Première diffusion le 27 avril 2023
Est-ce pour allumer un contre feu de paille que Marlène Schiappa a fait la une de Playboy ? C’est la question que l’on peut se poser lorsqu’on voit comment enfle la polémique autour de l’usage du fonds Marianne. Nouveau volet de l’affaire : nos amis les fact-checkeurs, si prompts à sauter sur les conflits d’intérêts lorsqu’ils concernent de l’argent russe, semblent avoir touché leur billet à l’occasion.
Origines de la création du fonds Marianne
Rappelons les faits. En octobre 2020, Samuel Paty, enseignant à Conflans-Sainte-Honorine, est sauvagement assassiné par un islamiste tchétchène pour avoir montré des caricatures de Mahomet dans son cours. Un tel acte, profondément choquant, appela naturellement une réaction politique. Celle-ci se fera par la voix de celle qui est alors ministre déléguée à la citoyenneté auprès de Gérald Darmanin : Marlène Schiappa. Le 20 avril 2021, Schiappa annonce sur le plateau de BFMTV la mise en place d’un fonds Marianne pour combattre les discours « séparatistes » et défendre les valeurs républicaines sur les réseaux sociaux et les plateformes en ligne. Deux ans après cette annonce, le 29 mars 2023, Marianne et France 2 révèlent que ce fonds, d’un montant de 2,5 millions d’euros, a été dilapidé dans des associations sur des motifs douteux, ou peu en adéquation avec sa vocation initiale.
Des associations hors objet bénéficiaires
Pour beaucoup de responsables associatifs, la manière dont ce fonds a été réparti manque de transparence. Ce sont dix-sept associations qui ont bénéficié de ce fonds. Lesquelles ? Cela ne vous regarde pas, a répondu le ministère de l’Intérieur, en contradiction avec la loi. Par ailleurs, le délai de depôt de candidature, de seulement trois semaines, réduisait les possibilités. À moins d’avoir déjà le dossier sur le bureau du ministre. La palme d’or, avec près de 340 000 euros, revient à l’Union d’éducation physique et de préparation militaire, UEPPM. Le cas de cette association a déjà fait l’objet d’une enquête de la part de Marianne [1].
Avant de développer plus amplement, notons que France 2, le service public, a participé à ébruiter cette affaire, ce qui est surprenant, comme l’a noté Jean-Yves Le Gallou sur le plateau de TVLibertés.
Conspiracy watch, 60.000 euros dans la poche
Ces révélations sont venues s’ajouter à d’autres : Rudy Reichstadt, le pseudo spécialiste du fact-checking, a bénéficié, au bas mot, de 60 000 euros de ce fonds pour son association Conspiracy Watch. La polémique prenant du poids, Libération s’est penché sur le sujet et l’article vaut le détour. Dans l’introduction, l’article s’interroge sur la véracité des accusations en précisant que c’est « ce que laisse entendre un thread Twitter publié par une internaute, dimanche 16 avril. Une accusation relayée entre autres par Myriam Palomba, une figure complotiste ». Notons le ton interrogatif alors que Reichstadt a admis sur son propre compte Twitter, le même jour, avoir perçu cet argent.
Une rhétorique qu’a aussi reprise Rudy sur Twitter en accusant ceux qui parlaient de cette affaire de complotisme (pour changer), et qui en a profité pour promouvoir son dernier livre à paraître.
« Mise à jour de notices » = 60.000 euros
Le patron de Conspiracy Watch a adopté une défense qui exploite — en toute mauvaise foi — les failles du fonds. Il déclare que « Nous, on conçoit la radicalisation sous toutes ses formes. Il est très clair pour le CIPDR (Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, organisme en charge de la distribution du fond), dans les échanges qu’on a eus, que ce sont tous les séparatismes qui sont concernés. Le terrorisme c’est l’islamisme, mais aussi l’ultra droite ! »[2].
Sans surprise donc, Reichstadt nous sort le vieux couplet de l’ultra-droite. Il ajoute plus loin que : « Le conspirationnisme est l’un des dénominateurs communs à toutes les sphères extrémistes. Son rôle de passerelle dans le processus de radicalisation et de séparatisme est bien documenté »[3].
Cependant, comme le souligne malgré tout Libération, le contenu posté par Conspiracy Watch n’a pas bougé d’un iota malgré la subvention. Avec ce fonds, le site a publié 81 notices et en a mis à jour 142. Le thème dominant est resté celui de la pandémie de coronavirus. Les mauvaises langues diront que ça fait cher la fiche ou la notice. Pour couronner le tout, sur son site, Conspiracy Watch n’indique absolument pas avoir reçu cet argent. Si l’on va dans l’onglet des partenaires, on trouve la fondation pour la mémoire de la Shoah, la DILCRAH, mais pas le fonds Marianne ou le CIPDR, alors que cette page a été mise à jour en septembre 2022.
Un peu de sous via les vidéos de la LICRA en supplément
Le sieur Reichstadt apparaît également dans d’autres bénéficiaires du fonds. Il intervient dans le projet de vidéos qu’a pu financer la LICRA grâce aux 95 000 € reçus par le fonds Marianne. Il apparaît dans deux d’entre elles sur le complotisme, et également dans une série de vidéos publiées sur la chaîne LCP intitulée Conspirations ?
Comme le note l’ensemble de la presse, la majorité des organismes financés par ce fonds n’ont pas fait de projet en lien avec l’islamisme, la cause de la mort de Samuel Paty. Pour le reste, on trouve beaucoup d’associations ayant un lien avec l’éducation aux médias ou l’anti-complotisme, voire des associations ayant eu une activité pro-Macron.
Des associations « amies » favorisées
Ainsi, la LICRA (95 000 €) a développé son campus numérique et a produit du contenu pédagogique ; Civic Fab (335 000 €, second plus gros chèque) a développé des projets encourageant l’esprit critique et luttant contre les discours de manipulation, et a également mis en place un programme autour de la question de la colonisation ; l’Institute of Strategic Dialogue (80 000 €) a réalisé une cartographie sur la désinformation et a fait des projets de recherche sur les mobilisations d’extrême droite (sic) sur les réseaux sociaux ; Spicee (60 000 €), la plateforme de Thomas Huchon, a produit du contenu pédagogique à destination des écoles ; Lumières sur l’info (50 000 €) a fait une série de vidéos à propos de la vérification des informations et des sources ; Génération numérique (25 000 €) a fait une série sur la désinformation et, enfin, La chance pour la diversité dans les médias (20 000 €), s’est contentée de promouvoir son programme habituel d’éducation aux médias.
Détournements en série et flou lexical
Comme le constateront nos lecteurs assidus, éducation aux médias et lutte contre la désinformation occupent une bonne place dans les dotations de ce fonds Marianne. Comment un tel gaspillage d’argent public est-il possible ? Les projets ne correspondent pas à la vocation initiale du fonds à première vue. Et pourtant, grâce à un flou lexical, déjà exploité par Reichstadt pour se défendre, le patron du CIPDR en charge de la distribution, Christian Gravel, l’a justifié en disant que : « le concept de séparatisme se définit par la volonté d’un groupe d’individus d’engager un processus de rupture, voire de sécession, sur le plan territorial, en opposition aux institutions et aux valeurs républicaines »[4]. Pas étonnant qu’avec une définition pareille, utilisée pour ne pas stigmatiser l’islamisme, les bénéficiaires du fonds soient aussi éloignés des causes de la mort de Samuel Paty. Avec la rhétorique de Gravel, si le fonds avait permis de lutter contre les régionalistes bretons, on aurait été en plein dedans. Une autre explication plus simple : beaucoup d’associations ont reçu des sommes de ce fonds en lieu et place des subventions habituelles du CIPDR. Ce qui explique le délai rapide pour candidater, si la liste des bénéficiaires était déjà établie auparavant,
La mort d’un enseignant permet une levée de fonds afin de financer ceux qui dénoncent les assassins de l’assassiné. Notons que la famille Paty a demandé une enquête afin de savoir à quoi avait concrètement servi l’argent du fond. Espérons qu’ils soient entendus.
Notes
[1]Marianne, 29 mars 2023
[2]Libération, 19 avril 2023
[3]Ibid.
[4]Libération, 19 avril 2023