François-Régis Hutin, emblématique patron de Ouest-France, est mort le 10 décembre 2017 à Rennes après avoir constitué autour du journal rennais l’un des plus puissants groupes de presse régionale en France. Cependant, au fil des années, la croissance du groupe Ouest-France a participé à l’effacement de l’esprit démocrate-chrétien du journal, voire chrétien tout court, si ce n’est pour défendre… les migrants.
Né le 26 juin 1929 à Rennes, c’est le deuxième des cinq enfants de Paul Hutin Desgrées et petit fils d’Emmanuel Desgrées du Lou, cofondateur avec l’abbé Trochu de L’Ouest-Éclair en 1899 qui devient rapidement le héraut des chrétiens démocrates proches du Sillon. Après avoir passé deux ans au Séminaire des Missions Françaises de 1948 à 1950, puis diverses pérégrinations et études, il revient au bercail en entrant comme journaliste stagiaire en 1961 chez Ouest-France, directeur général adjoint en 1965, directeur général en 1970, PDG enfin en 1984.
Sous sa houlette Ouest-France grandit et dépasse la ville de Rennes. Les quotidiens Presse-Océan (Nantes), Le Courrier de l’Ouest (Angers) et Le Maine libre (Le Mans) sont rachetés, ainsi que la Presse de la Manche (Cherbourg). Ouest-France met aussi la main sur 79 hebdomadaires locaux à travers sa filiale Publihebdos, dans le nord-ouest de la France et l’Ile-de-France (77 hebdomadaires payants, 9 hebdomadaires gratuits et 2 mensuels gratuits), s’étend dans les petites annonces et les sites internets spécialisés, dans la distribution d’imprimés publicitaires ou encore l’édition.
Commandeur de l’ordre national du Mérite le 11 novembre 2010, il publie éditos et reportages où il affiche ses convictions chrétiennes. Celles-ci l’ont conduit à défendre successivement l’interdiction de la peine de mort, l’amélioration du sort des prisonniers, la préservation de l’école libre, l’adoption du traité de Maastricht puis de la Constitution Européenne – si la France la rejette, les départements où est diffusé Ouest-France l’approuvent – sans oublier l’accueil des migrants. Un combat partagé par certains journalistes du groupe qui n’hésitent pas à utiliser leur métier pour servir leur vie privée. En 2012–2013 cependant, à rebours de la quasi-totalité de la presse française, François-Régis Hutin s’oppose dans ses éditoriaux au « mariage pour tous ».
Salué par les témoignages de tristesse de l’ensemble des notables des départements de l’ouest de la France – toutes tendances politiques confondues, François-Régis Hutin laisse derrière lui un groupe régional puissant mais aux performances hétérogènes. Alors que les petites annonces se sont effondrées et que le groupe s’est désengagé de la plupart de ses sites internet spécialisés, les titres papier n’échappent pas à la crise de crédibilité des médias traditionnels. Filtrage des informations, parti-pris dans le traitement de certaines informations, pressions vis-à-vis de certains témoins pour favoriser certains acteurs économiques ou politiques…
Les inquiétudes pour l’avenir de Presse-Océan sont-elles fondées ?
Pendant ce temps les tirages ne cessent de reculer et les fusions entre rédactions continuent, ainsi que les baisses de moyens, même si le site internet cartonne. À Nantes, ces « synergies » sont particulièrement visibles dans le quotidien local Presse-Océan, déjà bien moins diffusé que Ouest-France et dont le contenu ne cesse de s’appauvrir. Il est fréquent maintenant que le reportage en Une du journal soit le même, à quelques mots près, que celui de la page 5 du Ouest-France.
« Lorsque Hutin avait racheté le titre, ça avait fait beaucoup de remous. Hervé Louboutin, l’ancien rédac-chef, était parti [et avait fondé le Nouvel Ouest, qui tient jusqu’aujourd’hui, réfugié dans la niche de la presse économique], beaucoup craignaient que le titre ne disparaisse », confie un journaliste nantais. « Hutin avait pris l’engagement que tant qu’il vivrait Presse-Océan serait maintenu. Ce qui n’a pas empêché nos collègues de vider le journal de son contenu, de diminuer les moyens hors de l’agglomération de Nantes et de sabrer la diffusion. Maintenant qu’il n’est plus là, il est à craindre que Presse‑O ne disparaisse et ne devienne une simple édition locale d’Ouest-France. Ce sera la fin de la presse généraliste décidée à Nantes pour les nantais ». Sur le papier tout au moins.