Suite de notre dossier sur la série documentaire de France Télévisions consacrée à l’Histoire de France.
Voir aussi : France TV revisite – et détruit — le roman national avec Notre histoire de France. Première partie
Épisode 1 : Vercingétorix contre César
Il ne faut pas attendre bien longtemps — quatre minutes et vingt secondes ont suffi – pour comprendre l’angle qui sera celui du documentaire. Le détricotage du roman national commence à Alésia, à l’époque de Vercingétorix, héros de l’indépendance – je n’ose dire nationale. Tomer Sisley, qui n’est certes pas responsable de la teneur du texte qu’il récite pour l’occasion, n’était pas obligé de cabotiner à ce point et d’arborer cette mine satisfaite dès qu’il s’agit de déconsidérer un prétendu « mythe national ». Le premier à tomber est celui d’une lecture « nationaliste » de l’histoire de la résistance qu’opposa Vercingétorix à l’empire romain et à César en particulier :
« De Napoléon III à Pétain, nombreux sont ceux qui ont voulu faire de Vercingétorix le premier héros de l’unité française, de certains nationalismes. Il n’est pourtant pas question de nationalisme dans cette histoire mais plutôt de révolte populaire. »
Donc cette révolte populaire, est-elle marxiste ? Est-elle l’œuvre de l’humble travailleur gaulois qui se révolte contre le patron romain peu soucieux du bien-être des classes laborieuses ? Nous n’en saurons pas plus. Il vous suffit de croire sur parole qu’il n’y a aucune dimension nationale dans le soulèvement armé de tout un peuple contre un envahisseur étranger. C’est pourtant clair.
C’est si clair qu’il est mis l’accent sur l’absence d’unité de la Gaule – ce qui est un fait – et sur les disparités très grandes entre tribus qui peuplent la Gaule ou plutôt les Gaules, comme Jules César intitule son mémoire de campagne La guerre des Gaules. Mais enfin, tout cela est certainement vrai sur le plan ethnographique et sur le plan politique mais que faîtes-vous donc de l’unité religieuse qui fédère ces peuples, malgré les dissensions importantes qui les séparent ? Les druides ? Ils ne sont même pas évoqués. Sans doute que la dimension religieuse de ces peuples est par trop archaïque pour nos déconstructeurs… Grave omission puisque, comme le rappelle l’historien George Bordonove, dans son livre consacré à Vercingétorix :
« Il serait faux de croire que ces peuples n’avaient entre eux tout à fait aucun lien. L’unité de la Gaule était essentiellement, foncièrement, religieuse. Les Gaulois étaient toujours prêts à contester l’autorité d’où qu’elle vînt, hormis celle des druides. La classe des druides, les prêtres, et des eubages, leurs aides, était non seulement révérée, mais obéie. César a parfaitement élucidé la nature du pouvoir détenu par les druides ; pour ce motif, il s’est acharné à les détruire, alors qu’il a montré la plus grande tolérance à l’égard des autres structures sociales de la Gaule. Une fois l’an, au centre du pays, le collège des druides tenait avec les chevaliers un vaste rassemblement de caractère à la fois religieux, judiciaire et politique. Les druides eux-mêmes étaient sous la domination d’un pontife élu. Ce dernier assumait donc le rôle d’arbitre suprême. »
Gaulois alcoolos
Si nous ne savons rien de la religiosité gauloise, nous apprenons qu’ils furent de splendides poivrots, que Rome les abreuvait de leur vin pour mieux coloniser un « peuple alcoolisé » et que les gaulois en raffolèrent tant qu’ils mirent toutes leurs qualités industrieuses en jeu pour pouvoir se fournir en plus grandes quantités : c’est l’invention du tonneau. Nos ancêtres furent de magnifiques alcooliques ! Tout cela est haram au dernier degré… d’alcool ! Ce constat semble provoquer un dépit certain chez notre conteur, où semble poindre un soupçon de condescendance à l’égard de nos ancêtres. Pas de meilleur rappel que l’éthique romaine, cette fois-ci :
« Le sens romain du sacré, nous dit Pierre Boutang, ne permettait pas de croire que l’on s’apaisât en rejetant ses « anciens », de plus en plus, vers une « moindre » humanité. »
Le narrateur, à propos d’une opération de communication de Vercingétorix, commente :
« on n’a pas attendu aujourd’hui pour faire de la désinformation et de la réécriture de l’Histoire. »
On ne vous le fait pas dire. En particulier quand France TV présente la condamnation de Jeanne d’Arc, sous les couleurs arc-en-ciel du lgbtisme :
« Condamnée à mort, entre autres pour s’être travestie, Jeanne d’Arc est brûlée vive à Rouen en 1431. » (sic).
Épisode 2 : Clovis le premier roi chrétien
Évoquant l’influence conjointe et concertée de Clothilde, l’épouse de Clovis, et Rémi, l’évêque de Reims, Tomer Sisley, en homme avisé, assène pompeusement :
« Elle et son complice ont travaillé dur pour parvenir à leurs fins. »
Plus loin :
« On a longtemps parlé de ce baptême comme d’un événement grandiose, les rues, les églises de la ville décorées pour l’occasion, Clovis et ses trois mille guerriers qui abandonnent leur parures et gri-gris païens pour se soumettre au baptême catholique. »
Après une pause inspirée, le conteur nous gratifie de son air le plus auto-satisfait dont il dispose et lance, sans appel :
« ça ne s’est pas vraiment passé comme ça. »
Tout cela est dit sur un ton catégorique dans les premières minutes de l’épisode. Il faudra attendre jusqu’à la toute fin pour savoir comment « ça s’est vraiment passé ». J’espère que vous êtes assis parce que la révélation a de quoi en chambouler plus d’un : les guerriers francs, pour une part notable d’entre eux, ont fait de la résistance, il n’y eut donc pas trois mille guerriers à se faire baptiser cette nuit-là. Pourquoi un tel effet d’annonce pour si peu me direz-vous ? Il fallait, tout simplement, minimiser cet événement capital de notre Histoire, matriciel, puisque de lui découle une ère de civilisation nouvelle : la chrétienté d’occident.
Nous apprenons qu’il y a peu de trace écrite du baptême de Clovis, hormis la relation qu’en fait Grégoire de Tours, chroniqueur de l’époque, et évêque – vous verrez que cela a son importance. La conclusion, en effet, est aisée à formuler : l’événement n’a sans doute pas marqué les esprits à l’époque.
« Et pourtant, poursuit Tomer Sisley, l’Église l’a présenté comme un moment prestigieux et historique. Et beaucoup ont voulu y inscrire les racines chrétiennes de la France. »
Beaucoup ? Mais de quels saligots s’agit-il ? Les partisans d’une « histoire de France rigide, forcément blanche, forcément chrétienne » sans doute ? Voilà une position discréditée promptement, à grand renfort de mine désolée et condescendante, de propos péremptoire enfin. Et cette Eglise, Mater dolorosa commuée en grande conspiratrice, Mater tenebrosa ! L’abbé Barruel n’a qu’à bien se tenir ! Le conspirationnisme a changé son fusil d’épaule. Il est plus dans la ligne anticléricale : « écrasons l’infâme », nous encourageait le très-libéral Voltaire…
Le baptême de Clovis, événement mineur, dérisoire, monté en neige par une Eglise ivre de conquêtes et de pouvoir… Comme disait Gustave Thibon : « Les époques de décadence ont un flair particulier pour découvrir et mettre en relief le petit côté de la grandeur. »
Loft Story dans la garde royale
Si le baptême de Clovis est un événement mineur, l’intrigue secondaire qui met en scène un membre de la garde royale qui s’éprend d’une marchande syrienne — dont on se demande ce que ça apporte au récit à part un subliminal éloge du métissage à l’époque mérovingienne – est sans doute un événement plus grandiose.
Concernant le célèbre épisode du vase de Soissons, il nous est dit qu’il résulte du partage de butin, rituel de la tradition franque, qu’« un homme serait venu perturber : l’évêque Rémi. » Décidément, ce Rémi est un malotru ! Entre complot en vue de baptême forcé et perturbation d’un rituel traditionnel, il n’y a rien à sauver chez lui. Comment expliquer que la France l’ait tant célébré et que l’Église l’ait porté sur ses autels ? Sans doute qu’il n’y avait pas France 2 à l’époque pour les prévenir de la supercherie.
Tomer Sisley poursuit :
« Plus tard, certains s’en serviront pour dire que Clovis a choisi l’Église plutôt que la tradition franque ».
Le conteur, dépité devant tant de naïveté, ponctue par un « Bon » sonore, dont un soupir las s’ensuit. Finalement Clovis tient sa promesse et accepte de recevoir le baptême : « Une promesse qui va changer le cours de l’histoire. » Se donner tant de peine pour minimiser un événement qui, finalement, « va changer le cours de l’histoire », c’est à n’y rien comprendre… La conclusion tombe à pic pour annuler tout ce qui a été dit précédemment :
« Foi sincère ou conversion stratégique, on ne le saura jamais. »
Mais n’oubliez pas, en régime de déconstruction « partout où la pensée opère, elle ne veut rien dire. »
Charles Martel en imposteur
L’épisode ne pouvait pas s’arrêter là. Puisqu’aucun épisode n’est entièrement consacré à Charles Martel, il fallait croquer le personnage en quelques minutes : un maire du palais qui se rêve roi au temps de la décadence mérovingienne, un ambitieux. Un mystificateur aussi, dont les islamophobes se feront un héros :
« Victorieux à Poitiers, Charles Martel va profiter de l’occasion pour s’ériger en sauveur du royaume et protecteur des Francs. Il fait passer ces pillages pour une tentative d’invasion islamique. »
Non vous ne rêvez pas… Sans doute que les artisans de la reconquista en Espagne ont fait de même en faisant passer une entreprise d’échanges culturels pour une occupation islamique, qui, certes, court sur sept longs siècles…
À suivre
Jean Montalte