Ojim.fr
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
Gérard Depardieu : comment les médias désinforment

26 octobre 2024

Temps de lecture : 7 minutes
Accueil | Veille médias | Gérard Depardieu : comment les médias désinforment

Gérard Depardieu : comment les médias désinforment

Temps de lecture : 7 minutes

Il arrive que, au nom d’une cause considérée comme noble ou pour gagner en notoriété, on choisisse de monter une affaire en épingle, au prix parfois de la vérité et de la rigueur. C’est ainsi que France Télévisions a couvert le reportage de Complément d’enquête concernant Gérard Depardieu, reportage que l’on découvre malhonnête aujourd’hui. Combat truqué pour la cause des femmes ou course à l’audimat, cette affaire démontre une fois de plus un manque criant de déontologie journalistique.

Complément d’enquête, une désinformation diffamatoire

Lorsque l’on soupçonne les médias d’avoir trav­es­ti la réal­ité, revenir aux faits est aus­si indis­pens­able que dif­fi­cile. En 2018, Gérard Depar­dieu est en tour­nage à Pyongyang, en Corée du Nord, pour Hikari Pro­duc­tions, avec Yann Moix. Il se trou­ve dans un haras, et échange des pro­pos qui sont au moins grivois, sinon vul­gaires. Les femmes aimeraient l’équitation parce que « elles ont le cli­to qui frotte sur le poteau de la selle. Elles jouis­sent énor­mé­ment. » Il prend ensuite l’exemple d’une cav­al­ière et dit « si jamais il galope, elle jouit. C’est bien ma fifille, con­tin­ue. Tu vois, elle se grat­te là ».

En 2020, Gérard Depar­dieu est mis en exa­m­en pour vio­ls et agres­sions sex­uelles sur Char­lotte Arnould, comé­di­enne. Des faits datant de 2021 sur deux femmes lui sont égale­ment reprochés, quoiqu’il les nie, et il doit être jugé en 2024. Le 7 décem­bre 2023, juste avant le procès, le doc­u­men­taire de Com­plé­ment d’enquête, une émis­sion de France télévi­sions, cou­plera la bande son con­tenant les derniers pro­pos précédem­ment cités avec la vidéo d’une Coréenne d’une dizaine d’années mon­tant à cheval. Con­clu­sion aus­si évi­dente qu’inadmissible : Gérard Depar­dieu a sex­u­al­isé une enfant. Le doc­u­men­taire abonde dans le sens des plaig­nantes et les rushs de Com­plé­ment d’enquête, autrement dit ses sources, les matéri­aux qui ont servi à réalis­er le doc­u­men­taire, pren­nent de la valeur. Gérard Depar­dieu les demande, la jus­tice lui donne rai­son, Com­plé­ment d’enquête affirme qu’ils ont été authen­tifiés par un huissier. Enfin, le 16 octo­bre 2024, le Jour­nal du Dimanche révèle que la jus­tice ne les a jamais obtenus, et que les employés d’Hikari Pro­duc­tions ignorent où ils sont.

Gérard Depar­dieu a‑t-il ou non sex­u­al­isé une fil­lette ? Doit-on renon­cer à le savoir ? Peut-être pas. Yann Moix, qui était à côté de lui au moment des pro­pos qui ont fait scan­dale, affirme qu’il par­lait en réal­ité d’une cav­al­ière d’une trentaine d’années. La vul­gar­ité demeure, mais au moins ne par­le-t-on plus d’une enfant. Il est dif­fi­cile de le prou­ver car aucune caméra ne fil­mait Gérard Depar­dieu à ce moment-là, ce qui veut dire qu’il n’est pas pos­si­ble de savoir quelle cav­al­ière il regar­dait, donc de laque­lle il par­lait. La pré­somp­tion d’innocence – et la ver­tu de pru­dence – impliquent donc d’admettre que l’acteur par­lait d’une femme, et non d’une petite fille.

Comment France Télévisions s’est enfoncé dans le mensonge

Le nar­ratif de Com­plé­ment d’enquête ne tient plus, et on ne peut leur accorder l’excuse de la bonne foi. France Télévi­sions a main­tenu sa ver­sion, affir­mant qu’il n’y avait « aucun doute et aucune ambiguïté sur le fait que c’est bien la jeune fille à l’image qui est ciblée par les pro­pos de Gérard Depar­dieu » et que le reportage « a été réal­isé dans le plus grand respect des règles déon­tologiques ». Le groupe affir­mait égale­ment que l’huissier qui avait authen­tifié les rushs avait con­staté « les pro­pos tenus par Gérard Depar­dieu et qu’à l’ex­cep­tion de la jeune fille, seuls des cav­a­liers d’ap­parence mas­cu­line entrent en pre­mier plan des caméras. »

Mal­gré tout, cer­tains doutaient encore de la vérac­ité du reportage, et pas des moin­dres, puisque l’on comp­tait par­mi les scep­tiques Emmanuel Macron lui-même. La Société des Jour­nal­istes de France Télévi­sions (SDJ) avait donc pub­lié un com­mu­niqué de sou­tien à Com­plé­ment d’enquête, pour exprimer « son indig­na­tion ». Il était selon la SDJ intolérable qu’Emmanuel Macron ait relayé « l’hypothèse d’un “décalage entre les mots et les images” sur une par­tie du reportage » et « partage une “fake news” et légitime les ten­ta­tives de désta­bil­i­sa­tion de l’émission ». On sait aujourd’hui que la fake news était du côté de Com­plé­ment d’enquête.

Les médias derrière France Télévisions

Dans cette polémique de plusieurs mois entre la pub­li­ca­tion du doc­u­men­taire et les rebondisse­ments du procès, cer­tains médias sou­ti­en­nent explicite­ment France Télévi­sions. Ain­si en est-il de BFMTV, qui rap­pelle qu’Emmanuel Macron se dit « grand admi­ra­teur » de Gérard Depar­dieu, dont le média rap­pelle tout de suite qu’il est « visé par trois plaintes pour viol ou agres­sions sex­uelles ». On peut trou­ver meilleures idol­es. BFM TV pré­cise qu’Emmanuel Macron s’est exprimé en réac­tion au reportage de Com­plé­ment d’enquête « dans lequel on peut voir le comé­di­en mul­ti­pli­er les pro­pos rabais­sant et sex­istes à l’é­gard des femmes lors d’un voy­age en Corée du Nord », et veille à citer « la séquence dans laque­lle il sex­u­alise une petite fille à cheval ». Le jour­nal­iste sem­ble assez peu enclin à la pru­dence et ter­mine son arti­cle en évo­quant les « éloges » d’Emmanuel Macron vis-à-vis de Gérard Depardieu.

Journalisme de recopie

Sans for­cé­ment incrim­in­er le prési­dent de la République, la plu­part des médias s’en sont don­nés à cœur joie sur les qual­i­fi­cat­ifs à appli­quer à Gérard Depar­dieu, à l’instar de L’Indépendant, selon qui le mon­tage de Com­plé­ment d’enquête « mon­tre un Gérard Depar­dieu grav­eleux tour­nant en boucle avec des pro­pos sex­istes, sex­uels et dépas­sant très sou­vent la lim­ite de la décence. » « Dans un haras, il fait prof­iter son audi­toire de ses analy­ses en dessous de la cein­ture » et « sex­u­alise une fil­lette âgée d’une dizaine d’an­nées », con­tin­ue l’article, qui cite encore d’autres pro­pos, au demeu­rant par­ti­c­ulière­ment vul­gaires, de Gérard Depardieu.

Au reste, il n’est pas ques­tion de décrire l’acteur comme un enfant de chœur. Aucun média ne souhaite s’atteler à cette tâche, pas même le JDD. Flo­ri­an Anselme, rédac­teur de l’enquête qui mon­tre la duplic­ité de France Télévi­sions, expli­quait le 16 octo­bre chez Pas­cal Praud, sur Europe 1, que le JDD n’avait « pas souhaité défendre Gérard Depar­dieu ». Il a sim­ple­ment sem­blé à la rédac­tion que le doc­u­men­taire con­te­nait plusieurs zones d’ombre. Or, le tra­vail du jour­nal­iste est d’éclairer, pas telle­ment de diffamer.

France Télévisions adepte de l’opacité

Au reste, Gérard Depar­dieu n’a jamais recon­nu ce que le reportage voulait prou­ver. Il affir­mait qu’il n’avait pas tenu les pro­pos incrim­inés « devant une jeune fille », et c’est pour le mon­tr­er qu’il avait demandé les rushs. Mal­heureuse­ment, Hikari Pro­duc­tions et France Télévi­sions avaient fait appel de cette déci­sion sous pré­texte d’atteinte au secret des sources, ce qui au reste ne laisse pas d’étonner. Pourquoi vouloir sous­traire des preuves à un accusé si ces preuves sont légitimes ? D’autant qu’en l’occurrence, il s’agissait de vidéos de Gérard Depar­dieu lui-même, donc de moments qu’il avait vécu. France Télévi­sions expli­quait sans rire,que si cette demande était accep­tée, tout plaig­nant pour­rait exiger des rushs, « ce qui serait extrême­ment prob­lé­ma­tique au regard de la pro­tec­tion du secret des sources des jour­nal­istes ». Toute­fois, il n’était pas ques­tion de dévoil­er une inter­view gardée secrète. L’excuse tenait mal, et la jus­tice ne s’y est pas trompée.

Le com­porte­ment de Com­plé­ment d’enquête et de France Télévi­sions est très prob­lé­ma­tique pour la crédi­bil­ité des médias de grand chemin. Il mon­tre que les jour­nal­istes ont tor­du la réal­ité pour la faire cor­re­spon­dre à l’image qu’ils voulaient don­ner de Gérard Depar­dieu, c’est-à-dire un obsédé sex­uel n’ayant que très peu de lim­ites morales, parce que cette image col­lait avec l’actualité de son procès. Cette dés­in­for­ma­tion suiv­ie d’assertions men­songères par l’ensemble du groupe mon­tre une fois encore la con­fi­ance que l’on peut avoir dans cer­tains médias de grand chemin, surtout lorsqu’ils font par­tie du ser­vice public.

Voir aussi

Vidéos à la une

Derniers portraits ajoutés