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Retour de flamme ? La presse devant la « cri-crise » du FN

1 octobre 2017

Temps de lecture : 9 minutes
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Retour de flamme ? La presse devant la « cri-crise » du FN

Temps de lecture : 9 minutes

Souvent décrit comme indispensable et principal collaborateur de Marine Le Pen, Florian Philippot a démissionné de ses fonctions le jeudi 21 septembre 2017. La veille, Marine Le Pen avait annoncé lui conserver sa vice-présidence tout en lui retirant ses délégations. À commencer par celle relative à la communication.

Du pain béni pour une presse peu pluraliste

Rien de sur­prenant : lors de la cam­pagne pour les prési­den­tielles, la com­mu­ni­ca­tion de la can­di­date — entre rose bleue, dou­ble mon­naie et presta­tion télévisée unanime­ment con­sid­érée comme cat­a­strophique — n’a pas sem­blé être son meilleur atout. Ce retrait de délé­ga­tion ne pou­vait donc éton­ner. Pas plus que le départ de Philip­pot : la « cri-crise » du 21 sep­tem­bre 2017 appa­rais­sant plutôt, dans les médias, comme le dénoue­ment de diver­gences irré­c­on­cil­i­ables. La démis­sion de Philip­pot est en général analysée comme une clar­i­fi­ca­tion entre une ligne plutôt « à gauche » et une ligne plutôt « à droite ». La majorité des médias s’étant cepen­dant inter­rogée sur la posi­tion per­son­nelle de Marine Le Pen, perçue comme idéologique­ment proche de celle de son ancien col­lab­o­ra­teur. Le 27 sep­tem­bre, une semaine après la crise, l’hebdomadaire Minute relève encore ce fait, reprenant des pro­pos où Marine Le Pen affirme ne pas vouloir « chang­er de ligne ». Reste que pour la majeure par­tie des médias, le départ de Philip­pot, présen­té comme un « divorce », procède bien d’une clar­i­fi­ca­tion poli­tique au sein du FN. En gros entre « patri­otes » (qui seraient philip­po­tistes) et « nation­al­istes » ou « iden­ti­taires », qui seraient « marin­istes » ou « vieux FN » — ou encore « marionistes ».

2017 : sur les médias, tu démissionneras ou tu vireras

La sim­pli­fi­ca­tion et la machine à « re-dia­bolis­er » le FN a ain­si repris son rythme de croisière. Dans la foulée d’une démis­sion annon­cée sur le plateau mati­nal des « 4 Vérités », sur France 2. Philip­pot dénonce « un retour du FN à ses vieux démons ». Marine Le Pen répond lors de Ques­tions d’Info — émis­sion poli­tique de LCP, Fran­ce­in­fo, Le Monde et l’AFP —, con­tes­tant « l’habillage » don­né à la crise par le démis­sion­naire. La « mon­tée des ten­sions », selon elle, s’était accen­tuée depuis le 18 sep­tem­bre et se dévelop­pait par médias inter­posés. Ce pre­mier fait est en soi intéres­sant : en 2017, la vie interne du 2e par­ti poli­tique de France se règle sur les plateaux de télévi­sion. Les con­di­tions du divorce s’étalent sur RMC, France Inter, RTL, France 2, CNews ou LCP. Et sans doute n’est-ce qu’une prémisse des évo­lu­tions à venir de la vie poli­tique française, dans sa rela­tion à la sphère médi­a­tique. Cette dernière ne lési­nant pas sur la drama­ti­sa­tion, Fran­ce­in­fo évo­quant ain­si une ambiance de « longs couteaux » afin de main­tenir la reduc­tio ad hitlerum usuelle­ment pra­tiquée dans les médias français au sujet de la droite française non libérale, patri­ote et/ou souverainiste.

Une démission en forme de clarification ?

Le 21 et le 22 sep­tem­bre, la majorité des médias insiste sur trois axes. La crise au sein du FN serait en pre­mier lieu liée au résul­tat « désas­treux » des prési­den­tielles, pour Le Figaro par exem­ple. Mais aus­si à la ligne « antieu­ropéenne » de Philip­pot et à la volon­té du FN de se recen­tr­er sur ses fon­da­men­taux (anti-islamisme, lutte con­tre l’immigration). Nico­las Bay a beau faire le tour de l’ensemble des plateaux de télévi­sion pour expli­quer que les fon­da­men­taux en ques­tion n’ont jamais quit­té le pro­gramme de son par­ti, cette vision de la crise s’impose partout. Bay n’est guère aidé par des médias ne ten­tant à aucun moment de com­pren­dre pourquoi ce par­ti est non pas anti mais « alter » européen, ni en quoi immi­gra­tion mas­sive et islami­sa­tion de la société posent prob­lème pour les Français. Au quo­ti­di­en. Ces médias sont pour­tant infor­més qu’environ 30 % des Français votent régulière­ment pour des can­di­dats du FN. Le Figaro insiste sur la volon­té de Flo­ri­an Philip­pot de men­ac­er le lead­er­ship de Marine Le Pen et sur son désir de diriger un mou­ve­ment poli­tique. Dans son édi­tion datée du 22 sep­tem­bre 2017, Le Monde insiste quant à lui sur l’échec de la « dédi­a­boli­sa­tion du FN », par­ti qui n’aurait sur le fond pas évolué. Autrement dit, serait xéno­phobe et raciste. Ce mantra s’impose immé­di­ate­ment. Tout comme cet autre, mis lui aus­si en Une par Le Monde : la démis­sion de Philip­pot analysée comme vic­toire en interne des « iden­ti­taires » ouvri­rait la porte à un retour de Mar­i­on Maréchal-Le Pen — ce qu’une source proche de cette dernière nous dit être « pro­fondé­ment ridicule ». Le chif­fon « iden­ti­taire » se met ain­si en place, ain­si que l’annonce d’un nou­veau grand dan­ger en la per­son­ne de Mar­i­on Maréchal-Le Pen. Ain­si, la « clar­i­fi­ca­tion » serait celle du départ des « mod­érés » du FN, poussés à la porte par les « vieux démons d’extrême droite ». En gros : on vous l’avait bien dit, le FN c’est tou­jours le dia­ble. La preuve par les mal­heurs de Philip­pot. Le Monde évoque même un « retour à la case départ ». Pour Le Parisien du 22 sep­tem­bre, le FN tra­verserait une « crise d’identité loin d’être ter­minée » depuis le départ de Mégret à la fin du siè­cle passé. « Mégret » ou le mot qui dans la presse réfère à une droite iden­ti­taire racial­iste, etc. Les mêmes argu­ments se retrou­vent dans La Croix, Libéra­tion ou L’Opinion. À se deman­der si des élé­ments de lan­gage n’ont pas cir­culé entre les rédac­tions. Mais est-il besoin que de tel élé­ments cir­cu­lent quand les jour­nal­istes se pré­ten­dant spé­cial­istes de « l’extrême-droite » sont tous for­matés de la même manière ?

Les vieilles biques des médias parlent d’une même voix

Ce même 22 sep­tem­bre, Libéra­tion exulte : « Philip­pot s’en va, Le Pen aux abois ». Finesse intel­lectuelle et jour­nal­is­tique habituelle de ce quo­ti­di­en. Le jour­nal reprend les prin­ci­paux axes et mantras de ses con­frères mais insiste sur d’éventuels reproches faits à Philip­pot, comme son « homo­sex­u­al­ité ». Libé ne peut évidem­ment pas man­quer l’invective d’homophobie, sans pour autant remar­quer que d’autres cadres du FN ont fait leur com­ing out sans pour autant sem­bler en rup­ture avec leur par­ti. Remar­quer cela, au sujet de Chenu par exem­ple, serait hon­nête — une mar­que de fab­rique éthique qui n’est pas celle du quo­ti­di­en dirigé par Jof­frin. Ici, l’argument d’une re-dia­boli­sa­tion du FN est exem­plaire du sto­ry-telling des médias offi­ciels à l’égard du FN, par­ti pour­tant homo­logué par la République. Le mantra est aus­si à la Une de C dans l’air, au soir du 21 sep­tem­bre, lors d’une émis­sion réu­nis­sant des inter­venants qui pensent tous la même chose, sans qu’aucune parole con­tra­dic­toire ne paraisse à l’écran. C’est pour­tant, selon France Télévi­sions, une émis­sion de « débats ». On y « débat » donc entre Christophe Bar­bi­er de L’Express, Pas­cal Per­rineau, poli­to­logue, Françoise Fres­soz, du Monde et Brice Tein­turi­er, directeur d’Ipsos. Le tout sous la houlette de Car­o­line Roux et Bruce Tou­s­saint. Autrement dit, entre ana­lystes pen­sant la même chose, à un iota près, et qui pour la plu­part étaient déjà là sous Mit­ter­rand. Jour­nal­istes préhis­toriques en somme, ayant longue­ment con­tribué à dia­bolis­er le FN, tout en sachant per­tinem­ment que l’idéologie de ce par­ti ne réfère à rien de plus qu’à la droite au sens con­ser­va­teur du terme. .

Qui décroche le pompon de la diabolisation ?

Incon­testable­ment BFMTV, dont le rôle dans l’ascension de Macron n’est plus à démon­tr­er. Dans le con­texte de la « cri-crise du FN », le pom­pon de la dia­boli­sa­tion à out­rance revient à Apolline de Mal­herbe et à son émis­sion domini­cale BFM Poli­tique, dont Philip­pot était l’invité. Après lui avoir don­né la pos­si­bil­ité d’exposer son point de vue, Apolline de Mal­herbe ne peut s’empêcher d’interroger le démis­sion­naire sur les pro­pos de Mélen­chon quant à la pré­ten­due rue qui aurait abat­tu le nazisme. Nous sommes à 20 min­utes de la fin de l’émission. La volon­té de la jour­nal­iste d’emmener Philip­pot sur le ter­rain des « Années 30 » est alors man­i­feste. Elle dit avoir trou­vé un « homme qui vous est proche, qui est l’assistant par­lemen­taire de Sophie Mon­tel et dont des cap­tures d’écran cir­cu­lent, cap­tures qui par­lent d’Elk­a­b­bach ». Elle cite « Quand j’écoute Elk­a­b­bach, il m’arrive de devenir plus anti­sémite que Soral. Préchauf­fez le four à 260 degrés pour une cuis­son à point ». Ques­tion d’Apolline de Mal­herbe, dont le minois se fait grave : « Cet homme est-il proche ou mem­bre des Patri­otes, et de Sophie Mon­tel ? ». Philip­pot rec­ti­fie la fake news de la jour­nal­iste en lui indi­quant que cet homme n’est plus assis­tant par­lemen­taire de Sophie Mon­tel. La jour­nal­iste insiste, Philip­pot explique : « Il n’a aucune respon­s­abil­ité dans mon asso­ci­a­tion, posez-lui la ques­tion ». Insis­tance vrai­ment gênante d’une jour­nal­iste inter­ro­geant Philip­pot sur les pro­pos sup­posés d’un homme qui n’est ni mem­bre ni adhérent des Patri­otes. Volon­té de ramen­er Philip­pot aux vieux démons de l’extrême-droite et de le dia­bolis­er sur la base de rumeurs et de pré­ten­dues infor­ma­tions non véri­fiées. Ce qu’elle essaie de faire dire à son invité : « Si c’est du sec­ond degré, c’est accept­able ». Ubuesque ten­ta­tive de re-dia­boli­sa­tion de l’ex FN Philippot.

La crise ? La semaine d’après

Pour­tant, de re-dia­boli­sa­tion, il ne peut en réal­ité y avoir. Pourquoi ? Le FN n’a jamais été dédi­a­bolisé dans des médias. L’entre-deux tours des récentes prési­den­tielles l’a mon­tré. Les exem­ples sont nom­breux, le plus fameux étant L’Entretien poli­tique mené le mar­di 28 mars 2017 par David Pujadas sur France 2. Au cours de ces 30 min­utes, Pujadas a ten­té de trans­former la can­di­date en anti­sémite masquée. Peut être n’est-il pas allé assez loin puisqu’il a été récom­pen­sé par une évic­tion au cours de l’été. Il est vrai que la patronne de France 2 explique sou­vent avoir des dif­fi­cultés avec les « mâles blancs européens ».

Huit jours après, l’émission Grand Angle de BFMTV revient sur la démis­sion de Philip­pot. Le reportage con­duit le téléspec­ta­teur à Moissac, Montceau, Dijon et dans le Gard. Il en ressort exacte­ment la même chose que l’ensemble de ce que la presse racon­te depuis le 21 sep­tem­bre : la démis­sion de Philip­pot serait le signe d’une rad­i­cal­i­sa­tion de l’entourage de Marine Le Pen. Philip­pot est con­sid­éré comme une vic­time, et bien sûr la per­spec­tive du retour d’une per­son­nal­ité sup­posée très rad­i­cale, Mar­i­on Maréchal-Le Pen, est évo­quée. Un point est extra­or­di­naire : la jeune jour­nal­iste présen­tant cette émis­sion d’apparence sérieuse expose le som­maire et dit « nous irons aus­si dans le nord où un jeune mil­i­tant proche de Philip­pot a décidé de déchir­er sa carte du FN ». Elle par­le d’un respon­s­able de Saône-et-Loire, autrement dit plutôt du sud, par rap­port au stu­dio parisien où elle offi­cie… mais sem­ble ignor­er que Montceau-les-Mines, car c’est de cette ville qu’il s’agit, ne se situe pas dans les Hauts-de-France. De quoi s’inquiéter de l’état de la for­ma­tion des jour­nal­istes ? BFMTV ? Encore un effort pour que l’écran ressem­ble à du journalisme !

Finale­ment, que retenir de tous ces arti­cles et ces plateaux tv ou stu­dios radio durant plusieurs jours ? Pour… quoi ? Au sujet de la crise au sein du FN, les médias n’ont fait que brass­er du vide et répéter des mantras « antifas » usés jusqu’à la corde. Quand elle par­le du FN, la presse française ne sort jamais grandie.

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