L’audiovisuel public est en ébullition : Rachida Dati, ministre de la Culture, présente un projet de loi, calqué sur un projet sénatorial LR, destiné à former un pôle unique d’audiovisuel public.
Audiovisuel public : de quoi parle-t-on ?
Actuellement, l’audiovisuel public rassemble France Télévisions, Radio France, France Médias Monde, c’est-à-dire RFI et France 24, et enfin l’Institut national de l’audiovisuel, INA. Or, dès son arrivée au ministère de la Culture en janvier 2024, Rachida Dati prévoyait de créer un « pôle puissant », avec une gouvernance commune. Aujourd’hui, chaque entité a son président, ses fonctions supports, ses spécialistes en divers domaines. Fusionner l’ensemble permettrait de supprimer certains doublons, mais aussi de créer des équipes plus polyvalentes, plus compétentes, et même plus créatives, car on ne réfléchit pas de la même façon quand on crée un sujet pour la radio ou pour la télévision. Le nouvel audiovisuel public comporterait trois pôles : international, national et local. Au sein de ces pôles seraient traités les sujets informatifs, culturels, etc. France 3 et France Bleu pourraient ainsi être réunis en « France Médias Régions ».
Une fusion menée au pas de charge
Rachida Dati prévoit donc la création d’une « holding » pour début janvier 2025. Une petite révolution qui ne serait qu’une étape avant une fusion totale le 1er janvier 2026. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le calendrier est serré, et c’est là le reproche de bien des parties prenantes. D’autant que c’est loin d’être le seul projet de loi que l’Assemblée ait « dans les tuyaux ». Cependant, le projet n’a rien de neuf, et s’il n’est pas plus connu, c’est à cause de la crise sanitaire. En 2020, la suppression de la redevance télé, depuis remplacée par un impôt, procédait déjà de cette volonté de simplification. A l’époque, c’est Frank Riester qui menait la barque. Au reste, la fusion des médias est déjà à l’œuvre, quoique par petites touches : France 3 et France Bleu partagent déjà la même matinale depuis 2019. Seulement voilà, le temps presse : en 2025 s’achèvera le mandat de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions. Cette dernière serait plutôt favorable au projet, rejoignant en cela l’avis de Laurent Vallet, président de l’INA.
La holding, un pas vers la fusion
La holding, première étape avant la fusion, se nommerait « France Médias ». Grâce à une gouvernance unique, elle permettrait des coopérations plus simples entre télévision et radio, deux médias de plus en plus perméables, comme le montrent BFM TV et RMC ou Europe 1 et CNews. Le texte permettant cette fusion a été examinée en première lecture par la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale les mardi et mercredi 14 et 15 mai. Au reste, Rachida Dati a placé ses pions pour éviter les débats trop houleux : cette solution a déjà été proposée par un texte adopté par le Sénat en juin 2023.
Fusionner l’audiovisuel public pour diminuer les financements ?
Derrière la question de la fusion se cache une question cruciale, peut-être la question principale : le financement. Depuis la fin de la redevance audiovisuelle, qui rapportait plus de trois milliards d’euros chaque année, l’audiovisuel public est financé par un prélèvement sur la TVA, et en réalité par la dette. Or, cette recette dépend fatalement de la consommation des ménages, ce qui ne convient guère aux acteurs de l’audiovisuel, qui préfèreraient disposer d’un revenu garanti. Ainsi, en juin 2023, le Sénat suggérait une « ressource publique de nature fiscale, pérenne, suffisante, prévisible et prenant en compte l’inflation », par exemple un budget pris en compte dans la loi de finances.
Toutefois, il ne s’agit pas que de trouver l’argent : il faut aussi l’économiser. Alors que le gouvernement ne cesse de rappeler son besoin de trouver dix milliards, puis vingt, l’audiovisuel public pourrait être un vivier d’économies. Roger Karouchi, co-auteur du rapport Karouchi / Hugonet de 2022, parle de 10 % d’économies, sur un budget de quatre milliards d’euros en 2023. Ce chiffre n’a pour le moment pas été revu à la baisse.
Il faut dire que les syndicats veillent. Bien que le modèle français fasse figure d’exception en Europe, ils estiment que pareille fusion serait une calamité, et pointent notamment cette possible diminution des financements. Ils appellent donc à la grève les 23 et 24 mai, soit pendant les débats à l’Assemblée nationale autour du texte.
A‑t-on besoin d’un audiovisuel public ?
Le projet de Rachida Dati repose sur une conviction, exprimée pendant les questions au gouvernement le 7 avril. Selon la ministre de la Culture, « nous avons besoin d’un audiovisuel public puissant ». Un BBC à la française, une énorme institution qui rassemblerait la culture et l’information, l’international et le local, la radio et la télé. Pourtant, ce besoin peut être remis en cause. Pourquoi la France aurait-elle besoin d’un audiovisuel public, à plus forte raison puissant ? Les chaînes privées sont nombreuses en France, et donnent à tous ce dont ils ont besoin. Histoire, culture, religion, tous les sujets sont abordés, avec des angles de vue différents. En réalité, l’enjeu de l’audiovisuel public n’est pas la fusion, mais la suppression.