À l’approche des élections européennes, les actions en justice contre les ténors des différents partis et contre les candidats aux élections vont bon train. Mathilde Panot, présidente du groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale, est visée pour apologie du terrorisme, et Fabrice Leggeri, troisième sur la liste du Rassemblement national aux élections européennes, est accusé de crime contre l’humanité. Quel traitement médiatique pour ces deux affaires ?
Première diffusion le 30 avril 2024
L’OJIM prend ses quartiers d’été : du dimanche 28 juillet au dimanche 25 août nous republions les articles les plus significatifs du premier semestre.
Les citations de l’attaque pour Leggeri, de la défense pour Panot
Lorsqu’une personnalité politique de premier plan, comme le sont Mathilde Panot et Fabrice Leggeri, est poursuivie en justice, les prises de positions abondent, qu’elles viennent de leurs adversaires ou de leurs alliés. Il n’est donc pas difficile pour un journaliste d’écrire un article ayant l’air relativement neutre : il suffit de reprendre des citations.
C’est ce qu’on fait l’ensemble des médias pour relater l’accusation par deux ONG, Utopia 56 et la Ligue des droits de l’Homme, de Fabrice Leggeri pour crimes contre l’humanité. Pour un résultat plus ou moins militant, avec souvent une absence de mise en perspective. Puisqu’il y a procédure de justice, que l’un se dit innocent et que les autres le disent coupable, il faut bien que certains disent la vérité et que d’autres, à tout le moins, se trompent. Il n’existe guère qu’une façon de donner plus ou moins de crédit aux citations : les faire émaner de professionnels.
C’est ainsi que l’avocate de Mathilde Panot est reprise par les médias, ainsi que celui… de la Ligue des droits de l’Homme et d’Utopia 56, qui attaquent Fabrice Leggeri. Dans un cas, la parole est à la défense (Panot), dans l’autre, elle est à l’accusation (Leggeri).
Mathilde Panot a droit à la mise en perspective médiatique
Il se trouve que mettre en perspective des accusations et éclairer les lecteurs ou auditeurs sur la culpabilité ou non de mis en cause, cela demande enquête, recherche, bref, travail journalistique. Un travail que l’on fait volontiers pour Mathilde Panot. France info, qui rapporte sobrement les prises de positions des uns et des autres quand elle traite le cas de Fabrice Leggeri, est plus prolixe pour la présidente de La France insoumise à l’Assemblée nationale. L’article explique comment sont traitées les plaintes, ce que dit le Code pénal, la définition de l’apologie du terrorisme, les peines qui menacent les coupables… Bref, tout ce qu’il faut savoir pour se faire une idée des actes reprochées à Mathilde Panot, et tout ce que l’on n’a pas pour Fabrice Leggeri. Le temps a‑t-il manqué aux journalistes, ou s’agit t’il d’une tentative pour blanchir l’un et accabler l’autre ?
Pour avoir des informations précises, lisez la PQR
Dans l’affaire de Fabrice Leggeri, on cite le communiqué de la Ligue des droits de l’homme et d’Utopia 56. Dans celle de Mathilde Panot, on s’appuie sur le communiqué de presse incriminé. Publié le 7 octobre, quelques heures après le massacre perpétré par le Hamas, il affirmait que l’attaque était « une offensive armée de forces palestiniennes », qui intervenait en parallèle, pour ne pas dire en réponse à une « intensification de la politique d’occupation israélienne à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem Est ». Une expression pour le moins maladroite. Sud Ouest note que « de nombreux élus Insoumis avaient reconnu après coup que le communiqué avait été mal rédigé. » Pourtant, quand on est l’un des premiers partis d’opposition, présent à l’Assemblée nationale et à toutes les élections, on fait attention à ce que l’on écrit.
Quand les médias aiment montrer la « non-gauche » sous un mauvais jour
Les citations, cela s’explique si l’on veut leur donner une couleur. BFMTV précise que si la gauche « a condamné » la convocation par la police de Mathilde Panot, « la majorité et la droite sont quant à elles restées discrètes ou se sont réjouies », avec citations à l’appui pour ce qui est de la majorité. Exhaustivité journalistique ou tentative de pointer les ennemis de la démocratie, qui n’ont pas le bon goût de plaindre ceux de leurs adversaires que la justice ennuie ? Laissons le bénéfice du doute, mais notons tout de même que Fabrice Leggeri n’a pas eu droit à ce type de précisions. Il faut dire que la gauche a tendance à se réjouir plus bruyamment que la droite des déboires de ses adversaires, et que le résultat n’est pas toujours de la première élégance.
Frontex : ce qui se cache derrière les accusations
Fabrice Leggeri a été directeur de Frontex de 2015 à 2019. Son mandat commence donc pendant la crise migratoire. Le budget de l’agence augmente, on engage des gardes-frontières, et on met sur pied des opérations en Méditerranée. Comme l’Union européenne doit enregistrer la demande d’asile de tout migrant arrivé sur le sol européen, il faut que les bateaux soient renvoyés sur les côtes turques ou libyennes.
Néanmoins, en Libye se trouvent des marchés aux esclaves largement approvisionnés par les bateaux de migrants qui échouent parfois sur les côtes. La Ligue des droits de l’homme et Utopia 56 estiment dont que Fabrice Leggeri a « dénaturé » Frontex en n’agissant pas correctement face aux bateaux en « situation de détresse », qu’il aurait fallu accueillir en Europe au lieu de les renvoyer sur des côtes dangereuses.
Autrement dit, la mission de Frontex ne serait pas de protéger l’Europe et les européens mais d’organiser au mieux les demandes d’asile, une dénaturation pure et simple des objectifs de Frontex.
Un dossier OJIM sur Frontex
Puisque les médias n’ont pas jugé bon de le faire, étudions l’action de Frontex et ses liens ou non avec des crimes contre l’humanité. L’agence peut affréter des avions charters pour rapatrier des migrants illégaux ou envoyer des équipes d’intervention ponctuelles aux États qui se trouveraient sous un afflux massif de migrants. Elle est conçue pour ne marcher que sur un pied et sous l’œil inquisiteur toujours malveillant de pays du nord, peu concernés par l’immigration mais très attachés aux fameux droits de l’homme. D’un côté on demande à Frontex de faire barrage à l’immigration sauvage et d’un autre côté on lui lie les mains lorsqu’elle remplit sa mission. C’est ce paradoxe qui conduira Fabrice Leggeri à démissionner de son poste.
L’Observatoire du Journalisme a publié en décembre 2022 un dossier numérique sur Frontex. Ce dossier est réservé en priorité à nos donateurs, pour tout savoir sur Frontex et Fabrice Liggeri, DONNEZ ICI.