Le normand Jean-Marc Pitte, grand reporter à France 3 depuis 1988 pour laquelle il a couvert de nombreux conflits (Bosnie, Irak, Liban, Afghanistan, Palestine…) ou a été notamment l’envoyé spécial lors des attentats du 11 septembre, a été éjecté de France 3 Normandie où il travaille depuis 2014 pour raisons familiales après une controverse avec son rédacteur en chef et une infraction inexistante au code de la Route, dénoncent les syndicats locaux. Le journaliste chevronné, auteur de polars, aurait été victime de son refus de se plier à sa direction ?
Licencié pour une infraction routière avec un véhicule de l’entreprise ?
Gilles Triolier, sur le site normand d’informations indépendant, Filfax, a révélé ce licenciement qui pose question, notamment aux syndicats CGT, FO, SNJ et CFDT-Médias de France Télévisions. Le journaliste qui avait rejoint France 3 Rouen depuis 2008, n’avait « en rien abdiqué ses exigences quant à la qualité de l’information, au respect de la déontologie et de bonnes pratiques professionnelles », relèvent les syndicats précités dans une tribune commune.
« C’est juste un journaliste honnête qui dit quand ça ne va pas. […] La direction s’en est servi pour le licencier : une entorse supposée au code de la Route puisque sans contravention », à savoir un franchissement de barrière baissée à l’entrée d’un tunnel routier avec un véhicule de l’entreprise, début janvier dernier, filmée par une caméra de surveillance tandis que sa direction est prévenue, « et une controverse – en fait, une altercation qu’il dément suite à un reportage mal calé – avec son rédacteur en chef ont alimenté une commission de discipline ubuesque tant le dossier est vide de fautes avérées. Un grand moment de honte ! », brocardent les organisations syndicales, qui en profitent pour balancer « ces encadrants qui balancent des téléphones à la tête d’autres collègues, qui demandent de tourner des images en conduisant, qui ébruitent publiquement les infos personnelles échangées lors des entretiens annuels, qui maltraitent des salariés handicapés… ».
Les syndicats ont signé une tribune commune le 19 février pour demander l’annulation du licenciement de Jean-Marc Pitte qu’ils qualifient « sans motifs sérieux et arbitraire » : « sans un geste de la part de la direction, [ils] déposeront un préavis de grève national ». Le journaliste avait été licencié le 15 février et « a été prié de vider son bureau en moins d’une demi-heure, et de déguerpir de la rédaction de Rouen », selon la représentation syndicale de France 3 Nord-Ouest. Les syndicats demandent sa réintégration avant la fin de son préavis, le 15 mai.
Un journaliste qui dérangeait les élus locaux et sa direction ?
Il se trouve en effet que ses motifs de licenciement – qu’il entend contester aux prud’hommes – pourraient être moins glorieux : depuis 2014 le journaliste enquête sur les affaires locales pour l’antenne régionale et est connu pour poser des questions embarrassantes aux élus locaux. L’un d’eux, Frédéric Sanchez, président socialiste de la métropole de Rouen Normandie, s’est plaint de lui à plusieurs reprises à la direction régionale, selon le journaliste, qui explique au Monde : « Il s’est acharné sur moi en se plaignant à plusieurs reprises auprès du directeur régional. En plus d’être considéré comme chiant, je suis devenu gênant ».
L’élu interrogé par Le Monde réfute toute intervention tandis que le syndicaliste CGT Danilo Commodi estime de son côté que ce différend « est entré en ligne de compte » dans son licenciement. Pour le syndicaliste CGT, Jean-Marc Pitte est en effet « un grand reporter expérimenté, exigeant et intransigeant, quelqu’un de tenace, franc, direct qui dit des vérités parfois dures à entendre ».
La représentation syndicale de France 3 Nord-Ouest ne dit pas autre chose : « Cette décision inique et disproportionnée illustre la volonté de la direction de se débarrasser coûte que coûte d’un salarié qui dérangeait par sa franchise, sa rigueur et son engagement de journaliste face à sa hiérarchie et face aux politiques. De là à imaginer qu’il s’agit de faire un exemple et d’envoyer un signal menaçant à l’ensemble des salariés, il n’y a qu’un pas ».
Le journaliste Jean-Yves Nau complète sur son blog : « on appelle un confrère de la maison-mère. « Pitte ? Il avait demandé à repartir en région et je crois qu’il les gonflait sévère. Donc à la première occase : ‘’ pan pan ‘’ ». Pour l’Étoile de Normandie, autre webzine normand, « C’est pour n’avoir pas respecté les us et coutumes du journalisme de connivence (le “off” qui doit rester “off”) que Jean-Marc PITTE vient d’être licencié de la rédaction de France 3 Normandie après 26 années passées à France Télévisions ».
Une raison qui aurait pu aussi pousser sa hiérarchie à tout faire pour le virer, malgré l’absence de sanctions disciplinaires antérieures avant septembre 2017, où il a eu un premier entretien préalable au licenciement, suite à la dénonciation d’une de ses collègues, révèle Ouest-France. «En septembre, il est convoqué à un entretien préalable à licenciement après un reportage. Une de ses collègues a alerté sur sa conduite au volant. Parole contre parole : lui conteste avoir eu un comportement dangereux ».
La situation dérange : en cas de grève nationale, les journalistes rouennais de France 3 n’ont toujours pas décidé s’ils y participaient. Quant à la direction régionale de France 3, sollicitée par divers médias, elle se mure dans le silence. Plusieurs confrères ont néanmoins réagi, dont le grand reporter de Marianne Marc Endeweld : « le licenciement de Jean-Marc Pitte […] est une honte. Digne de “télé préfet” ! “Le reporter (…) n’hésite pas à poser des questions gênantes aux élus locaux ». Ponte des médias mainstream, Claude Askolovitch – qui n’est pas nécessairement le mieux placé pour donner des leçons d’objectivité cela dit – relève le 9 mars sur Twitter « le licenciement très étrange du grand reporter Jean-Marc #Pitte par France 3 Normandie… pour apaiser les notables du cru ? »