Arrivé sans enthousiasme à la tête de l’AFP le 12 avril dernier (élu au 3e tour, bien qu’il soit le seul candidat) après le lâchage par l’Elysée de son prédécesseur Emmanuel Hoog, Fabrice Fries a eu des états de service pas si mirobolants que ça dans les boîtes du « privé » où il a exercé pendant 22 ans (Havas, Vivendi, Atos, Publicis…), révèle le Canard Enchaîné (18.04).
Emmanuel Hoog lâché par les pouvoirs publics
Emmanuel Hoog a en effet été abandonné par les représentants de l’Etat après un trou de 4,8 millions d’euros en 2017 et 5 millions en 2016. Mardi 10 avril, lors du conseil d’administration qui devait valider les comptes de l’AFP, la présidente de la commission financière de l’agence avait dressé un bilan critique de la gestion d’Emmanuel Hoog, finalement informé par le ministère de la Culture que l’Etat ne soutiendrait pas sa réélection. Il a alors jeté l’éponge.
Fries, un profil business aux résultats contrastés
Or, l’ancien magistrat à la cour des Comptes au profil « très business » a fait (presque) aussi bien. De 2008 à 2016 il a dirigé Publicis Consultants, l’ancienne « Rolls du consulting ». Résultats peu mirobolants : un chiffre d’affaires divisé par deux, passé de 88,2 à 36,8 millions d’euros et un déficit de 4,5 millions d’euros.
Parallèlement 230 des 400 salariés sont passés à la trappe, soit dans des filiales, soit à coups de départs volontaires. Dans un secteur où l’entregent et les relations personnelles sont pour beaucoup dans l’activité des entreprises, appliquer la recette classique du management « cost killer » (tueur de coûts) en faisant des plans sociaux et de la filialisation lorsque les chiffres ne sont pas au rendez-vous s’avère contre-productif : ce ne sont pas seulement des coûts salariaux qui partent, mais des portes d’entrée, des carnets d’adresse, des cerveaux.
Néanmoins, malgré ce bilan médiocre, Publicis a payé fort cher son départ, selon l’audit du cabinet 3E en juin 2017 mené à la demande du comité d’entreprise. Sur les six derniers mois, écarté avec un obscur titre de conseiller, Fries a empoché 180 000 €, révèle l’hebdomadaire satirique, ce à quoi s’ajoutent 360 000 € obtenus lors de sa transaction de départ. Et la direction a classé le dossier, renvoyant les difficultés à « la dégradation des activités traditionnelles de l’entreprise, plutôt que du coût du départ des collaborateurs, fussent-ils des dirigeants ».
Un ex– « Messier boy » issu d’une famille de la nomenklatura administrative française
Petit-fils de François Seydoux, ambassadeur à Berlin sous De Gaulle et Adenauer, fils d’un professeur de médecine et d’une chercheuse au CNRS, Fabrice Fries vient, selon ses propres propos, d’une « famille de serviteurs de l’Etat pour qui travailler dans le privé, c’est déchoir ». Après être passé par le cursus classique de la nomenklatura républicaine (Henri IV, Louis le Grand, Ulm, Sciences Po, ENA, la Cour des Comptes) puis avoir travaillé comme haut fonctionnaire européen, il est parti chez la Générale des Eaux en 1995 puis Havas où il s’occupe de vendre le pôle professionnel (presse et édition) à un fonds d’investissement qui le découpe. Il se retrouve enfin chez Atos Origin en 2004–2006, chargé des grands comptes et de la stratégie marchés.
Selon Le Lion Rugissant, « fan-page des salariés du groupe Publicis » destinée à faire la lumière sur la réalité des pratiques sociales du groupe, « derrière les paillettes », « Fries, ancien président de Publicis Consultants, ex Messier Boy, nouveau président de l’AFP, énarque, magistrat de la cour des comptes et famille Seydoux a couté très cher au groupe : d’abord par sa passivité, puisqu’on peut affirmer qu’il a conduit Publicis Consultants au naufrage, et ensuite par le traitement de favoritisme que Maurice Levy lui a toujours réservé, avec la complicité du DRH [directeur des ressources humaines] et du DAF [directeur administratif et financier] en place. Arthur Sadoun, à sa nomination aura eu à faire le sale boulot que Maurice Levy refusait de faire : dégager le greffon ».
Application du principe de Peter
« Bref, le cas Fries témoigne comme beaucoup d’autres – Areva est un bon exemple – du problème de renouvellement des élites en France », témoigne un ingénieur qui dirige une grosse PME dans les nouvelles technologies. « Et leur déconnexion avec les valeurs qu’ils prônent comme le mérite et le profit. Que ça soit dans les administrations où les grandes boîtes du CAC40 dirigées par des sortants des grandes écoles et devenues le prolongement de l’Etat – même si l’élite continue à appeler cela le “privé”, un gars qui se révèle incompétent est promu… voire recasé dans une fonction de l’Etat bien payée tout en continuant à donner des leçons de morale ».
« Dans le vrai privé, les incompétents on les dégage », achève-t-il, en estimant que « les salariés et collaborateurs de l’AFP ont du souci à se faire. Mais quand ça éclatera, lui il rebondira ailleurs ». Soit 1500 journalistes, 2400 collaborateurs et un chiffres d’affaires annuel de 300 millions d’€ dont 131,5 millions d’aides de l’Etat en 2018 et 21,6 millions d’abonnements pour plus de 1100 services de l’Etat, avec une « remise de quantité » de 20%. Car en France « l’indépendance » de l’AFP est une « mission d’intérêt général » payée par les contribuables. Ce qui ne favorise guère le renouvellement des élites et la disparition de l’entre soi politico-médiatique. Un entre soi dont Fabrice Fries est le pur produit.
Crédit photo : capture d’écran vidéo MSLGroup. DR