Le mardi 12 décembre 2017, les diverses Sociétés des Journalistes de France Télévisions diffusent cette information concernant la présidente du groupe : une motion de défiance à son encontre a été votée par 84 % des participants. Un résultat qui pose question : comment France Télévisions peut-elle fonctionner correctement dans un climat aussi délétère ?
Ont pris part au vote les journalistes de la rédaction nationale de France 3, ceux de France 2, de franceinfo tv, de franceinfo.fr et de plusieurs émissions télévisées. Ils devaient répondre à cette question : « Faites-vous confiance à Delphine Ernotte-Cunci pour préserver la qualité et les moyens de l’information à France Télévisions ? ». Le moins que l’on puisse dire est que la confiance vis-à-vis de Delphine Ernotte n’est pas au rendez-vous : 9 % seulement de « oui », sur les 69 % de participants. Dans la soirée de ce même 12 décembre, franceinfo met l’accent sur l’importance et le côté inédit de ce vote : « Ce scrutin, organisé pour la première fois par quatre SDJ de France Télévisions, visait à dénoncer « une attaque inédite contre l’information du service public », selon les organisateurs. La présidente de France Télévisions avait assuré prendre ce vote « au sérieux », dans un message adressé lundi aux salariés ».
Le contexte est lourd, aux yeux des rédactions
Le gouvernement veut que l’audiovisuel public fasse des économies. Volonté qui passe nécessairement et toujours mal au sein des rédactions de médias de service public. L’objectif assigné à Delphine Ernotte est de réduire de 50 millions d’euros les dépenses de France Télévisions, dès l’an prochain. Delphine Ernotte envisageait la suppression de postes, peut-être aussi le regroupement des rédactions de France 2 et de France 3. On parle par ailleurs, au sein de Radio France, d’un éventuel regroupement de France Inter et France Culture. Outre les contestations face à la volonté gouvernementale, lesquelles pourraient être levées par la discussion, les journalistes se montrant conscients des difficultés actuelles du service public, c’est bel et bien la personnalité de Madame Ernotte qui pose question : si les journalistes ne lui font pas confiance, c’est qu’elle est considérée comme n’ayant pas de vision stratégique. Autrement dit, les SDJ craignent que les coupes budgétaires soient faites sans réflexion ni véritable vision d’ensemble. Leurs craintes sont-elles légitimes ? C’est possible. Après tout, le président Macron s’est vu reprocher des propos qu’il aurait tenus devant des députés de sa majorité. Cela a été rapporté par Télérama. Le président aurait qualifié le service de l’audiovisuel public de « honte pour nos concitoyens ». Que cet audiovisuel public soit une honte, pas de doute à ce propos. Mais pour des raisons idéologiques : la majorité des médias d’État proposent une pensée unique souvent dénoncée par des médias indépendants tels que l’Observatoire du journalisme ou Causeur. Ce n’est sans doute pas ce politiquement correct-là que visait le président Macron, plutôt la gestion des finances publiques – si les propos rapportés par Télérama ont effectivement été tenus, ce qui ne paraît pas certain. Autre aspect de la lourdeur du climat : dans ce contexte d’annonce de réduction des dépenses, la rumeur a un temps filtré que les magazines Envoyés spécial et Complément d’enquête, ainsi que la personnalité d’Élise Lucet, seraient dans le collimateur de la directrice de France Télévisions, et ainsi supposément du pouvoir politique. Ce qui a été démenti. Les coupes prévues à l’origine dans les budgets de ces magazines ont été en grande partie supprimées, devant le tollé général. Ces émissions d’investigation étant considérées comme des émissions poil à gratter du monde politique. Des revirements qui ajoutent une couche à l’impression de navigation à vue sous la présidence Ernotte.
Outre les économies, la personnalité de Delphine Ernotte pose donc question
Présentant son plan d’économies pour 2018, le mercredi 12 décembre 2017, Delphine Ernotte a donné un entretien à Télérama, l’hebdomadaire mettant l’une de ses phrases en accroche : « Je ne démissionnerai pas ». Une quarantaine de millions d’euros d’économies sont imputables à la grille des programmes, en particulier dans les domaines du sport et de l’information. Et environ 170 à 200 emplois ne seraient pas reconduits. Face à ces annonces, le malaise était palpable dès jeudi 14 décembre dans les couloirs de France Télévision, pour cette simple raison que les journalistes ne comprennent pas la stratégie ni les axes de la présidence. Pourtant, Madame Ernotte a souvent fait preuve de convictions claires. Sa façon de licencier David Pujadas dit par exemple beaucoup du management d’une Delphine Ernotte à laquelle il fut déjà reproché son peu d’empathie à l’époque où elle dirigeait en France Télécoms/Orange une entreprise atteinte par une vague de suicides de ses employés. Delphine Ernotte s’est déjà retrouvée au cœur de polémiques liées à ses options politiques outrancièrement libérales libertaires, en particulier lorsqu’elle a déclaré en 2015 à l’antenne d’Europe 1 que les médias français seraient « occupés par des hommes blancs de plus de 50 ans ». Dans Le Figaro, Ivan Rioufol avait alors pointé une sorte de « racisme » inversé, qui n’a eu de cesse de se développer depuis dans toutes les couches de la société française, et que des magazines comme Causeur ou Valeurs Actuelles pointent régulièrement du doigt. Delphine Ernotte s’affirme régulièrement, y compris dans ses attaques contre les mâles blancs, comme étant démocrate, et agissant par souci du respect des valeurs de la démocratie. Sur ces bases, dès lors que le peuple des journalistes du service public semble ne plus vouloir d’elle, ne devrait-elle pas assumer ses convictions et donner le plus beau des exemples démocratiques : quitter le pouvoir ? Cela permettrait au gouvernement actuel d’aller au bout de la lutte contre le racisme et le sexisme, en nommant par exemple Danièle Obono à la tête de France Télévisions. Ne serait-ce pas un marqueur fort de ce nouveau monde politique tant annoncé et qui tarde un peu à venir ?
Crédit photo : Orange France via Flickr (cc)