C’est grâce à l’excellent site Les Crises que nous avons déniché l’entretien de Frédéric Lordon à l’ antenne de France Culture dans l’émission La Grande table du 19 janvier 2018. Frédéric Lordon, directeur de recherche en philosophie au CNRS, marxiste grand teint, collaborateur du Monde Diplomatique est aussi l’auteur d’un délicieux opus écrit en alexandrins D’un retournement l’autre : comédie sérieuse sur la crise financière en quatre actes et en alexandrins, Paris, Éditions du Seuil, 2011. Son point de vue original et iconoclaste (au sens étymologique du terme) mérite considération.
Fake news, l’envers du décor
Lordon dans une tentative de définition des fake news dénonce « l’ineptie complète du thème, destiné à sombrer dans des confusions désastreuses ». Il distingue deux plans, celui de la trivialité et celui de la catégorie. Sur celui de la trivialité les fake news ne sont que les bons vieux mensonges, les bobards, les nouvelles inventées ou déformées qui sont contraires au simple établissement des faits. Des phénomènes « vieux comme l’espace public », en particulier en période électorale. Sur le plan de la catégorie, la mode des fake news « tourne sur elle-même, devient folle, prend un caractère obsessionnel ». Si « après vérité » (post truth) était le mot de l’année 2017, « fake news » est bien parti pour être celui de 2018.
La coalition de ceux que Lordon appelle les « décodeurs à gommettes » (le Decodex du Monde financé par Google), les géants du numérique, la direction de l’État poussent dans le même sens : l’organisation du néant médiatique au service d’intérêts financiers. « La radicalité du marais » ou bien « l’extrême-centre » verrouillent le débat au profit du statu quo ou du toujours plus financier.
Les décodeurs réencodent, au profit de qui ?
La « quête de la Vérité » avec un V majuscule (comme l’empire du Bien ajoutons-nous) des médias dominants est une opération de clôture, une fermeture de choix. Puisque ceux qui n’en sont pas les sectateurs se trouvent ipso facto du côté du mensonge. Comme le disent les anglo-saxons sous l’acronyme TINA (There is no alternative), aucun choix n’est possible sinon le maintien (et l’aggravation) du désordre établi. S’il n’y a plus de choix il n’y a donc plus de politique celle ci étant l’art de choisir entre plusieurs solutions pour le bien de la communauté du peuple.
Bien plus l’opération de dénonciation des fake news va agir en miroir. Les chasseurs de fausses nouvelles vont être les premiers propagateurs de fake news. Les anti-complotistes vont utiliser les mêmes méthodes que les complotistes. In fine les décodeurs réencodent au bénéfice de ceux qui les financent. Lordon signale que les « opérations de diversion » tendent à disqualifier toute critique de la société telle qu’elle est, car « on met du ciment partout ». De quoi réfléchir plus sur le fonctionnement des médias que sur la farce des fake news.
L’entretien complet ci-après