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France TV revisite – et détruit — le roman national avec Notre histoire de France. Première partie

30 octobre 2024

Temps de lecture : 8 minutes
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France TV revisite – et détruit — le roman national avec Notre histoire de France. Première partie

Temps de lecture : 8 minutes

Nous allons nous pencher sur la série documentaire consacrée à l’Histoire de France. Voici la présentation qu’en fait la chaîne du service public France TV : « De la Gaule antique à la Renaissance, du façonnement d’un peuple et d’un territoire à la naissance d’une puissante nation, les épisodes de “Notre histoire de France” racontés par Tomer Sisley couvrent plus de seize siècles en six épisodes répartis sur trois soirées événementielles. »

L’histoire de France récurée et dénationalisée

Hen­ry Mon­taigu écrivait en 1987, dans Le Roi capé­tien :

« L’His­toire de France que nous con­nais­sons, édul­corée et politi­carde, vile, vide et romanesque, odieuse­ment sen­ti­men­tale, sans doute en sou­venir de la boucherie de 1793, ne tra­verse jamais les apparences et borne son escha­tolo­gie au pitoy­able tri­om­phal­isme rad­i­cal du « cocori­co » de la Belle Époque. Ce n’est qu’un théâtre de foire avec sa pau­vre poésie d’Épinal et de roman pop­u­laire. À présent que les ter­mites d’Archives se sont attaqués à la vieille mai­son, tout ce qui demeu­rait encore de poésie ou de sin­gu­lar­ité un peu trop forte pour que les his­to­riens puis­sent com­plète­ment les escamot­er est en passe d’être décidé­ment con­fisqué par les idéolo­gies, et noyé par les archéologues. »

Cette con­fis­ca­tion et savante noy­ade par les idéo­logues est chose faite, entérinée. Après le roman nation­al sauce Lavisse, de la IIIe République, laïque et pos­i­tiviste, nous avons eu droit à un récurage de pré­ci­sion, une déna­tion­al­i­sa­tion de l’His­toire de France, si j’ose dire. Aujour­d’hui, un Patrick Boucheron, pro­fesseur au Col­lège de France et auteur de Pour une his­toire-monde, y con­tribue avec tout le pres­tige de sa fonc­tion, dûment auréolé de titres académiques.

Destruction du roman national

Pierre Nora notait très juste­ment que « l’idéolo­gie des droits de l’homme porte en elle la destruc­tion du roman nation­al. » Cepen­dant, nous avons dépassé ce stade. Les droits de l’homme se sont un peu éven­tés et démod­és, à force de ver­bal­isme et de pos­ture – ce qui entraîne fatale­ment infla­tion et éro­sion séman­tiques. La vogue crois­sante et déjà bien instal­lée d’une idéolo­gie, pré­ten­dant certes en finir avec les idéolo­gies et les grands réc­its, s’est imposée vail­lam­ment à la suc­ces­sion. Je veux par­ler, bien enten­du, de la décon­struc­tion, sacro-sainte bien que récu­sant le sacré comme la sain­teté, mais qui n’en doit pas moins être révérée par tout intel­lectuel digne de ce nom, se sou­ciant d’être à la page.

Pour ma part, chaque fois que le voca­ble décon­struc­tion est plan­tureuse­ment dégo­isé par un cuistre, je sub­odore qu’il pré­tend m’en impos­er par ce facile procédé rhé­torique et j’ai instan­ta­né­ment l’encéphale qui me turlupine. Une myr­i­ade de ques­tions afflue, en rangs ser­rés, telles des légions romaines psy­chiques, toutes plus rétro­grades les unes que les autres. Je dois dire que cer­taines sur­na­gent dans ce tour­bil­lon de per­plex­ité. Comme celle-ci, par exem­ple : pourquoi la décon­struc­tion, cette philoso­phie mise au point par Der­ri­da, qui pré­tend abolir jusqu’à la notion de sens, devrait-elle être prise au sérieux ? En effet, ce même Der­ri­da pro­fes­sait, candide :

« Là où la pen­sée opère, elle ne veut rien dire. »

Mais alors si elle ne veut rien dire, la décon­struc­tion ne veut rien dire non plus !

Victoire de l’insignifiant

Lorsque le sens a déserté le monde, il devient insen­sé de croire pou­voir l’habiter. Le mou­ve­ment de la décon­struc­tion a pour tâche d’entériner, d’approfondir cette fuite du sens con­statée, sur une tonal­ité trag­ique, par Niet­zsche : « Com­ment avons-nous pu vider la mer ? Qui nous a don­né l’éponge pour effac­er l’horizon tout entier ? N’errons-nous pas comme à tra­vers un néant infi­ni ? » La quête immé­mo­ri­ale du sens a été sup­plan­tée par la célébra­tion, non de l’absurde qui con­serve une rela­tion tour­men­tée et comme nos­tal­gique au sens, mais du non-sens même. Der­ri­da, peu soucieux de la cohérence, ira jusqu’à dire – comme rap­pelé plus haut — que « partout où elle opère, la pen­sée ne veut rien dire ». Les ama­teurs de para­dox­es savoureront. Deleuze, quant à lui, dont la philoso­phie est cer­taine­ment l’expression parox­ys­tique de cette ten­dance qui sem­ble se réalis­er jusque dans sa prose, célèbre « un corps sans organes qui ne cesse de défaire l’organisme, de faire pass­er et cir­culer des par­tic­ules asig­nifi­antes », dans une même veine il ajoute : « On ne deman­dera jamais ce que veut dire un livre, sig­nifié ou sig­nifi­ant, on ne cherchera rien à com­pren­dre dans un livre. » Pareille rage à enter­rer son pro­pre mes­sage, qui ne veut rien dire, laisse pantois.

Déconstruction et décomposition du langage

La décom­po­si­tion du lan­gage, que ce soit dans la dis­sémi­na­tion der­ri­di­enne qui lui refuse l’ordination au monde, à l’être et finale­ment au sens, ou dans les bégaiements qui s’abîment dans la banal­ité du dire et des vains bavardages sans forme, ponc­tués par des bor­bo­rygmes – pour don­ner bonne mesure – car­ac­térise une déca­dence poli­tique et une entropie spir­ituelle inouïes. Joseph de Maistre, en bon logocrate, énonce la loi anthro­pologique, poli­tique et lin­guis­tique, suivante :

« En effet, toute dégra­da­tion indi­vidu­elle ou nationale est sur-le-champ annon­cée par une dégra­da­tion rigoureuse­ment pro­por­tion­nelle dans le langage. »

Et l’en­trée en grande pompe du voca­ble décon­struc­tion, son usage sys­té­ma­tique dans quelque entre­prise de pro­pa­gande que ce soit, est un signe de dégra­da­tion d’une lim­pid­ité cristalline.

François Bous­quet épin­gle les car­ac­téris­tiques de la décon­struc­tion comme suit :

« La décon­struc­tion rejoint les franges les plus rad­i­cales de la philoso­phie lib­er­tari­enne. L’homme devient entre­pre­neur de lui-même, selon la for­mule de Fou­cault, qui voy­ait dans les théories néolibérales du cap­i­tal humain dévelop­pées par l’é­cole de Chica­go l’équiv­a­lent du tra­vail de destruc­tion-décon­struc­tion qu’il menait dans le champ philosophique : une promesse d’atomi­sa­tion sociale, d’hy­bri­da­tion cul­turelle et d’indéter­mi­na­tion identitaire. »

En somme la doc­trine de la « destruc­tion créa­trice » chère à Joseph Schum­peter. Destruc­tion des habi­tus, des cou­tumes, des tra­di­tions et des struc­tures fon­da­men­tales d’une société, pour ne plus laiss­er régn­er que le marché tout nu, sans con­tre­poids moral ou anthro­pologique que ce soit. La décon­struc­tion comme théolo­gie, avec sa doc­trine et ses grands prêtres à l’âge du cap­i­tal­isme mondialisé.

Une manœu­vre bien con­nue désor­mais, qui pour­tant ren­con­tre tou­jours autant de suc­cès : la gauche lib­er­taire s’oc­cupe des idées, du cul­turel, du socié­tal – en l’oc­cur­rence la décon­struc­tion – et la droite libérale y voit un moyen de s’ou­vrir de nou­veaux marchés. Michel Clous­card n’a rien dit de trop sur ce point, sans toute­fois tou­jours en tir­er les con­séquences qui s’imposent.

Jean-François Mat­téi écrit dans L’Homme dévasté :

« Rémi brague, dans Le Pro­pre de l’homme, a mis en lumière l’impuissance de l’humanisme clas­sique et de l’antihumanisme mod­erne à don­ner une légitim­ité à l’existence de l’homme. L’humanisme, celui de Mon­taigne, parce qu’il a échoué à fonder l’homme sur une vie pas­sagère en oubliant la néces­sité d’un point d’appui extérieur. L’antihumanisme, celui d’un Fou­cault, parce qu’il n’a pu rompre le cer­cle de la mort de l’homme et de la mort de Dieu. Tous deux, en repli­ant l’homme sur son pro­pre vide sans lui laiss­er d’issue, con­courent à sa dis­pari­tion. “La créa­tion de soi par soi tourne à la destruc­tion de soi par soi.” (Rémi Brague). »

C’est don­ner une déf­i­ni­tion exacte de la décon­struc­tion.

Libération enthousiaste

Toutes ces réflex­ions ne sont pas du goût de Libéra­tion, c’est l’év­i­dence même, qui salu­ait la série doc­u­men­taire en ces ter­mes : « « Notre his­toire de France » : une série sur France 2 pour « décon­stru­ire » le roman nation­al. » Il nous est pré­cisé que, de son côté « 20 min­utes, parte­naire de « Notre his­toire de France », n’a pas vision­né tous les épisodes mais nul doute que la manière dont seront abor­dées cer­taines fig­ures, dans un pro­gramme aus­si exposé, fera grin­cer des dents les par­ti­sans d’une his­toire de France rigide, for­cé­ment blanche, for­cé­ment chré­ti­enne. » Les bons apôtres ! Faire grin­cer des dents ceux qui s’en tien­nent absur­de­ment à « une his­toire de France rigide, for­cé­ment blanche, for­cé­ment chré­ti­enne », est un noble souci, certes, mais nous ver­rons que les décep­tions seront grinçantes pour ces mêmes apôtres et ne boud­erons pas notre plaisir.

Après vision­nage, Téléra­ma titre, désabusé :

« « Notre his­toire de France » : France 2 choisit les héros suran­nés d’un pan­théon IIIe République. »

Et Libéra­tion, revenu de ses espérances trompeuses et trompées, se remet­tant mal d’une gris­erie qu’il lui fau­dra s’employer à décon­stru­ire, sans doute :

« Peut-on écrire « Notre His­toire de France » sans tomber dans le roman national ? »

Comme si le roman nation­al con­sti­tu­ait en soi une chute. Mais de quels som­mets ? La réponse est sim­ple : non.

Nous fer­ons quelques remar­ques brèves, épisode par épisode, pour décon­stru­ire – après tout ce mot appar­tient à tout le monde ! — cette série doc­u­men­taire con­sacrée à l’His­toire de France et nous ver­rons s’il y a lieu de rejoin­dre les con­clu­sions de Libéra­tion, une fois n’est pas cou­tume. Nous ver­rons que la décon­struc­tion promise, annon­cée, présen­tée ain­si dans les médias, n’a pas été à la hau­teur des attentes et que le roman nation­al n’est pas déman­telé méthodique­ment, de quoi décevoir les pas­sions nihilistes de nos chers décon­struc­teurs. Et pour­tant dès le texte du générique, qui intro­duit chaque épisode, nous auri­ons pu croire que la Grande His­toire serait mise en arrière-plan du récit :

« Ces événe­ments ont con­stru­it la France, façon­né un peu­ple, et forgé une nation. Des femmes, des hommes, mais aus­si des rois, des reines, des per­son­nages légendaires, ont écrit cette his­toire, notre histoire. »

À suiv­re

Jean Mon­talte

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