Le 29 août 2019, le tribunal correctionnel de Gap rendait son jugement à l’encontre de militants de Génération identitaire pour une action dans les Alpes à la frontière franco-italienne en avril 2018. Le juge a eu la main lourde : il a suivi le réquisitoire du Procureur de la République en condamnant 3 militants à 6 mois de prison ferme et à une privation de leurs droits civiques et l’association Génération identitaire à l’amende maximale pour le chef d’inculpation retenu. En l’espèce : « activités exercées dans des conditions de nature à créer dans l’esprit du public une confusion avec l’exercice d’une fonction publique ».
La couverture médiatique et les éléments de langage utilisés à cette occasion en disent long sur la « popularité » de cette action auprès des journalistes des médias de grand chemin. De nombreux articles consacrés à la condamnation des militants de Génération identitaire (GI) reprennent les mêmes éléments de langage. Les sources des articles sont parfois citées à côté du nom du journaliste et parfois dans le corps de l’article : l’AFP et l’agence Reuters. Que nous dit sur ce jugement le robinet d’eau tiède abreuvant les médias de grand chemin ?
Pourquoi les militants de GI ont-ils été condamnés ?
« Pour avoir tenté de bloquer la frontière » selon Le Dauphiné Libéré. Même argument pour Le Parisien.
Rue89 estime que c’est à cause de leur « patrouille anti migrants », une « action anti migrants » selon L’Est Républicain, un terme largement repris. De nombreux articles mentionnent que les militants de GI ont fait leur action « en doudoune », comme pour apporter un détail illustrant son caractère ridicule.
Qui sont les militants de GI ?
Ils sont selon la quasi-totalité des titres des médias de grand chemin positionnés sur l’échiquier politique « à l’extrême droite », voire dans certains cas à « l’ultra droite ». Le terme « identitaire » est parfois employé sans que l’on sache exactement ce qu’il recouvre. Comme il est souvent associé à « l’extrême droite », l’infamie et la disqualification ne sont jamais loins… Le mouvement GI est également très fréquemment qualifié de « groupuscule » d’extrême droite, comme pour l’associer à une mouvance subversive et inquiétante.
Quelle est l’infraction pour laquelle les militants de GI ont été condamnés ?
L’infraction d’« activités exercées dans des conditions de nature à créer dans l’esprit du public une confusion avec l’exercice d’une fonction publique » est mentionnée dans presque tous les articles de l’échantillon retenu.
Quels sont les commentaires sur le jugement ?
Les journalistes des médias de grand chemin n’émettent pas d’avis personnel sur le jugement, mais les termes retenus et la contextualisation des articles ne sont pas anodins. La parole est parfois donnée à l’avocat de GI et à celui de l’avocat d’une association plaignante, « Tous migrants ».
Outre les informations ci-dessus mentionnées, les peines sont systématiquement précisées — 6 mois de prison ferme et privation des droits civiques pour 3 militants et 75 000 € d’amende pour l’association — ainsi que la décision de l’avocat de GI de faire appel.
Alors que France Info consacre un article à l’interview du président de France Terre d’asile selon lequel « ce groupement n’a rien à faire en République », quelques rares médias donnent une place aux réactions défavorables au jugement. RT France dédie un assez long article aux réactions de diverses personnalités tandis que le mensuel L’Incorrect est parmi les seuls médias à donner sur son site la parole à une des personnes condamnées, Damien Rieu.
Retenons un article particulièrement à charge sur Euronews en français : « association xénophobe », « message violent et haineux à l’égard des réfugiés », dans la grande tradition du journalisme de délation qui est souvent le style de ce média.
Au vu des différents articles, l’affaire semble pliée : des militants d’extrême droite ont voulu jouer au douanier, ils ont été condamnés, basta !
Quelques éléments de contexte – systématiquement absents des articles sur le jugement – peuvent amener à modérer cet argumentaire, voire à réviser ce type d’opinion :
- La situation à la frontière franco-italienne : les militants de GI n’invoquent jamais, contrairement à ce qui est indiqué dans presque tous les articles – être « anti-migrants ». Ils souhaitent que la frontière soit gardée et respectée. Dans leur action, ils reprennent les techniques d’agit-prop d’autres associations comme Greenpeace, en menant des actions spectaculaires et médiatisées aux fins de braquer les projecteurs sur une situation critique.
Dans le cas présent, la frontière franco-italienne est devenue un point de passage majeur de l’immigration clandestine vers le France. Selon des sources policières citées par Le Figaro, il y a près de 70 à 90 arrestations par jour de clandestins dans la vallée de la Roya. En Italie, à Vintimille, les migrants sont de plus en plus nombreux à vouloir passer clandestinement en France. Près de 200 000 d’entre eux attendraient en Italie de le faire, affirmait le Préfet de Nice en 2017 cité par Le Figaro. En dépit des efforts des douaniers, en nombre insuffisant, les clandestins sont nombreux à passer la frontière clandestinement. Ils sont ainsi « plusieurs dizaines » à arriver chaque jour à Briançon selon France 3. Dans un silence médiatique assourdissant. - L’infraction retenue contre les militants de GI : aucun article des médias de grand chemin n’évoque le fait que ces militants ont été disculpés pour leur action dans les Alpes… en avril 2018. RT France l’avait annoncé à l’époque : la procédure initiée en 2018 a été classée sans suite, faute d’infraction constatée. Une enquête a ensuite été relancée par le Procureur de Gap, « pour déterminer ce qu’il pouvait reprocher à Génération identitaire » selon 20 minutes.Ch en juillet 2019. On en connait maintenant l’issue. On ne connait par contre pas la motivation de la réactivation de la procédure.
- Les militants de GI ont mené une action non violente. D’autres actions, parfois « viriles » contre l’immigration clandestine ont été menées en Guyane et à Mayotte ces dernières années. Cette fois avec parfois le soutien de syndicats de gauche, sans annonce de condamnations lourdes et avec une couverture médiatique a minima et particulièrement « soft », comme en atteste cette vidéo d’un journaliste de TV Libertés.
- Les condamnations diffèrent selon leurs auteurs et les infractions retenues. Il y a des militants qui veulent que les frontières soient mieux respectées, et d’autres qui veulent que les frontières soient ouvertes. Si dans les deux cas, la justice peut estimer que la loi n’est pas respectée à l’occasion d’actions militantes, les condamnations diffèrent :
- Cédric Herrou qui revendiquait en 2017 à un journaliste du Monde avoir fait passer 200 clandestins à la frontière franco-italienne est toujours en attente de jugement après l’arrêt de la cour de cassation annulant sa condamnation en appel à 4 mois de prison avec sursis.
- Plusieurs militants no border ont forcé la frontière franco-italienne et un barrage de policiers en avril 2018 afin de faire entrer en France des étrangers en situation irrégulière. Sur les 7 jugés, seuls deux d’entre eux ont été condamnés à de la prison ferme, notamment pour « rébellion » à l’encontre des forces de l’ordre. La rébellion est selon le code pénal « le fait d’opposer une résistance violente à une personne chargée de l’autorité publique ».
Chacun appréciera… Mais de ces éléments de contexte, point de trace dans les médias de grand chemin. Au risque d’en rester à l’explication des faits et à la qualification juridique retenue pour le moment par la justice… en attendant l’appel puisque les condamnés vont s’y pourvoir.
Question qui n’a jamais été posée : qui est le juge Isabelle Defarge ?
Aucun média n’a parlé une seule fois du profil du juge Isabelle Defarge et ne s’est interrogé sur sa partialité. Le juge Isabelle Defarge, président du Tribunal de Grande Instance de GAP, est pourtant intervenu publiquement et en qualité de magistrat à un colloque ouvertement “pro immigration” à Toulon en 2017, aux côtés de représentants d’organisations marquées à gauche telles que la Ligue des Droits de l’Homme ou la CIMADE. Cela pourrait peut-être constituer un début d’explication sur la lourdeur de la peine ?