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France TV revisite – et détruit — le roman national avec Notre histoire de France. Deuxième partie

31 octobre 2024

Temps de lecture : 8 minutes
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France TV revisite – et détruit — le roman national avec Notre histoire de France. Deuxième partie

Temps de lecture : 8 minutes

Suite de notre dossier sur la série documentaire de France Télévisions consacrée à l’Histoire de France.

Voir aus­si : France TV revis­ite – et détru­it — le roman nation­al avec Notre his­toire de France. Pre­mière partie

Épisode 1 : Vercingétorix contre César

Il ne faut pas atten­dre bien longtemps —  qua­tre min­utes et vingt sec­on­des ont suf­fi – pour com­pren­dre l’an­gle qui sera celui du doc­u­men­taire. Le détri­co­tage du roman nation­al com­mence à Alésia, à l’époque de Verc­ingé­torix, héros de l’indépen­dance – je n’ose dire nationale. Tomer Sis­ley, qui n’est certes pas respon­s­able de la teneur du texte qu’il récite pour l’oc­ca­sion, n’é­tait pas obligé de cabotin­er à ce point et d’ar­bor­er cette mine sat­is­faite dès qu’il s’ag­it de décon­sid­ér­er un pré­ten­du « mythe nation­al ». Le pre­mier à tomber est celui d’une lec­ture « nation­al­iste » de l’his­toire de la résis­tance qu’op­posa Verc­ingé­torix à l’empire romain et à César en particulier :

« De Napoléon III à Pétain, nom­breux sont ceux qui ont voulu faire de Verc­ingé­torix le pre­mier héros de l’u­nité française, de cer­tains nation­al­ismes. Il n’est pour­tant pas ques­tion de nation­al­isme dans cette his­toire mais plutôt de révolte populaire. »

Donc cette révolte pop­u­laire, est-elle marx­iste ? Est-elle l’œuvre de l’hum­ble tra­vailleur gaulois qui se révolte con­tre le patron romain peu soucieux du bien-être des class­es laborieuses ? Nous n’en saurons pas plus. Il vous suf­fit de croire sur parole qu’il n’y a aucune dimen­sion nationale dans le soulève­ment armé de tout un peu­ple con­tre un envahisseur étranger. C’est pour­tant clair.

C’est si clair qu’il est mis l’ac­cent sur l’ab­sence d’u­nité de la Gaule – ce qui est un fait – et sur les dis­par­ités très grandes entre tribus qui peu­plent la Gaule ou plutôt les Gaules, comme Jules César inti­t­ule son mémoire de cam­pagne La guerre des Gaules. Mais enfin, tout cela est cer­taine­ment vrai sur le plan ethno­graphique et sur le plan poli­tique mais que faîtes-vous donc de l’u­nité religieuse qui fédère ces peu­ples, mal­gré les dis­sen­sions impor­tantes qui les sépar­ent ? Les druides ? Ils ne sont même pas évo­qués. Sans doute que la dimen­sion religieuse de ces peu­ples est par trop archaïque pour nos décon­struc­teurs… Grave omis­sion puisque, comme le rap­pelle l’his­to­rien George Bor­donove, dans son livre con­sacré à Vercingétorix :

« Il serait faux de croire que ces peu­ples n’avaient entre eux tout à fait aucun lien. L’u­nité de la Gaule était essen­tielle­ment, fon­cière­ment, religieuse. Les Gaulois étaient tou­jours prêts à con­tester l’au­torité d’où qu’elle vînt, hormis celle des druides. La classe des druides, les prêtres, et des eubages, leurs aides, était non seule­ment révérée, mais obéie. César a par­faite­ment élu­cidé la nature du pou­voir détenu par les druides ; pour ce motif, il s’est acharné à les détru­ire, alors qu’il a mon­tré la plus grande tolérance à l’é­gard des autres struc­tures sociales de la Gaule. Une fois l’an, au cen­tre du pays, le col­lège des druides tenait avec les cheva­liers un vaste rassem­ble­ment de car­ac­tère à la fois religieux, judi­ci­aire et poli­tique. Les druides eux-mêmes étaient sous la dom­i­na­tion d’un pon­tife élu. Ce dernier assumait donc le rôle d’ar­bi­tre suprême. »

Gaulois alcoolos

Si nous ne savons rien de la reli­giosité gauloise, nous apprenons qu’ils furent de splen­dides poivrots, que Rome les abreuvait de leur vin pour mieux colonis­er un « peu­ple alcoolisé » et que les gaulois en raf­folèrent tant qu’ils mirent toutes leurs qual­ités indus­trieuses en jeu pour pou­voir se fournir en plus grandes quan­tités : c’est l’in­ven­tion du ton­neau. Nos ancêtres furent de mag­nifiques alcooliques ! Tout cela est haram au dernier degré… d’al­cool ! Ce con­stat sem­ble provo­quer un dépit cer­tain chez notre con­teur, où sem­ble poindre un soupçon de con­de­scen­dance à l’é­gard de nos ancêtres. Pas de meilleur rap­pel que l’éthique romaine, cette fois-ci :

« Le sens romain du sacré, nous dit Pierre Boutang, ne per­me­t­tait pas de croire que l’on s’a­paisât en reje­tant ses « anciens », de plus en plus, vers une « moin­dre » humanité. »

Le nar­ra­teur, à pro­pos d’une opéra­tion de com­mu­ni­ca­tion de Verc­ingé­torix, commente :

« on n’a pas atten­du aujour­d’hui pour faire de la dés­in­for­ma­tion et de la réécri­t­ure de l’Histoire. »

On ne vous le fait pas dire. En par­ti­c­uli­er quand France TV présente la con­damna­tion de Jeanne d’Arc, sous les couleurs arc-en-ciel du lgbtisme :

« Con­damnée à mort, entre autres pour s’être trav­es­tie, Jeanne d’Arc est brûlée vive à Rouen en 1431. » (sic).

Épisode 2 : Clovis le premier roi chrétien

Évo­quant l’in­flu­ence con­jointe et con­certée de Clothilde, l’épouse de Clo­vis, et Rémi, l’évêque de Reims, Tomer Sis­ley, en homme avisé, assène pompeusement :

« Elle et son com­plice ont tra­vail­lé dur pour par­venir à leurs fins. »

Plus loin :

« On a longtemps par­lé de ce bap­tême comme d’un événe­ment grandiose, les rues, les églis­es de la ville décorées pour l’oc­ca­sion, Clo­vis et ses trois mille guer­ri­ers qui aban­don­nent leur parures et gri-gris païens pour se soumet­tre au bap­tême catholique. »

Après une pause inspirée, le con­teur nous grat­i­fie de son air le plus auto-sat­is­fait dont il dis­pose et lance, sans appel :

« ça ne s’est pas vrai­ment passé comme ça. »

Tout cela est dit sur un ton caté­gorique dans les pre­mières min­utes de l’épisode. Il fau­dra atten­dre jusqu’à la toute fin pour savoir com­ment « ça s’est vrai­ment passé ». J’e­spère que vous êtes assis parce que la révéla­tion a de quoi en cham­bouler plus d’un : les guer­ri­ers francs, pour une part notable d’en­tre eux, ont fait de la résis­tance, il n’y eut donc pas trois mille guer­ri­ers à se faire bap­tis­er cette nuit-là. Pourquoi un tel effet d’an­nonce pour si peu me direz-vous ? Il fal­lait, tout sim­ple­ment, min­imiser cet événe­ment cap­i­tal de notre His­toire, matriciel, puisque de lui découle une ère de civil­i­sa­tion nou­velle : la chré­tien­té d’occident.

Nous apprenons qu’il y a peu de trace écrite du bap­tême de Clo­vis, hormis la rela­tion qu’en fait Gré­goire de Tours, chroniqueur de l’époque, et évêque – vous ver­rez que cela a son impor­tance. La con­clu­sion, en effet, est aisée à for­muler : l’événe­ment n’a sans doute pas mar­qué les esprits à l’époque.

« Et pour­tant, pour­suit Tomer Sis­ley, l’Église l’a présen­té comme un moment pres­tigieux et his­torique. Et beau­coup ont voulu y inscrire les racines chré­ti­ennes de la France. »

Beau­coup ? Mais de quels salig­ots s’ag­it-il ? Les par­ti­sans d’une « his­toire de France rigide, for­cé­ment blanche, for­cé­ment chré­ti­enne » sans doute ? Voilà une posi­tion dis­créditée prompte­ment, à grand ren­fort de mine désolée et con­de­scen­dante, de pro­pos péremp­toire enfin. Et cette Eglise, Mater dolorosa com­muée en grande con­spir­a­trice, Mater tene­brosa ! L’ab­bé Bar­ru­el n’a qu’à bien se tenir ! Le con­spir­a­tionnisme a changé son fusil d’é­paule. Il est plus dans la ligne anti­cléri­cale : « écra­sons l’in­fâme », nous encour­ageait le très-libéral Voltaire…

Le bap­tême de Clo­vis, événe­ment mineur, dérisoire, mon­té en neige par une Eglise ivre de con­quêtes et de pou­voir… Comme dis­ait Gus­tave Thi­bon : « Les épo­ques de déca­dence ont un flair par­ti­c­uli­er pour décou­vrir et met­tre en relief le petit côté de la grandeur. »

Loft Story dans la garde royale

Si le bap­tême de Clo­vis est un événe­ment mineur, l’in­trigue sec­ondaire qui met en scène un mem­bre de la garde royale qui s’éprend d’une marchande syri­enne — dont on se demande ce que ça apporte au réc­it à part un sub­lim­i­nal éloge du métis­sage à l’époque mérovingi­en­ne – est sans doute un événe­ment plus grandiose.

Con­cer­nant le célèbre épisode du vase de Sois­sons, il nous est dit qu’il résulte du partage de butin, rit­uel de la tra­di­tion franque, qu’« un homme serait venu per­turber : l’évêque  Rémi. » Décidé­ment, ce Rémi est un mal­otru ! Entre com­plot en vue de bap­tême for­cé et per­tur­ba­tion d’un rit­uel tra­di­tion­nel, il n’y a rien à sauver chez lui. Com­ment expli­quer que la France l’ait tant célébré et que l’Église l’ait porté sur ses autels ? Sans doute qu’il n’y avait pas France 2 à l’époque pour les prévenir de la supercherie.

Tomer Sis­ley poursuit :

« Plus tard, cer­tains s’en servi­ront pour dire que Clo­vis a choisi l’Église plutôt que la tra­di­tion franque ».

Le con­teur, dépité devant tant de naïveté, ponctue par un « Bon » sonore, dont un soupir las s’en­suit. Finale­ment Clo­vis tient sa promesse et accepte de recevoir le bap­tême : « Une promesse qui va chang­er le cours de l’his­toire. » Se don­ner tant de peine pour min­imiser un événe­ment qui, finale­ment, « va chang­er le cours de l’his­toire », c’est à n’y rien com­pren­dre… La con­clu­sion tombe à pic pour annuler tout ce qui a été dit précédemment :

« Foi sincère ou con­ver­sion stratégique, on ne le saura jamais. »

Mais n’ou­bliez pas, en régime de décon­struc­tion « partout où la pen­sée opère, elle ne veut rien dire. »

Charles Martel en imposteur

L’épisode ne pou­vait pas s’ar­rêter là. Puisqu’au­cun épisode n’est entière­ment con­sacré à Charles Mar­tel, il fal­lait cro­quer le per­son­nage en quelques min­utes : un maire du palais qui se rêve roi au temps de la déca­dence mérovingi­en­ne, un ambitieux. Un mys­tifi­ca­teur aus­si, dont les islam­o­phobes se fer­ont un héros :

« Vic­to­rieux à Poitiers, Charles Mar­tel va prof­iter de l’oc­ca­sion pour s’ériger en sauveur du roy­aume et pro­tecteur des Francs. Il fait pass­er ces pil­lages pour une ten­ta­tive d’in­va­sion islamique. »

Non vous ne rêvez pas… Sans doute que les arti­sans de la recon­quista en Espagne ont fait de même en faisant pass­er une entre­prise d’échanges cul­turels pour une occu­pa­tion islamique, qui, certes, court sur sept longs siècles…

À suiv­re

Jean Mon­talte

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