C’est un véritable « pari », selon les informations diffusées par France 2, celui d’un JT qui « prend le temps » : depuis le 9 septembre 2024, le JT de France 2 dure donc près d’une heure, de 20 heures à presque 21 heures. L’information est venue du directeur de l’information du groupe audiovisuel public France Télévision, Alexandre Kara.
De quoi s’agit-il ?
Selon Alexandre Kara, la grand-messe du JT à l’ancienne, devenue poussiéreuse il est vrai, comparativement par exemple au dynamisme des chaines d’information en continu, critiquable sur bien des points par ailleurs, a vocation à être remplacée par ce nouveau format pour « mieux comprendre le monde qui nous entoure, mieux assimiler le flux permanent de l’actualité ». Une manière sous-entendue de prétendre à un sérieux journalistique que n’auraient pas les chaînes d’information en continu, souvent considérées comme des chaînes d’opinion s’adaptant au gré du vent — ce qui a été évident avec les évolutions de BFMTV .
Le JT nouveau format est présenté par Anne-Sophie Lapix en semaine et Laurent Delahousse le week-end, des choix qui donnent le ton : l’information de France 2 ne devrait pas trop bousculer le politiquement correct. Avec de tels choix, même si le JT peut être plus intéressant en soi, ce qu’il est d’ailleurs, des lignes rouges sont immédiatement apparues dès le lundi 9 septembre 2024.
Voir aussi : Anne-Sophie Lapix, portrait
Nous avons regardé la grande première de ce nouveau JT
Un décor moderne, une présentatrice élégante toute de rouge vêtue, un immense écran en permanence derrière elle, un ensemble qui affiche une grande modernité. Le décor est agréable, bien conçu, donne envie, s’annonce immédiatement concurrentiel des chaînes d’information en continu. Soyons honnête : d’un coup, le nouveau JT dépoussière l’ancien et donne le sentiment que les plateaux des chaînes d’information en continu viennent de prendre un petit coup de vieux. C’est plutôt réussi de ce point de vue.
De même, le nouveau JT est rythmé, les enchaînements se font bien, l’alternance des types et des formes de sujets, courts et reportages par exemple, tout cela fonctionne plutôt bien aussi. La preuve, cette heure de JT passe assez vite devant les yeux du téléspectateur.
Alors où le bât blesse-t-il ? La question est celle du contenu.
Le premier sujet donne le ton. Il s’agit de jouer dans « la cour des grands » de l’information. Comment ? En venant concourir sur les plates-bandes des deux principales chaînes d’information en continu, CNews et BFMTV. De ce fait, pour son lancement, le nouveau grand JT de France 2 s’ouvre sur le fait divers du moment. C’est la Une : l’agent municipal tué par un chauffard en fuite à Grenoble. Ton dramatique, parole donnée à la famille, un frère, et à des collègues ou amis de la malheureuse victime, en larmes. Le mot ensauvagement de la société n’est évidemment pas utilisé sur la chaîne du service public mais l’idée est volontairement présente à travers le témoignage d’une habitante expliquant qu’elle n’en peut plus de la drogue ou des armes et que, si elle le pouvait, elle quitterait Grenoble. Sur place, un envoyé spécial survient soudain pour dire que la police annonce tout juste qu’un suspect est identifié, sans plus de précision. Bien sûr, la ficelle est grosse et il s’agit de nous tenir en haleine. Le choix de cette Une et la mise en scène larmoyante et dramatique du fait divers ne doivent rien au hasard : la télévision publique semble avoir reçu comme cahier des charges de traiter les sujets de façon à reprendre la main sur un public considéré comme trop enclin à écouter des chaînes que l’ARCOM surveille de plus en plus près.
Budget, économie et reportages
Le second sujet concerne le budget. C’est rapide. Des milliards manquent, il va falloir que le premier ministre Michel Barnier trouve l’argent. La parole est donnée à la gauche ainsi qu’aux républicains. D’après le journaliste, « La taxation des superprofits des grands groupes de l’énergie pourrait faire consensus ». Pas un mot sur la façon dont ces groupes compenseront. En augmentant et donc en faisant payer plus les consommateurs peut-être ? Nous n’en saurons rien. Par contre, le téléspectateur est invité à un rapide détour par Bruxelles, le temps d’apprendre que l’Union Européenne aidera sans doute un Barnier (qui a ses entrées). Le nouveau premier ministre ne sera plus évoqué, sa nomination est actée pour France 2, il semble être le bon choix. Le bon homme au bon endroit, au bon moment, en somme.
Immédiatement, le JT saute sur un autre sujet économique : tout va bien. C’est un journaliste spécialisé qui, debout lui-aussi, le dit les yeux dans les yeux à Anne-Sophie Lapix. L’enthousiasme est causé par la baisse des prix du gaz, de l’essence et de l’électricité, démontrée ici par une comparaison sur deux ans et sans préciser que les prix d’il y a deux ans étaient pour le moins extraordinaires.
Enchaînement direct par un reportage racoleur dans Paris au sujet des escrocs qui proposent de faux diagnostics DPE pour les logements. Un bel instant de sous-information, même si le phénomène existe, destiné à récupérer un peu de lectorat dans les chaumières. C’est que la télévision publique (et donc l’Etat) s’occupe de nos problèmes concrets. Mieux, elle dénonce ceux qui font de l’argent sur notre dos, fussent-ils, comme dans le sujet suivant, de hauts-gradés de l’armée ayant eu la fâcheuse idée de favoriser une entreprise créée par un militaire au moment de divers déploiements de troupes françaises. Hop ! On enchaîne ! Quelques secondes sur quatre alpinistes disparus dans le Mont Blanc, puis viennent les coulées de boue de la Vallée d’Aspe : sous nos yeux, un groupe de brasseurs victimes, aux habitations coupées du monde (mais pas des journalistes de France 2), explique comment leur brasserie et leur maison ont été détruites en une heure. Ambiance et ton dramatiques. Pas au point cependant d’évoquer le changement climatique, ce n’est plus le genre de la maison. France 2 ne s’intéresse plus aux mêmes lièvres.
Être plus proches des français ?
C’est la vraie grande nouveauté : être vraiment proche des Français. Pourquoi ? Sans doute car ils doivent mal voter. Alors, aux Français France 2 décide, sujet suivant, de parler d’ovins et de bovins, pas ceux qui sont victimes (ainsi que leurs propriétaires) de quatre épidémies depuis un an, non, plutôt le bétail transporté par des bétaillères sur des cargos délabrés et trop âgés pour naviguer. Il fallait trouver un tel fait divers. C’est un ample reportage, avec détails, plans de coupe, images satellite etc. Des cadavres, quatre, ont été trouvés sur des plages depuis un an. Ils proviennent de bétaillères sur lesquels les animaux sont maltraités, ce qui est exact, en route vers le Moyen-Orient. Le JT prend deux exemples précis et sanguinolents à souhait. À éviter de regarder pendant le repas. Le phénomène est grave : on a trouvé un cadavre sur la plage de Crozon… Sur les 2064 bestiaux comptabilisés au départ dans les cales d’un ancien transporteur de voitures, il n’en reste que 2060 à l’arrivée… Une précision finale : les navires peuvent mettre à l’eau d’éventuels cadavres, si une distance normative de l’Union Européenne est respectée.
À grand JT, grands reportages donc — et grands entretiens. Le moment est venu de parler de la cérémonie de clôture des Jeux Paralympiques. Le sujet est rapide, avec de belles images, rien, évidemment, sur les longs sifflets à l’encontre d’Emmanuel Macron, au moment de sa présentation au public. Le but est d’en venir à l’invité. Pour un démarrage, France 2 frappe fort en ayant l’homme du moment à sa table (ce n’est pas le premier ministre) : Tony Estanguet. Entretien sympathique. Conclusion : Lapix essaie de le pousser à dire qu’il va se lancer en politique. Tout son être montre qu’elle en rêvait. Il ne l’a pas fait. Raté.
La fin approche. Il est vrai que le JT est riche en nombre de sujets. Viennent ensuite : les mésaventures de Kate Middelton (la parole est donnée à une spécialiste anglaise de la famille royale tandis que sont diffusées des images officielles incroyables, issues de La petite maison dans la prairie (?), dignes de Paris Match), celles de la capsule starliner et de Boeing (Space X est cité mais le nom d’Elon Musk évité), un rapide tour aux Etats-Unis et donc en Pennsylvanie pour évoquer le débat présidentiel à venir puis c’est le grand moment, la grande nouveauté : « Le Grand Format du 20 heures ».
Grand format un peu petit
Le Grand Format ? Un très grand reportage en situation. Pour lancer le nouveau JT, il s’agit du reportage réalisé par Anaïs Hanquet dans le Donbass. Plus précisément dans une petite ville tandis que les habitants évacuent, l’armée russe avançant chaque jour. Musique dramatique, à la limite d’une mauvaise bande originale de mauvais film, témoignages éprouvant (à l’évidence mis en scène cependant), départ de la reporter vers la ligne de front présenté comme une sorte de hasard (qui croit que l’armée ukrainienne laisse circuler des journalistes de manière hasardeuse ?), extinction des feux de la voiture, la journaliste chuchote… Les soldats guident alors des drones pour donner des informations à l’artillerie. Le reportage donne à voir mais n’informe guère : il n’y a aucune contextualisation. Personne pour expliquer en quoi la situation du Donbass est singulière dans cette guerre. Enchaînement sur Kourk, et là aussi, sans contexte.
Que conclure ?
Le nouveau JT de France 2 est formellement bien construit, rythmé, avec des intervenants (qui n’expliquent pas grand-chose de précis mais ils sont là), soucieux d’en donner pour leur argent aux Français, en temps et en nombre de sujets ou de reportages. La télévision publique et l’Etat (donc, nous) sortent les grands moyens pour reprendre la main sur l’information. Il n’est pas impossible que la naissance de ce nouveau JT soit liée au développement actuel des pouvoirs de l’Arcom. Pour cela, le JT est moderne, aguicheur, racoleur, en apparence sérieux (ainsi le grand reportage sur le Donbass censément sérieux est concrètement vide). Il apparaît assez clairement que ce JT est destiné à déclamer la parole officielle. Il laisse d’ailleurs une drôle d’impression en évitant de développer les questions de politique française ou en passant sous silence les sifflets contre Emmanuel Macron. De même en n’évoquant pas du tout le conflit entre Israël et le Hamas. Un drôle de silence.