Prenez un président de la République, au hasard Emmanuel Macron. Prenez une présidente de Radio France, au hasard Sibyle Veil. Toujours au hasard, prenez-les comme camarades de promotion à l’ENA. Que croyez-vous qu’il arriva ? Vous le saurez ci-après.
Française des Jeux et Aéroports de Paris
Les pouvoirs publics ont décidé de privatiser les deux entreprises. La privatisation de la FDJ ne soulève que peu de questions, sinon son prix. Le jeu n’est pas une entreprise relevant du régalien et l’essentiel des revenus pour l’État provient des taxes qui perdureront. L’opération semble un succès avec plus de cinq cent mille souscripteurs individuels. Il n’en est pas de même pour ADP où des opposants réclament un RIP, référendum d’initiative populaire. Pour cela il faut au moins 4,5 millions de signatures, encore faut-il faire un peu de battage pour les rassembler et moins d’un million sont réunies mi-novembre 2019.
Publicité oui, publicité non
Radio France diffuse des spots, sans doute réglés par l’État, pour que le public achète des actions de la FDJ. Fort bien. Au même moment, les sénateurs hostiles à la privatisation d’ADP et partisans du RIP réalisent un spot audio de 30 secondes et mettent 100.000 euros sur la table pour le diffuser sur Radio France.
Réponse de la camarade d’école et de karaoké du Président : spots refusés, car le cahier des charges de l’entreprise Radio France stipule dans son article 37 que “les messages publicitaires ne doivent contenir aucun élément de nature à choquer les convictions politiques des auditeurs”. Quid alors des convictions politiques des auditeurs opposés à la privatisation de la FDJ ?
Comme le souligne Daniel Schneidermann, « Vient toujours un moment, pour les titulaires de mandats publics, affectant la plus irréprochable neutralité, où il faut sortir du bois, et faire allégeance à celui qui vous a nommé ». On ne saurait mieux dire.
Jusqu’à présent, on pouvait, avec beaucoup de bonne volonté, mettre l’indifférence médiatique pour la campagne de soutien au Référendum d’Initiative Partagée sur le compte du désintérêt pour une question considérée comme secondaire, ou trop complexe, ou tout ce qu’on voudra. Mais voici, pour crever le mur du silence, que les parlementaires opposants produisent des spots de trente secondes. Qu’ils les financent eux-mêmes (à la hauteur, considérable, de 100 000 euros, à comparer aux 12 millions engloutis dans la promotion du “grand débat” du pouvoir, au printemps dernier). Radio France, qui diffuse en ce moment d’autres spots appelant les épargnants à investir dans la privatisation de la Française des Jeux, a fait savoir, sur ses propres antennes, qu’il refuserait les spots ADP. La société de Sibyle Veil, camarade de promotion (et de karaoké) d’Emmanuel Macron à l’ENA, se fonde sur l’article 37 de son cahier des charges : “les messages publicitaires ne doivent contenir aucun élément de nature à choquer les convictions politiques des auditeurs”. Mais quid des auditeurs choqués dans leurs convictions politiques par la privatisation de la Française des Jeux ?
Ce niet présente le triste avantage de clarifier de paysage. Avant-hier, invité par Frédéric Taddei, dans son émission de RT France (oui oui, Télé Poutine !), à un débat contradictoire sur la privatisation de ADP, au titre de mon livre Pouvoir Dire Stop, je soulignais ce paradoxe : cette émission était la première de son genre, ‑longue durée, contradictoire- sur une chaîne diffusée en France. Jusqu’à présent, pour justifier l’étouffement médiatique de cette grande première démocratique, les habiles nous ont expliqué que cette privatisation, pourtant au coeur de trois enjeux essentiels ‑démocratique, économique, écologique- “n’intéressait pas les Français”. La preuve ? Seules 900 000 signatures, sur les 4,7 millions requises, ont été à ce jour recueillies ! Le caractère dissuasif du site de recueil des signatures ? Dû à son âge vénérable, bien entendu. Aucune intention maligne ! Avec la décision de Sibyle Veil, au lendemain et dans la droite ligne du désormais célèbre “Ferme ta gueule” du général Georgelin, on peut appeler les choses par leur nom : un sabotage d’État.
Source : Arrêt sur Images, Daniel Schneidermann, 15 novembre 2019