Il arrive que, au nom d’une cause considérée comme noble ou pour gagner en notoriété, on choisisse de monter une affaire en épingle, au prix parfois de la vérité et de la rigueur. C’est ainsi que France Télévisions a couvert le reportage de Complément d’enquête concernant Gérard Depardieu, reportage que l’on découvre malhonnête aujourd’hui. Combat truqué pour la cause des femmes ou course à l’audimat, cette affaire démontre une fois de plus un manque criant de déontologie journalistique.
Complément d’enquête, une désinformation diffamatoire
Lorsque l’on soupçonne les médias d’avoir travesti la réalité, revenir aux faits est aussi indispensable que difficile. En 2018, Gérard Depardieu est en tournage à Pyongyang, en Corée du Nord, pour Hikari Productions, avec Yann Moix. Il se trouve dans un haras, et échange des propos qui sont au moins grivois, sinon vulgaires. Les femmes aimeraient l’équitation parce que « elles ont le clito qui frotte sur le poteau de la selle. Elles jouissent énormément. » Il prend ensuite l’exemple d’une cavalière et dit « si jamais il galope, elle jouit. C’est bien ma fifille, continue. Tu vois, elle se gratte là ».
En 2020, Gérard Depardieu est mis en examen pour viols et agressions sexuelles sur Charlotte Arnould, comédienne. Des faits datant de 2021 sur deux femmes lui sont également reprochés, quoiqu’il les nie, et il doit être jugé en 2024. Le 7 décembre 2023, juste avant le procès, le documentaire de Complément d’enquête, une émission de France télévisions, couplera la bande son contenant les derniers propos précédemment cités avec la vidéo d’une Coréenne d’une dizaine d’années montant à cheval. Conclusion aussi évidente qu’inadmissible : Gérard Depardieu a sexualisé une enfant. Le documentaire abonde dans le sens des plaignantes et les rushs de Complément d’enquête, autrement dit ses sources, les matériaux qui ont servi à réaliser le documentaire, prennent de la valeur. Gérard Depardieu les demande, la justice lui donne raison, Complément d’enquête affirme qu’ils ont été authentifiés par un huissier. Enfin, le 16 octobre 2024, le Journal du Dimanche révèle que la justice ne les a jamais obtenus, et que les employés d’Hikari Productions ignorent où ils sont.
Gérard Depardieu a‑t-il ou non sexualisé une fillette ? Doit-on renoncer à le savoir ? Peut-être pas. Yann Moix, qui était à côté de lui au moment des propos qui ont fait scandale, affirme qu’il parlait en réalité d’une cavalière d’une trentaine d’années. La vulgarité demeure, mais au moins ne parle-t-on plus d’une enfant. Il est difficile de le prouver car aucune caméra ne filmait Gérard Depardieu à ce moment-là, ce qui veut dire qu’il n’est pas possible de savoir quelle cavalière il regardait, donc de laquelle il parlait. La présomption d’innocence – et la vertu de prudence – impliquent donc d’admettre que l’acteur parlait d’une femme, et non d’une petite fille.
Comment France Télévisions s’est enfoncé dans le mensonge
Le narratif de Complément d’enquête ne tient plus, et on ne peut leur accorder l’excuse de la bonne foi. France Télévisions a maintenu sa version, affirmant qu’il n’y avait « aucun doute et aucune ambiguïté sur le fait que c’est bien la jeune fille à l’image qui est ciblée par les propos de Gérard Depardieu » et que le reportage « a été réalisé dans le plus grand respect des règles déontologiques ». Le groupe affirmait également que l’huissier qui avait authentifié les rushs avait constaté « les propos tenus par Gérard Depardieu et qu’à l’exception de la jeune fille, seuls des cavaliers d’apparence masculine entrent en premier plan des caméras. »
Malgré tout, certains doutaient encore de la véracité du reportage, et pas des moindres, puisque l’on comptait parmi les sceptiques Emmanuel Macron lui-même. La Société des Journalistes de France Télévisions (SDJ) avait donc publié un communiqué de soutien à Complément d’enquête, pour exprimer « son indignation ». Il était selon la SDJ intolérable qu’Emmanuel Macron ait relayé « l’hypothèse d’un “décalage entre les mots et les images” sur une partie du reportage » et « partage une “fake news” et légitime les tentatives de déstabilisation de l’émission ». On sait aujourd’hui que la fake news était du côté de Complément d’enquête.
Les médias derrière France Télévisions
Dans cette polémique de plusieurs mois entre la publication du documentaire et les rebondissements du procès, certains médias soutiennent explicitement France Télévisions. Ainsi en est-il de BFMTV, qui rappelle qu’Emmanuel Macron se dit « grand admirateur » de Gérard Depardieu, dont le média rappelle tout de suite qu’il est « visé par trois plaintes pour viol ou agressions sexuelles ». On peut trouver meilleures idoles. BFM TV précise qu’Emmanuel Macron s’est exprimé en réaction au reportage de Complément d’enquête « dans lequel on peut voir le comédien multiplier les propos rabaissant et sexistes à l’égard des femmes lors d’un voyage en Corée du Nord », et veille à citer « la séquence dans laquelle il sexualise une petite fille à cheval ». Le journaliste semble assez peu enclin à la prudence et termine son article en évoquant les « éloges » d’Emmanuel Macron vis-à-vis de Gérard Depardieu.
Journalisme de recopie
Sans forcément incriminer le président de la République, la plupart des médias s’en sont donnés à cœur joie sur les qualificatifs à appliquer à Gérard Depardieu, à l’instar de L’Indépendant, selon qui le montage de Complément d’enquête « montre un Gérard Depardieu graveleux tournant en boucle avec des propos sexistes, sexuels et dépassant très souvent la limite de la décence. » « Dans un haras, il fait profiter son auditoire de ses analyses en dessous de la ceinture » et « sexualise une fillette âgée d’une dizaine d’années », continue l’article, qui cite encore d’autres propos, au demeurant particulièrement vulgaires, de Gérard Depardieu.
Au reste, il n’est pas question de décrire l’acteur comme un enfant de chœur. Aucun média ne souhaite s’atteler à cette tâche, pas même le JDD. Florian Anselme, rédacteur de l’enquête qui montre la duplicité de France Télévisions, expliquait le 16 octobre chez Pascal Praud, sur Europe 1, que le JDD n’avait « pas souhaité défendre Gérard Depardieu ». Il a simplement semblé à la rédaction que le documentaire contenait plusieurs zones d’ombre. Or, le travail du journaliste est d’éclairer, pas tellement de diffamer.
France Télévisions adepte de l’opacité
Au reste, Gérard Depardieu n’a jamais reconnu ce que le reportage voulait prouver. Il affirmait qu’il n’avait pas tenu les propos incriminés « devant une jeune fille », et c’est pour le montrer qu’il avait demandé les rushs. Malheureusement, Hikari Productions et France Télévisions avaient fait appel de cette décision sous prétexte d’atteinte au secret des sources, ce qui au reste ne laisse pas d’étonner. Pourquoi vouloir soustraire des preuves à un accusé si ces preuves sont légitimes ? D’autant qu’en l’occurrence, il s’agissait de vidéos de Gérard Depardieu lui-même, donc de moments qu’il avait vécu. France Télévisions expliquait sans rire,que si cette demande était acceptée, tout plaignant pourrait exiger des rushs, « ce qui serait extrêmement problématique au regard de la protection du secret des sources des journalistes ». Toutefois, il n’était pas question de dévoiler une interview gardée secrète. L’excuse tenait mal, et la justice ne s’y est pas trompée.
Le comportement de Complément d’enquête et de France Télévisions est très problématique pour la crédibilité des médias de grand chemin. Il montre que les journalistes ont tordu la réalité pour la faire correspondre à l’image qu’ils voulaient donner de Gérard Depardieu, c’est-à-dire un obsédé sexuel n’ayant que très peu de limites morales, parce que cette image collait avec l’actualité de son procès. Cette désinformation suivie d’assertions mensongères par l’ensemble du groupe montre une fois encore la confiance que l’on peut avoir dans certains médias de grand chemin, surtout lorsqu’ils font partie du service public.