L’élection présidentielle américaine approche à grand pas. Plus de 240 millions d’électeurs sont convoqués pour le scrutin du 5 novembre 2024, opposant Donald Trump et Kamala Harris. Une grande partie de ces électeurs aura même voté par avance, le système électoral américain étant une somme de particularismes locaux. Cette élection est évidemment loin d’être anodine à l’échelle mondiale et à l’évidence, les médias français de grand chemin ont choisi leur camp depuis belle lurette : Kamala Harris. Et ils s’en donnent à cœur joie depuis des semaines.
Un exemple : le traitement des trad wives par l’émission Envoyé spécial de France 2
Envoyé spécial est une émission de France 2 présentée par Élise Lucet et diffusée tous les jeudis soir à 21 heures 10. Le type même de l’émission du service public qui prétend à la neutralité de l’information tout en étant pourtant clairement engagée à sens unique.
Présentation de l’émission Envoyé spécial :
« Chaque semaine, le magazine est au cœur de l’actualité avec un invité inédit “embarqué” avec Élise Lucet pour un témoignage choc sur ce qui fait l’événement. Avec, aussi, des grands reportages pour mieux faire comprendre le monde et ce qu’il devient, des “histoires humaines” et des enquêtes pour approfondir ce qui a fait l’actualité. Et toujours des reportages à l’étranger pour emmener le téléspectateur où il ne peut pas aller. En bonus, dans une “suite”, ceux qui ont marqué “Envoyé spécial” par leur histoire ou leur action viennent dire ce qu’ils deviennent. »
Le 10 octobre 2024, l’émission était, entre autres, consacrée aux trad wives. Le sujet est présenté ainsi sur la plateforme de replays de france.tv :
« Un reportage de Julie Benzoni, Manon Heurtel et Jérôme Prouvost / Kraken Films.
Près de dix ans après la vague #MeToo sur Twitter, un autre mot-dièse a fait son apparition sur les réseaux outre-Atlantique, le #tradwives : “femmes traditionnelles”. Cette tendance, mise en avant par plusieurs stars d’Instagram, prône un retour strict aux valeurs traditionnelles : la femme reste à la maison et s’occupe du foyer, pendant que l’homme travaille et subvient aux besoins de sa famille. La soumission de la femme à son mari et le rejet du féminisme sont deux piliers forts de ces familles aux répartitions des tâches ultra-genrées. Solie et André, un couple de trentenaires catholiques pratiquants, ne peuvent imaginer vivre autrement. Solie ne prend pas de décisions au sein du couple et se plie aux besoins, même intimes, de son mari. Porté par les réseaux sociaux, leur mode de vie fait aujourd’hui de plus en plus d’émules. »
Cet extrait de la présentation en particulier donne clairement le ton :
« un retour strict aux valeurs traditionnelles : la femme reste à la maison et s’occupe du foyer, pendant que l’homme travaille et subvient aux besoins de sa famille. La soumission de la femme à son mari et le rejet du féminisme sont deux piliers forts de ces familles aux répartitions des tâches ultra-genrées. »
Sur de telles bases, le téléspectateur ne doit pas s’attendre à une présentation nuancée du phénomène, pas même neutre, plutôt à un reportage de combat contre une forme d’obscurantisme — de l’avis du progressisme journalistique uniforme en vigueur. Le mot « soumission » est particulièrement fort. Comme si le choix de vie de femme au foyer, ne correspondant à l’évidence pas à la vision du monde des auteurs du reportage, ne pouvait avoir une quelconque valeur simple et normale ? Une femme choisissant, avec son mari, de vivre ainsi est-elle par nature soumise ? Pourquoi ? Notons que lors des reportages du service public au sujet de l’islam, religion de la soumission par excellence, l’accent est souvent mis sur l’idée d’un choix volontaire des femmes, par exemple en ce qui concerne le port du voile, par souci de prétendue liberté. Deux poids deux mesures donc. Il est vrai que les trad wives sont plutôt enclines à voter pour le grand méchant loup, Donald Trump.
Ce que nous dit le reportage d’Envoyé spécial
Élise Lucet se trouve à Annapolis, à 50 kilomètres de Washington, « dans un État plutôt modéré et… la messe va commencer dans quelques minutes ». Lucet annonce cela comme un évènement sans pareil. Aux États-Unis, c’est en réalité plutôt banal. Interview d’un couple. Lucet demande s’ils ont entendu parler des trad wives. La femme est favorable car cela donne plus de stabilité à la famille et à l’éducation des enfants. Autre interview :
« Oui, elles sont dingos d’après ce que j’en sais. »
Une fois cette introduction passée, Élise Lucet annonce que nous allons rencontrer des trad wives :
« Elles sont anti féministe, anti avortement, elles ne travaillent pas et au quotidien elles ont décidé de se soumettre aux souhaits de leurs maris. Un atout pour le camp Trump ».
Direction San Diego :
« On se croirait revenus dans les années 50 chez les de LaRosa. »
Le père de famille part au travail, sa femme s’occupe de la maison et des deux enfants. Elle affirme avoir toujours voulu vivre cette vie « genrée » et « jouer à l’épouse parfaite ». Elle n’a que 27 ans et elle réalise son rêve : être femme au foyer. La pilule est amère pour une journaliste française. Encore pire : elle affiche sa vie de trad wife, épouse traditionnelle, sur les réseaux sociaux. Et elle a plus de 1,5 millions d’abonnés sur Instagram et TikTok, ce qui lui rapporterait près de 20 000 euros par mois. Elles s’habilleraient comme des princesses ou des poupées, seraient des dizaines, certaines devenues de véritables stars, comme Lara Smith et ses 8 millions d’abonnés.
Pour Envoyé spécial, ce n’est pas une tendance mais un projet de société visant à gagner une guerre de la culture. Cela « s’inscrit dans un mouvement bien plus large, plus politique, celui d’une Amérique qui se replie sur elle-même. Elle est traditionnelle, chrétienne et ultra-conservatrice » (le mal absolu, en somme, vu depuis les salles de rédaction parisiennes). Pire : elles « remuent » l’Amérique car elles votent Trump.
Direction la Floride. Une autre trad wife « qui fait réagir la toile ». Que dit-elle ? Il y aurait, selon elle, trois choses à faire afin « d’avoir un mariage heureux » : faites souvent l’amour, priez ensemble et « soumettez-vous à votre mari » (c’est donc le cas exemplaire qui autorise la généralisation évoquée plus haut). Une phrase en passant :
« Évidemment que je suis contre le féminisme ».
Dur à entendre pour des journalistes françaises de France 2. Commentaire :
« Sa vie tourne autour de la vie de son mari et de ses enfants. Son mari télé-travaille mais il ne prend jamais part aux tâches ménagères ».
Le mari, quand il rentre, veut un bon dîner, une maison bien rangée et des enfants propres. Il veut une femme au foyer mais qui le veuille vraiment. C’est qu’ils sont croyants (évidemment) et qu’ils « appliquent ce qu’ils appellent des principes bibliques. Règle numéro 1 : la soumission féminine ». Envoyé spécial a trouvé son idiot utile. Le mari insiste : « Son rôle est de se soumettre à ma volonté ». Autre précepte : « Être sexuellement disponible à tout moment ». Un devoir réciproque.
Commentaire :
« Leur mode de vie est en total décalage avec les évolutions de la société qui tentent d’équilibrer les rapports homme femme. Pourtant ce modèle ce société fait aujourd’hui des émules ».
Direction San Antonio dans un hôtel privatisé pour un des plus grands évènements de la jeunesse conservatrice. Elles sont plus de 3000 et « les idées s’affichent sans détour, le féminisme est une abomination, l’avortement un crime ». Les jeunes femmes veulent « réparer leur pays et s’éduquer car ensuite elles pourront éduquer les autres ». Elles ont entre 17 et 19 ans et veulent devenir trad wives. Commentaire : « Elles ont payé chacune 100 dollars pour venir écouter religieusement les conférences des fers de lance de l’ultra droite » dont Charlie Kirk, organisateur d’un évènement qui est aussi destiné à récolter des fonds pour la campagne de Trump. Un slogan écrit en rose choque les journalistes : « feminine not feminist ».
Commentaire :
« Pendant trente minutes, Charlie Kirk va exhorter les jeunes filles à s’occuper de leur foyer, allant même jusqu’à leur dire combien d’enfants avoir ».
Amusant pour qui comprend l’anglais car s’il dit effectivement cela il insiste aussi ainsi : « pour celles d’entre vous qui le veulent ». Ce que ne relèvent pas les journalistes, obsédés par le souci non pas de rendre compte de ce qu’ils voient mais de donner à voir ce qu’ils veulent au public français. Une influenceuse dit « il y a mieux que de vivre une vie superficielle ». Elle parle de la vie de famille et de faire des enfants. Commentaire :
« Des positions bien tranchées pour cette jeune femme de 24 ans qui n’est ni mère ni mariée ».
Étonnant argumentaire, si l’on peut dire. Il faudrait être mariée pour avoir un avis sur le fait d’être mariée ? Allons plus loin : il faudrait que le journaliste d’Envoyé spécial soit une trad wife pour avoir un avis sur les trad wives ? Ridicule.
Un autre point choque les journalistes. Lors de cet évènement, un programme éducatif alternatif est proposé, pour éviter les écoles publiques « jugées trop progressistes » et faire l’école à la maison. Le journaliste ne donne pas le contexte américain concernant la scolarité, extrêmement différent du système français. C’est volontaire car vu de France le choix d’aller vers l’école privée, très fréquent aux États-Unis, peut apparaître comme rétrograde. Pourtant ce qui est proposé n’est guère choquant : une éducation chrétienne, conservatrice, classique et abordable. Pas de quoi fouetter un journaliste du service public.
Le lendemain, ce sera le grand jour. La conférencière est Lara Trump, la belle-fille du candidat à la présidentielle.
L’équipe de journalistes part à Denver, dans le Colorado et montre des extraits de ce Congrès à une femme de 34 ans. Elle a été élevée dans une famille catholique puis « soumise à son mari ». Réaction :
« C’est du lavage de cerveau ».
Envoyé spécial a trouvé sa militante car elle a été trad wife durant 10 ans. Et elle en était fière. Sa maison était « immaculée ». Elle a eu 4 enfants. « Une vie de merde ». Elle vit « coupée du monde », « subit la loi imposée par son mari ». Elle a demandé le divorce. Une avocate trouvée par les journalistes s’est spécialisée dans leur défense. Elle raconte un divorce qui se passe mal mais qui finalement pourrait être n’importe quel divorce. Pas forcément un divorce d’ancienne trad wife. Le journaliste ne le signale pas. L’exemple trouvé par les journalistes a retrouvé « un amour » et va « pouvoir se reconstruire ». Le sous-entendu est clair : tout cela ressemblerait à une secte.
France 2 effrayé
Pour France 2, c’est encore pire car « les ultra-conservateurs prennent du poids à l’approche de la présidentielle ». Retour à San Antonio. Lara Trump :
« Nous sommes à 60 jours de la victoire ».
Commentaire :
« Avec l’aide des trad wives, les républicains espèrent porter leur candidat jusqu’à la Maison Blanche ».
Étonnant reportage dans lequel le minimum journalistique n’est pas assuré : les raisons du choix pour ces femmes d’être femme au foyer ne sont pas expliquées, elles doivent pourtant bien pouvoir, et sans doute le sont-elles, être analysées rationnellement ; le reportage se termine avec la trad wife repentie, laquelle expose clairement pourquoi elle a quitté cette vie, un fait qui pourrait tout aussi bien être imputable à des singularités chez son mari comme dans n’importe quel couple, mais la parole n’est pas réellement donnée à des trad wives pouvant expliquer en quoi elles sont heureuses dans la vie choisie. La seule raison mise en avant est la religion, immédiatement associée à la soumission.
Résultat ? Un reportage entièrement à charge contre une vision du monde autre que progressiste, construit avec de grosses ficelles destinées à montrer une Amérique à la limite du sectarisme face à une Amérique de la liberté (celle de Kamala Harris). Envoyé spécial ne fait pas dans la nuance, guère dans le journalisme. Un point positif cependant : le reportage est tellement exagéré qu’il risque fort de donner envie à de jeunes femmes françaises le regardant de devenir des trad wives à leur tour…