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Les journalistes de Frontières pris à partie à l’Assemblée nationale

15 avril 2025

Temps de lecture : 6 minutes
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Les journalistes de Frontières pris à partie à l’Assemblée nationale

Temps de lecture : 6 minutes

Scène sur­réal­iste à l’Assemblée nationale le mer­cre­di 9 avril 2025 : des jour­nal­istes du média Fron­tières sont pris à par­ti par des députés et des col­lab­o­ra­teurs de La France Insoumise (LFI), du Par­ti social­iste (PS) et du Par­ti com­mu­niste (PCF).

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Un incroy­able et vio­lent coup de pres­sion dans l’enceinte de la démoc­ra­tie représen­ta­tive française. Deux jour­nal­istes de Fron­tières, dont la jeune Louise Morice, présen­tant La Mati­nale de la chaîne YouTube du média, ont subi un véri­ta­ble coup de pres­sion, acculés con­tre un mur sur un parvis, par une foule com­pacte, aux cris de « Fron­tières casse-toi ! L’Assemblée n’est pas à toi ! ». Les ser­vices de sécu­rité heureuse­ment sont inter­venus afin d’exfiltrer les deux jour­nal­istes. Au vu des images, il n’est pas inter­dit de se deman­der ce qu’ils auraient sinon subi. Notons que les jour­nal­istes de Fron­tières, étaient accrédités avec une carte de presse.

Un numéro sur LFI

Cet évène­ment fait suite à la paru­tion d’un numéro du mag­a­zine Fron­tières, qual­i­fié « d’extrême-droite » par la majorité de ses con­frères, con­sacré à La France Insoumise (LFI) et surtout à une par­tie de ses députés et de leurs col­lab­o­ra­teurs. Fron­tières enquête et apporte des élé­ments per­me­t­tant de se deman­der si LFI ne serait pas « Le par­ti de l’étranger ».

Selon les trois par­tis poli­tiques (LFI, PC, PS), ain­si que pour la CGT, c’est cette paru­tion qui aurait entraîné le rassem­ble­ment de mem­bres de LFI, mais aus­si de députés social­istes et com­mu­nistes dans l’enceinte de l’Assemblée nationale. Les images mon­trent un Raphaël Arnault, député La France Insoumise, ancien deal­er et dou­ble fiché S hilare.

160 pages de dossier et une cartographie

Au sein des 160 pages du dossier, une enquête fouil­lée, se trou­ve une car­togra­phie de col­lab­o­ra­teurs et col­lab­o­ra­tri­ces pointant du doigt des accoin­tances avec, par exem­ple, des groupes islamistes, racistes, anti­sémites ou faisant ressor­tir des par­cours dou­teux. Un peu comme le font l’ensemble des médias aux sujets des mem­bres du Rassem­ble­ment Nation­al ou de Recon­quête lors des élec­tions, Fron­tières s’est attaché à déter­rer des bre­bis poten­tielle­ment galeuses. La traque de pro­fils dou­teux, pour Médi­a­part, Libéra­tion, Le Monde, Radio France etc, ne l’est pas pour Fron­tières.

Les images par­lent d’elles-mêmes. Les jour­nal­istes sont vio­lem­ment acculés con­tre un mur, poussés, vic­times de coup de coudes et d’insultes ain­si que de ten­ta­tives de se saisir de leurs télé­phones portables.

La majorité des médias inversent la réalité

Glob­ale­ment, le nar­ratif imposé par la presse majori­taire le jour même et les jours suiv­ants est une inver­sion de la réal­ité. Les vic­times devi­en­nent les coupables. Le jour même, Fran­ce­In­fo rend compte d’un « inci­dent ». L’article pub­lié sur son site con­sid­ère que la cause des vio­lences n’est pas liée à ceux qui ont empêché des jour­nal­istes d’exercer leur tra­vail, s’attaquant ain­si autant à la lib­erté d’expression que d’informer. La cause serait l’enquête de Fron­tières. En somme, pas d’enquête, pas de réac­tion. Un peu de médias fic­tion ? Imag­i­nons que des députés du Rassem­ble­ment Nation­al ou de Recon­quête, s’ils en avaient, réagis­sent de cette sorte suite aux arti­cles pro­fi­lant régulière­ment cer­tains de leurs can­di­dats à chaque élec­tion. Cela provo­querait une lev­ée de boucliers. La presse majori­taire hurlerait à un nou­veau 6 févri­er 1934 ou à la prochaine adv­enue d’une attaque sur le Capi­tole. Pour cette presse, les évène­ments seraient liés à une « provo­ca­tion des jour­nal­istes de Fron­tières ». Pas seule­ment les médias du reste, puisque la prési­dente de l’Assemblée nationale, sous pres­sion d’un Bureau majori­taire­ment de gauche, a expliqué que les accrédi­ta­tions devraient être revues. Con­damnant les « inci­dents », Madame Braun-Pivet affirme par ailleurs : « De plus, dans l’en­ceinte de l’Assem­blée nationale doivent être respec­tées des règles de com­porte­ment qui sont néces­saires à la sérénité des débats par­lemen­taires. En par­ti­c­uli­er, aucune démarche pou­vant s’ap­par­enter à une mise en scène ou à des provo­ca­tions, quelle qu’en soit la nature, ne saurait être tolérée ». Dif­fi­cile de ne pas repenser au dis­cours de J.D. Vance sur la lib­erté d’expression en Europe, lors de la récente con­férence de Munich sur la sécurité.

 

Réac­tions qua­si iden­tiques du Monde à Télérama

Fran­ce­In­fo n’est pas un cas unique. L’immense majorité des médias enchaîne sur le même thème. Dans son édi­tion du 10 avril 2025, Le Monde est encore plus pré­cis en sous-titrant son arti­cle : « La prési­dente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a appelé au « respect des règles de com­porte­ment » et entend le rap­pel­er « à Fron­tières » qui a reçu le sou­tien du RN jusque dans l’hémicycle ». A aucun moment le com­porte­ment vio­lent des agi­ta­teurs de l’enceinte de l’Assemblée n’est critiqué.

Pire encore pour Téléra­ma qui con­sid­ère que Fron­tières « fiche les assis­tants par­lemen­taires ». Comme atten­du, la télévi­sion en ligne proche de LFI Le Média con­sacre une émis­sion à l’évènement, « Au coeur de l’actu ». Pour ce média, les choses sont claires : Fron­tières est iden­ti­taire, raciste et xéno­phobe et les jour­nal­istes de Fron­tières sont ici qual­i­fiés de « nou­velle engeance ». Pour L’Humanité et Les Ecol­o­gistes c’est la présence des jour­nal­istes de Fron­tières qui con­stitue un « trou­ble man­i­feste à l’ordre pub­lic », pas la man­i­fes­ta­tion visant à les évin­cer et à empêch­er l’expression d’une voix dis­cor­dante dans le débat pub­lic. Libéra­tion se réjouit ven­dre­di 11 avril 2025 : « Yaël Braun-Pivet men­ace le média d’extrême droite Fron­tières de lui retir­er son droit d’accès à l’Assemblée ». Pen­dant ce temps l’hebdomadaire Mar­i­anne con­sid­ère que Fron­tières « surfe sur la télé-réal­ité par­lemen­taire ». Pour Médi­a­part, sans sur­prise, cette affaire est un « mau­vais coup du RN et du mag­a­zine Fron­tières ».

Des voix discordantes peu nombreuses

Peu de voix vont à l’encontre de la parole inver­sant coupables et vic­times. Le Jour­nal du Dimanche évoque une « soumis­sion à la gauche, CNews juge l’évènement et la réac­tion des autorités de l’Assemblée comme étant incroy­ables, avant tout poli­tiques, visant peut-être à terme à cen­sur­er Fron­tières, tan­dis que Guil­laume Tabard, dans le Figaro daté du same­di 12 avril 2025, évoque l’inversion des valeurs qui voit des vic­times dans les coupables et des coupables dans les vic­times. Selon lui, « Dans cet épisode, les équipes de Fron­tières étaient con­scientes du risque de clash. Leur inten­tion est claire : mon­tr­er l’intolérance de la gauche rad­i­cale. On peut déplor­er ce procédé, mais il est de plus en plus fréquent et il a été d’abord éprou­vé dans des réseaux d’ultra-gauche venant par exem­ple filmer des policiers pen­dant des man­i­fes­ta­tions, mis­ant, là aus­si, sur une réac­tion per­me­t­tant de crier à la « vio­lence poli­cière ».  Plus pré­cisé­ment : « C’est bien l’identité poli­tique de Fron­tières qui est jugée par principe coupable par ceux qui — au nom de la démoc­ra­tie ! — récla­ment son interdiction ».

Le dimanche 13 avril le site de Fron­tières était inac­ces­si­ble, avec une page vide lais­sant penser à une attaque. 

Paul Ver­meulen

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