une catastrophe naturelle de grande ampleur a frappé la France. S’agit-il d’un « séisme » ? d’un « tremblement de terre » ? d’un « raz-de-marée » ? Non, simplement d’une élection démocratique.
Dès l’annonce des résultats, avec un FN largement en tête des élections européennes avec près de 26 % des voix (devant l’UMP à 20,7 % et loin devant le PS à 13,9 %), les éditorialistes ont sorti le grand jeu. Sur les plateaux télé, on a tenté d’expliquer ce résultat par le sempiternel « manque de pédagogie » vis-à-vis de l’Europe… Ainsi, les gens n’auraient « pas compris » les enjeux ; la « colère » l’aurait emporté, etc. À aucun moment il n’est question d’admettre ce résultat pour ce qu’il est : un rejet massif de la construction européenne telle qu’elle est.
Pendant que certains annoncent un « jour sombre pour la démocratie » (qui n’est pourtant, en soit, ni sombre ni lumineuse car impartiale), d’autres, comme Laurent Delahousse sur France 2 posent carrément à leurs invités la question de savoir si « le peuple a toujours raison ? » Diable, pour un peu, on reprenait le cri du cœur d’Élisabeth Badinter à l’époque du traité de Maastricht : « les hommes politiques sont tout de même mieux avertis que le commun des mortels » !
Marc Levy, invité sur le plateau de France 2 on ne sait trop pourquoi, , confiera qu’il est « triste comme tout le monde, ce soir ». À qui s’adresse ce « tout le monde » ? Mystère. Car au vu des résultats, on peut, sans faire preuve d’une particulière audace intellectuelle, imaginer que « tout le monde » n’a pas dû être triste à l’annonce de ce score. Mais peut-être ce « tout le monde » s’appliquait-il à « tout le monde sur le plateau de télévision » ? Peut-être s’appliquait-il à la petite élite médiatique parisienne qui découvre soudain le décalage existant entre elle et le reste de la population ? Certains, comme Franz-Olivier Giesbert, essayent du reste de s’adapter au vent qui tourne. « Moi je fais partie des connards qui ont diabolisé Le Pen », a‑t-il lancé sur le même plateau en guise de mea culpa.
Mais le pire a eu lieu du côté de France 4. Sur le compte Twitter officiel de la chaîne, le « community manager » s’est, semble-t-il, emmêlé les pinceaux avec son compte privé, du moins on l’espère. Ainsi a‑t-on pu lire, après l’annonce des résultats : « Des gens se sont fait massacrer, ont terminés (sic) leurs vies dans la souffrance ou dans des camps. Pour que vous puissiez voter. Bandes de cons. » Un Tweet qui a été aussitôt retiré, mais n’a pas échappé à quelques internautes vigilants.
Après l’incompréhension de la soirée électorale est venu le temps du catastrophisme. Dès l’aube, la presse française a inondé les kiosques de ses couvertures aux allures de lendemain de fin du monde. Pour un peu, on se croyait revenu en 2010 à l’époque de la tragédie en Haïti. Pour le Figaro, c’est un « séisme » (mot lancé par le Premier ministre lui-même), pour Le Parisien, un « big-bang ». À l’international aussi, on évoque un cataclysme. En Italie, pour La Reppublica, il s’est produit un « tremblement de terre en France ». En Espagne, c’est un « raz de marée pour l’extrême-droite en France », selon El Mundo, qui partage son titre avec CNN.
Pour le journal allemand Bild, c’est un « choc électoral en France ». Concernant l’Angleterre, qui a vu également un parti eurosceptique, l’UKIP de Nigel Farage, triompher, le Financial Times y voit une « tempête ».
La presse régionale n’a pas été épargnée par ce mouvement de panique. « Le choc », titre La Dépêche du Midi en évoquant un « séisme politique ». Même titre pour Ouest-France qui précise que l’Ouest « résiste à la vague FN ». Du côté du Journal du Centre, on constate un « vrai raz de… Marine ». La Provence, couvrant une partie du grand sud-est où Jean-Marie Le Pen a été élu avec 29 % des voix, estime que « le FN met le feu ». Pour Le Télégramme, c’est « un tsunami bleu marine ».
Ou comment la presse française fait-elle, à la quasi unanimité et avec l’aide de certains de ses éditorialistes les plus en vue, passer un résultat d’élection des plus prévisibles pour une catastrophe naturelle de grande ampleur…
Crédit photo : DR