Près de quarante ans de carte de presse, de Paris-Jour au Figaro en passant par L’Aurore, du statut de stagiaire échotier à celui de grand reporter, Francis Puyalte a tout connu, tout vécu de la presse écrite. Dans un livre brillant, nourri, enlevé, parfois drôle et souvent amer, il passe de l’autre côté du miroir. Et ce n’est pas toujours sympathique.
Lecteur, ami lecteur tu apprendras que « Le lecteur ? C’est l’Arlésienne de la presse. Tout le monde en parle mais personne ne le connaît. La plupart des journalistes l’ignorent lorsqu’ils ne le méprisent pas ».
Si Puyalte respecte les dirigeants et les journalistes de Paris-Jour comme ceux de L’Aurore, Le Figaro en prend pour son grade « Un havre. L’atmosphère y est ouatée. On se doit d’y être convenable. Pas de vagues. Pas de piaillerie. Pas de chahut ». Il reprend à son compte le portrait charge de Jean Bothorel (Le bal des vautours, Jean Picollec, 1996) et les 23 manières de signer du quotidien de la bourgeoisie « Il y a au Figaro vingt-trois – vingt-trois ! – manières de signer un article… On songe aux modèles hiérarchiques de l’Armée rouge ». Il va aussi découvrir comme son ancien chef de Paris Jour Bernard Morrot (France, ta presse fout le camp, L’Archipel, 2000) que « …plusieurs des innombrables bureaux dispersés dans les étages avaient des locataires dont personne ne savait l’emploi exact ». Il y a certes de grands journalistes (Max Clos, Frossard) mais aussi une cohorte de petits marquis auxquels il faut se soumettre. Une ambiance qui incite à tout sauf au courage, surtout pas au courage.
Il découvre aussi que certains journalistes ne font que recopier l’AFP. Lors d’un reportage sur une séquestration de patrons dans une usine Talbot, il voit de ses yeux les patrons séquestrés. La jeune journaliste de l’AFP n’en parle pas (refuse d’en parler ?). Résultat : « Des cadres séquestrés chez Talbot ce jour là ? Non. C’est faux. La preuve c’est que l’agence France-Presse n’en parle pas ».
Sans oublier les pressions économiques. Lors d’un reportage sur les chinois du XIIIème arrondissement de Paris, les triades et les frères Tang, il va se heurter à un fidèle de Robert Hersant, Jean Miot. Miot convoque Puyalte dans son bureau, lui montre un périodique en chinois « Tu vois ce journal, c’est nous qui l’imprimons à Roissy. Il pèse 400 bâtons. Et toi combien tu pèses ? …alors ton enquête, tu l’oublies ».
Francis Puyalte va faire la connaissance de ceux qu’il appelle « Les nouveaux Inquisiteurs. Dans la presse écrite et audiovisuelle, ils fabriquent des innocents et des coupables. Leur opinion personnelle forge l’opinion publique » (1). L’affaire Kamal sera l’occasion de les fréquenter de près, de trop près. Karim Kamal et sa femme Marie-Pierre Guyot se disputent la garde de leur fille Lauriane dans une affaire hautement médiatisée pendant plus de dix ans, de 1993 à 2005. Ancien échotier, Francis Puyalte va suivre l’affaire pour Le Figaro, à ses dépens comme il le verra plus tard. Karim Kamal franco-marocain, séduisant, manipulateur, disposant d’une famille influente aux États-Unis va user de tous les subterfuges y compris les plus ignobles pour récupérer sa fille. Le racisme bien sûr « Parce que je suis à moitié marocain… parce que je suis victime du racisme ». La calomnie pure pour salir sa femme accusée de …pédophilie !
Le tout avec le soutien de la grosse presse du Monde à Paris-Match en passant par Le Nouvel Observateur, France-Soir, Nice-Matin, Libération et … Le Figaro qui vont consacrer plus de 200 articles à l’affaire. Hervé Gattegno (2), fidèle compagnon d’Edwy Plenel, va se distinguer particulièrement au Monde. Il consacre près d’une trentaine d’articles à l’affaire, la plupart répercutant les accusations de pédophilie contre la mère… sans jamais la rencontrer une seule fois. Le directeur du Monde, Jean-Marie Colombani sera sévèrement condamné en 2002 par le tribunal de Grasse : « L’auteur de l’article… procédant par amalgames… qu’il ne saurait faire valoir qu’il a mené une enquête sérieuse… sans faire le moins du monde état des enquêtes… a manqué de la plus élémentaire prudence ».
Mais Gattegno n’est pas seul. La presse télévisée est aussi de la partie. L’émission Envoyé spécial est une des locomotives de France 2 de l’époque. Le correspondant local de France 2 à Nice, Olivier Théron va se distinguer dans un reportage halluciné signé « Au nom de la loi » et accablant la mère supposée pédophile par un art savant du montage. « Olivier Théron n’a pas dit la vérité, n’a pas restitué la réalité. Il a été le vecteur conscient ou inconscient d’une stratégie de mystification de grande ampleur ». L’essentiel du reportage sera repris plus tard sur Canal dans Lundi Investigation. Madame Guyot gagnera haut la main tous ses procès contre la presse et gardera sa fille mais à quel prix ! Sans compter que l’auteur sera combattu dans son propre journal et lâché par sa hiérarchie qui hurle avec les loups.
Dans un livre qui se lit comme un roman policier Francis Puyalte pose avec brio les bonnes questions : quel est le premier pouvoir en France ? Quelle est la responsabilité réelle des journalistes et de leurs patrons ? Comment fonctionne le journalisme de copinage et de recopiage ? Citons-le « mon but est d’encourager le lecteur de ce livre et des journaux, à s’interroger, analyser, décrypter, recouper. Et surtout, ne jamais prendre pour argent comptant ce qu’il lit, voit ou entend. À se poser la question : “Et si c’était faux ?”. » Tout le programme de l’OJIM en une phrase. Lisez donc Francis Puyalte.
Notes
(1) Voir le livre de Gérard Lhéritier, Intime corruption, L’Archipel, 2006. Gérard Lhéritier à la suite d’un faux témoignage repris sans examen par la presse (nous retrouverons Hervé Gattegno – décidemment – et Nice Matin) sera à deux doigts de tout perdre : honneur, famille, situation professionnelle. Nous recenserons son témoignage sur le site de l’OJIM comme le parfait exemple de ce que risque chacun à tout instant si les médias ne respectent pas un minimum de déontologie.
(2) Tout ceci n’empêchera pas Gattegno de rester quinze ans au Monde et de devenir rédacteur en chef au Point de …la cellule d’investigation. Hervé Gattegno est considéré comme un « bébé Plenel » (voir Pierre Péan/Philippe Cohen, La face cachée du Monde, Mille et une nuits, 2003). Edwy Plenel « ancien militant trotskiste et investigateur qui est passé aux cuisines et ne sert plus en salle » Un portrait leur sera prochainement consacré sur le site de l’OJIM.
Francis Puyalte, L’Inquisition médiatique. Journaliste ? Vous avez dit journaliste ? Préface de Christian Millau, Dualpha Éditions, 2011, 331 pp, 33 €. FrancePhi Diffusion — Boite 37 – 16 bis rue d’Odessa 75014 Paris. Commande possible sur le site www.francephi.com (paiement sécurisé par carte bancaire et paypal). [email protected]
Crédit photo : © Francis Puyalte