Comme nous l’indiquions dans ce premier article, France Culture se met aux podcasts mais les sujets sont toujours aussi orientés. Ce que montre la série « Mécaniques du complotisme ». Suite de nos analyses : saison 3, épisode 2.
La saison 3 est entièrement consacrée au grand remplacement, annoncé comme étant « un virus français ». L’épisode 1, et son étrange « invité » Jean-Yves Camus, politologue qui a exprimé sur Twitter sa surprise d’apparaître dans cette série, surtout qu’il est présenté comme étant interrogé tout le long de l’émission, ce qui confine à la deep fake, insistait sur les origines de l’expression et se terminait par une évocation du Front National. Personne n’en doutait d’avance. L’épisode 2 est donc illustré par une photographie de Jean-Marie Le Pen derrière un pupitre indiquant « Les Français d’abord ».
Mise en bouche
« Après 1945, un million d’étrangers viennent participer à la reconstruction de la France. La prospérité économique assure un emploi à l’immense majorité d’entre eux mais les troubles économiques apparaissent. Après les indépendances, et la guerre d’Algérie, les travailleurs venus d’Afrique sont regardés avec rancune ».
On lira les analyses proposées par l’OJIM au sujet d’une autre série, télévisée quant à elle, Histoires d’une nation, dont les arguments sont similaires au mot près.
« Au cours des années 70, les 30 Glorieuses touchent à leur fin, le chômage décolle, les immigrés sont alors près de quatre millions, un homme se saisira de ce nouveau contexte pour monter les Français contre eux ».
Cet épisode 2 ne fait donc pas dans la dentelle : voici le vecteur politique de la diffusion de la notion du grand remplacement qui monte sur scène, selon France Culture, Jean-Marie Le Pen : « Comme ses prédécesseurs du début du 20e siècle, il dépeint une France envahie par les étrangers sous l’effet d’une natalité déclinante et d’une immigration galopante. Le pays serait en danger de mort ».
- Réapparition de Jean-Yves Camus, donc — comme s’il parlait sur France Culture comme invité. Ce ne semble toujours pas être le cas. Le politologue explique que les immigrants « se fixent », ne repartent pas, « se marient, ont des enfants ». L’implantation de l’islam en France n’a pas été vue, ce serait « un malentendu ».
- « Avec les années 2000, la panique sécuritaire du terrorisme prend le relais. Une formule va résumer toutes les angoisses de l’époque : le grand remplacement. Elle est née sous la plume d’un homme que rien ne prédisposait à devenir le porte-étendard des extrêmes droites européennes : Renaud Camus».
Blitzkrieg et monomaniaque
Le podcast lance alors la très grande (et convenue) offensive : « Un homme flaire la bonne affaire future, Jean-Marie Le Pen. Avec un ancien Waffen-SS, il fonde alors son parti, le Front National. L’immigration deviendra son fonds de commerce ». Il y a tout ou presque en peu de mots.
Mise en avant du slogan : « Un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés en trop ». Aucune référence n’est faite au le parti communiste français, lequel était pourtant à l’origine de ce slogan et de cette ligne politique…
« Le Le Pen de 1972 n’est pas encore un mono maniaque de l’immigration, cela viendra. Au cours des années 80, le Front National développe un discours systématiquement xénophobe. Pour affaiblir la droite, François Mitterrand encourage la télévision publique à le recevoir sur ses plateaux ».
Cette dernière information, longtemps niée, maintenant attestée a pour le coup réellement la saveur d’un complot : France Culture prépare-t-elle une émission à ce sujet ? Ou bien Mitterrand était-il trop de gauche pour être analysé sous l’angle du complotisme ?
Le Pen dénonce « l’invasion migratoire (…) la constitution de véritables villes étrangères, imperméables à l’autorité, à la police, au fisc, et cette invasion qui ne cesse de croître ». Le plus étonnant est que l’auteur du podcast ne paraît pas s’apercevoir que ces mots de Le Pen décrivent une situation qui a eu lieu et qui a encore lieu, ce qui est là aussi avéré (et même au quotidien). Quelque chose qui est de fait, et donc le contraire d’un complot. La preuve ? Citation : « Malheureusement, les étrangers dont il s’agit en particulier ceux qui ont cinq ou six enfants, qui sont originaires d’Afrique et d’Afrique du nord ne veulent pas s’intégrer ». L’actualité la plus proche de nous, en cette année 2019, donne quitus à ce propos.
Les invitations s’enchaînent et les scores progressent : c’est donc l’effet d’un complot Mitterrandien ? France Culture ?
Nouvelle droite
Journaliste : « En parallèle à l’affrontement politique, un combat culturel se mène au sein de la droite française. Depuis la fin des années 60, des groupes d’intellectuels travaillent à renouveler son logiciel. Sous leur impulsion, la question de l’immigration va être abordée sous un nouvel angle ». Il s’agit de la Nouvelle Droite. Le thème est même présenté dans Apostrophes, avec présence d’Alain de Benoist. « La Nouvelle droite prône l’ethno-différentialisme ». Pour se préserver, « au fil des années, leurs théories vont fournir des arguments aux opposants à l’immigration ».
Vient la référence au départ de Guillaume Faye (lequel avait rompu avec la Nouvelle droite), qui pense que la guerre civile approche… En 2019, d’un certain point de vue, l’idée de la disparition en cours de la civilisation européenne et de la guerre civile, ou encore de la soumission voir le livre éponyme de Houellebecq), paraissent avoir été des prémonitions. Pour France Culture, ce sont des constructions de la Nouvelle Droite et de l’extrême droite, un complot donc, et non une possibilité simplement annoncée car perçue. France Culture confond la réalité et l’imaginaire. Son propre imaginaire. Le podcast insiste alors sur le rôle supposé de Guillaume Faye, aux thèses qui seraient à l’origine des courants identitaires des années 90 et 2000, avec des livres « alarmistes et violents ».
Vient le 11 septembre 2001
C’est pourtant le 11 septembre 2001 qui change tout.
L’auteur : « Jusqu’aux années 70, le discours anti immigration était cantonné aux marges. Mais à présent le contexte lui est favorable. Avec les années 2000, la panique sécuritaire prend le relais. Une formule va résumer toutes les angoisses de l’époque : le grand remplacement ».
Ce qui est extraordinaire et même passionnant, si l’on considère combien un cerveau de journaliste peut être formaté, c’est de voir combien les auteurs du podcast n’imaginent jamais, à aucun instant, que ce qu’ils assimilent à du complotisme et qu’ils ont pourtant sous les yeux maintenant, toute la matière utilisée dans leur travail étant devenu le concret quotidien des Européens, est justement le contraire d’un complot : la simple description de la réalité. L’émission se termine sur le nom de Renaud Camus. A suivre, donc, avec une petite idée de la visée de la série déclinée autour du mot « virus » : une saleté qui s’attrape, qui serait née en France et qui se serait étendue dans le monde entier, jusqu’en Nouvelle Zélande par exemple ?