Lors du débat qui l’a opposée à Éric Zemmour sur CNews le 10 février, la secrétaire d’État Marlène Schiappa s’est appuyée sur le démographe militant Hervé le Bras pour relativiser et minimiser l’ampleur de l’immigration en France. Cette référence à un universitaire partisan omniprésent dans les médias est révélatrice d’une véritable chape de plomb sur la question de l’immigration. Illustration par l’exemple sur France culture.
Si nos « élites » se forgent leurs convictions sur l’immigration en écoutant France culture, il y a peu de chances qu’elles s’écartent de la doxa dominante dans une grande partie du monde universitaire. Sur les ondes de France culture, la contradiction sur ce sujet est en effet quasi inexistante. Les « spécialistes » à qui la radio publique donne la parole peuvent y exprimer tout à loisir un discours que l’on peut résumer de la façon suivante : la France accueille peu d’immigrés, elle les accueille mal et devrait en faire bien plus. Un message reçu 5 sur 5 dans les sphères du pouvoir macronien, à en juger par les chiffres de l’immigration qui augmentent considérablement ces dernières années en France. Les différentes émissions que nous listons témoignent de ce débat interdit sur les ondes publiques.
Des débats où le contradictoire est absent
Le 21 février 2018, France culture organise une journée spéciale sur le thème « asile et immigration : l’heure de vérité ? ». À 6h45, les invités sont Xavier Martinet, auteur de « Italie, face aux réfugiés, impensée ou cynisme européen » et Catherine Withol de Wenden, directrice de recherche au CNRS, une universitaire aux convictions immigrationnistes bien ancrées. Le débat est sans contradiction : on est dans le registre de l’indignation face à ces méchants européens qui se barricadent. À l’écoute des émissions et reportages qui ponctuent la journée, hormis l’intervention du Directeur de l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration, il devient évident qu’il s’agit de donner une tribune à ceux qui critiquent les très rares dispositions restrictives de la Loi asile et immigration qui était présentée au conseil des ministres ce jour-là.
Le 5 mars 2019, le changement de la population française au 20ème siècle est abordé par François Héran.
Professeur au collège de France, sociologue et démographe, F. Héran est un fervent partisan du multiculturalisme. Selon lui, la population de la France métropolitaine ressemblera bientôt à celle de la Réunion. On aurait pu lui souffler le Liban, mais ce serait de mauvais goût. Pour autant, durcir les conditions d’entrée des étrangers aboutit à… « retarder leur intégration », affirme-t-il à Libération le 7 novembre. On aura compris que la solution est d’ouvrir en grand les frontières.
Le 29 mars, pour répondre à la question « pourquoi migrer ? », l’unique invité de la chaine publique est François Héran. Il s’agit encore et toujours d’inscrire la migration dans le cours normal des phénomènes humains et de banaliser l’immigration qui arrive en Europe.
Le 19 avril, à l’approche des élections européennes, un débat est organisé autour de la question : « L’Europe a ‑t-elle trouvé ses frontières ? ». Il réunit un journaliste de la Croix, a priori pas favorable aux méchants populistes qui veulent réduire l’immigration, le directeur de l’IFRI Thomas Gomart, et l’inévitable… François Héran. Le verbatim de la table ronde ne mentionne aucune réticence sur l’attraction que représente l’Europe pour de nombreux migrants.
Le 30 avril, pour démentir l’affirmation de Marine Le Pen selon laquelle « les migrants sont trop riches », une phrase qu’elle n’a pourtant pas prononcée — un mauvais départ pour l’émission — l’unique invité est le directeur de France Terre d’asile. L’émission est en fait un argumentaire visant à ne montrer les migrants que comme des victimes et non des acteurs ayant une stratégie visant à s’installer en France, légalement ou non. Un argumentaire simpliste voire pontifiant courant dans les médias de grand chemin, que l’OJIM avait mis en évidence en août 2018 à propos des mineurs étrangers.
Le 24 septembre, le journaliste Jacques Munier consacre son billet du jour à la question : « Immigration, le débat piégé ». Il s’appuie sur les travaux de…François Héran pour affirmer que la France est loin d’être le premier pays européen pour les demandes d’asile. Une contre vérité évidente alors que la France a dépassé en 2019 l’Allemagne pour se hisser en haut du « classement », comme le soulignait le Point.
Le 7 octobre, un autre billet de Jacques Munier sur le thème « Immigration : des chiffres et des faits », reprend une position du journal Alternatives économiques sur l’instrumentalisation de l’immigration (traduire : poser les vrais problèmes que le politiquement correct refuse d’aborder). L’inévitable François Héran est une nouvelle fois appelé à la rescousse pour minimiser l’ampleur des flux migratoires très importants qui arrivent en France.
Le 6 novembre, Hervé le Bras, démographe à l’INED, est invité pour débattre avec Claire Rodier, Directrice du GISTI (groupement d’information et de soutien aux immigrés) sur le thème : « immigration, vers une refonte de la politique d’accueil ? ». Hervé le Bras est également bien placé dans le panthéon des universitaires de référence de France culture ( et accessoirement de Marlène Schiappa ). Peu importe que le géographe Christophe Guilluy l’ait accusé d’avoir écarté d’un revers de main les critiques de sa consœur de l’INED Michèle Tribalat sur sa démarche méthodologique. Des biais méthodologiques qui accessoirement aboutiraient à minimiser l’immigration en France.
Le 29 novembre, c’est l’adjointe à la mairie de Paris chargée des réfugiés qui est invitée pour commenter un reportage sur la « crise de l’accueil » des « exilés » à Paris. On aura compris qu’il est tabou de parler sur France culture de « clandestins » et d’une immigration illégale qui se caractérise par un afflux incessant, au nord de Paris comme ailleurs, en l’attente d’une de ces innombrables « mises à l’abri ». On aura compris également qu’il convient de traiter de l’immigration comme d’un problème de capacités d’accueil, forcément insuffisantes. N’attendons pas de France culture un reportage sous un autre angle plus gênant et de donner la parole à un riverain de ces quartiers où la délinquance ne fait que se développer. Ne comptons pas non plus sur France culture pour mentionner l’information donnée par TV Libertés selon laquelle 40% des mis en cause dans des affaires de délinquance en région parisienne sont de nationalité étrangère, une proportion qui monte à 47% à Paris intra-muros.
Le 4 décembre 2019, pour débattre de « l’amélioration de l’accompagnement des mineurs étrangers », la radio publique a invité une sociologue du laboratoire Migrinter, peu suspecte de réticences vis-à-vis de l’immigration, une fonctionnaire du département des Vosges, soumise au devoir de réserve, et la directrice d’une association, Adali Habitat. Le problème posé est non pas l’explosion du nombre de jeunes étrangers qui se pressent aux guichets des services sociaux des départements, ni le coût considérable de leur prise en charge, mais un « meilleur accompagnement ». Un choix éditorial qui semble s’inscrire dans l’ADN de France culture….
Lors de la « nuit des idées » le 31 janvier 2020, l’inévitable François Héran et Didier Leschi, Directeur de l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration, évoquent le « débat impossible » sur l’immigration. Rassurez-vous, le débat est tout à fait possible entre gens de bonne compagnie, surtout s’ils n’ont pas de divergences. Les arguments de François Héran lors du « débat » sont centrés sur la faible immigration en France et la nécessité de graver dans le marbre des droits imprescriptibles à la migration, ce qui permettrait d’éviter tout débat à ce sujet. Il fallait y penser. Didier Leschi porte la parole gouvernementale, on ne peut donc pas s’attendre à des propos restrictifs sur l’immigration de sa part, même s’il glisse que l’immigration africaine qui arrive en France est souvent très peu qualifiée.
Le 13 février, pour évoquer « les migrants face aux frontières mouvantes », France culture invite une juriste, Marie-Laure Basilien Gainche. La « multiplication des murs » est une réelle inquiétude pour la chercheuse. Un constat que France culture ne mettra pas en relation avec les manifestations des grecs excédés par l’invasion migratoire sur les iles de la mer Egée, ni avec les incessantes « mise à l’abri » de clandestins au nord de Paris comme dans les autres villes françaises. En fait de frontières « mouvantes », c’est plutôt l’absence de maitrise des frontières que constatent les riverains des innombrables campements de migrants. Un argument totalement absent du « débat » organisé par la radio publique.
Les spécialistes orthodoxes
Par le choix de ses invités, France culture définit une pensée orthodoxe sur la radio publique. S’il ne s’agit pas de spécialistes « officiels », les invités récurrents appartiennent à un petit cercle qui cultive entre soi et communauté d’idées. En creux, c’est une vision éthérée de l’immigration qui se dessine, d’où est exclue toute considération sociale et culturelle. Elle s’inscrit dans une idéologie où, comme le soulignait François Schwerer dans le dernier numéro de Politique magazine : « la libre circulation des personnes, la libre installation en n’importe quel point du globe sont des droits fondamentaux et quiconque voudrait les limiter ou simplement les organiser doit être combattu. (…). Chacun est libre…jusqu’au moment où sa liberté vient heurter celle du voisin ». Des heurts qui deviennent de plus en plus fréquents ces derniers temps…
À côté des spécialistes orthodoxes, les spécialistes hétérodoxes sont royalement ignorés du service public de radio. Pour 10 passages de François Héran sur France culture, combien d’invitations de Michèle Tribalat, de Jean ‑Paul Gourevitch, de Jean-Yves le Gallou ? Le cercle de l’orthodoxie sur France culture apparait singulièrement restreint.
En novembre 2016, l’OJIM faisait le constat de l’absence de pluralisme sur la radio publique (France inter, France culture) sur le sujet de l’immigration. 4 ans plus tard, non seulement la situation n’a pas changé, mais les élites au pouvoir ont repris, à l’image de Marlène Schiappa sur C News, les argumentaires déployés à longueur d’ondes sur la radio publique : il y a peu d’immigration en France, il n’y pas un problème de nombre d’arrivées d’étrangers mais un problème d’accueil. La « crise des migrants » est devenue la « crise de l’accueil des migrants ». Le gouvernement en a tiré les conséquences en augmentant considérablement les capacités d’accueil et le budget dédié. C’est ce que l’on appelle un magistère moral médiatique efficace…