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Fact checkers ou désinformateurs ? Trois questions à Jean-Yves Le Gallou

9 octobre 2021

Temps de lecture : 4 minutes
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Fact checkers ou désinformateurs ? Trois questions à Jean-Yves Le Gallou

Temps de lecture : 4 minutes

Fact checkers”, vérificateurs, décodeurs, désintox… Pas un média ne fait désormais l’économie de ces spécialistes, chargés de “débunker” (démystifier) les “fake news” (fausses nouvelles), que ce soit sur internet ou dans la bouche des politiques (de préférence à droite de l’échiquier). Derrière ces anglicismes se cache un appareillage militant où la neutralité passe souvent au second plan. Le dernier exemple en date, lors du débat Zemmour-Mélenchon sur BFMTV, a mis en lumière certaines de leurs pratiques mais également leurs limites.
Jean-Yves Le Gallou est essayiste, haut fonctionnaire et ancien Député européen. Depuis bientôt 10 ans, il dirige la fondation Polémia, “réservoir à idées” particulièrement actif dans le domaine de la critique média. Il anime également depuis plusieurs années l’émission I Média sur TV Libertés, offrant un décryptage de l’actualité médiatique. L’un des derniers épisodes d’I Média portait justement sur le “fact-checking”. L’Ojim a voulu en savoir plus.

Voir aus­si : Fran­ce­in­fo : le Vrai du Faux décode à pleins tubes

Vous vous êtes exprimé récem­ment à pro­pos du “fact check­ing” réal­isé par les équipes de BFMTV à l’oc­ca­sion du débat Zem­mour-Mélen­chon. Selon vous, ces “vérifi­ca­teurs” sont des dés­in­for­ma­teurs. Pou­vez-vous dévelop­per ce point ?

Le « fact check­ing », la « véri­fi­ca­tion »  des infor­ma­tions telle qu’elle est effec­tuée par les jour­nal­istes des grands médias a un dou­ble objectif :

  • per­me­t­tre aux jour­nal­istes de repren­dre le pou­voir et le con­trôle de l’information aux dépens de leurs invités, en par­ti­c­uli­er les politiques,
  • sauver le point de vue poli­tique­ment cor­rect des attaques qu’il subit et le pro­téger des assauts du réel.

J’a­jouterais que tous ces angli­cismes (“fact check­ing”, “fake news”, “debunk­age”) sont à l’image du salmigondis pré­ten­tieux en usage dans les agences de com­mu­ni­ca­tion, pour don­ner une impres­sion de sérieux, « un vocab­u­laire de spé­cial­istes qui ne peu­vent se tromper ».

Le « fact check­ing »  présente un triple biais :

  • dans le choix des per­son­nal­ités dont on véri­fie ou non les affir­ma­tions : à ce pro­pos com­bi­en de « fact check­ing » sur les déc­la­ra­tions de Véran, régulière­ment approx­i­ma­tives  et non sour­cées, sinon car­ré­ment mensongères ?
  • dans le choix des ques­tions et des sujets,
  • dans le choix des « experts » : ain­si sur la ques­tion de l’immigration pourquoi faire appel à Hervé Le Bras qui pré­tendait déjà il y a 30 ans que « l’immigration était sta­ble » et « qu’il n’y avait pas de baisse de la fécon­dité des Français­es » et non à Michèle Trib­al­at plus lucide et plus rigoureuse, sinon pour tromper l’opinion ?

Qu’est-ce qu’un bon expert ? Ce n’est pas quelqu’un qui dit des choses justes, c’est quelqu’un qui présente de manière pseu­do sci­en­tifique les affir­ma­tions poli­tique­ment cor­rectes qu’on attend de lui. Et qui lui per­me­t­tent d’être réin­vité, d’avoir un accès réguli­er aux grands médias et donc de trou­ver des édi­teurs et des spon­sors pour ses travaux.

Voir aus­si : Qui sont les « Décodeurs » ? Entre GAFAM, argent et influ­ence. Pre­mière partie

Cela pose la ques­tion plus large de l’ob­jec­tiv­ité et du devoir de neu­tral­ité : un mythe ?

Il n’y a pas d’objectivité pos­si­ble car tout arti­cle, tout reportage, tout doc­u­men­taire est « anglé » : il analyse les faits depuis un point de vue. Et celui-ci est par nature sub­jec­tif et par­tiel, sinon par­tial ! Le point de vue de la vic­time n’est pas le même que celui du délin­quant. Et un chiffre même exact n’a de sens qu’en rap­port avec d’autres chiffres.

J’ajoute que dans la pen­sée européenne – et en dehors des dogmes religieux – il n’est pos­si­ble d’approcher les vérités que par la libre con­fronta­tion des points de vue. La logique du « fact check­ing » n’est pas celle-là, c’est celle du MINIVER, le min­istère de la vérité dans 1984 d’Orwell. Les « fact check­ers » sont au ser­vice de la vérité offi­cielle de Macron.

Il faut les dénon­cer avant qu’ils n’arraisonnent le débat démoc­ra­tique : imag­inez le rôle qu’ils pour­raient jouer dans un débat de deux­ième tour de l’élection prési­den­tielle où ils ne man­queraient pas de con­firmer les dires du can­di­dat « gen­til » et de désavouer les affir­ma­tions du can­di­dat « méchant ».

Der­rière la guerre de l’in­for­ma­tion, la guerre culturelle ?

Bien sûr : c’est une guerre des représen­ta­tions. La pro­pa­gande vise à faire croire des affir­ma­tions con­tra­dic­toires : ain­si « le Grand Rem­place­ment n’existe pas »  mais « la créoli­sa­tion, c’est formidable ».

Voir aus­si : Loi sur les fake news, le point de vue de François-Bernard Huyghe : une loi idéologique

Voir aus­si : I‑Média n° 364 — Fact-check­ers : Les désinformateurs

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