Outre l’incompréhension entre « ceux qui ne sont rien » et « les premiers de cordée » du système politique en place, la crise des gilets jaunes révèle un autre malaise : celui qui oppose une grande partie de la France populaire aux « élites » médiatiques. Un cas d’école avec la chronique d’Isabelle Saporta sur RTL.
Ce n’est évidemment pas la première fois depuis le début de la crise que RTL s’en prend vertement aux gilets jaunes. L’intervention d’Isabelle Saporta est cependant un modèle du genre. La chronique est diffusée en direct chaque jour dans RTL matin, animé par Yves Calvi. Elle s’intitule « C’est comme ça ». Le titre du jour ? Gilets jaunes : les journalistes sont des médiateurs de la République. Yves Calvi donne la parole à Isabelle Saporta ainsi : « Vous voulez revenir ce matin sur les violences inadmissibles dont ont fait preuve certains gilets jaunes, notamment à Rouen à l’encontre d’une équipe de nos confrères de LCI ».
Saporta file la métaphore militaire
Saporta étant elle-même journaliste, le ton de la chronique, que l’on peut réécouter ici, est convaincu et la métaphore militaire : à qui s’attaquent les gilets jaunes en s’en prenant aux journalistes ? « Aux troupes qui vont au plus près du terrain, aux troupes qui filment le désarroi des gilets jaunes, aux troupes qui mettent en lumière les violences policières quand elles ont lieu ; ce sont ces troupes-là qu’il faudrait punir ? Les punir de quoi au juste, de faire leur métier ? ».
Édifiant. La profession ne s’interroge pas sur la seule vraie question : pourquoi une telle défiance vis-à-vis de ces « médiateurs de la République » que seraient les journalistes ? Des esprits taquins répondront que c’est la faute de ceux qui critiquent la profession, comme L’Ojim ou Acrimed. Plus sérieusement, la question devrait être prolongée par celle-ci : que font ou ne font pas les journalistes et qui entraîne cette défiance ? Et pourquoi pas : que se passe-t-il, à chaque élection, sur tous les médias, quand il s’agit de choisir entre deux candidats, dont l’un est un clone idéologique de l’immense majorité des journalistes ?
Isabelle Saporta voit d’autres raisons que cela : « Qu’est-ce qui les gêne ? Que les journalistes témoignent aussi de la violence qui s’est emparée d’une partie des gilets jaunes ? Et quand les gilets jaunes empêchent des quotidiens de la presse régionale de paraître, à qui s’en prennent-ils encore ? (…) Et qui témoignera encore quand il n’y aura plus de journalistes ?
De la défiance ?
Intervention de Calvi, expliquant en s’appuyant sur le dernier baromètre du CEVIPOF, qu’il y « a une défiance croissante de nos concitoyens vis-à-vis des médias ». Les médias n’ayant que 23 % de confiance. « Oui, Yves, nous les journalistes, nous sommes comme les maires, comme les syndicats, des corps intermédiaires, passeurs d’informations vers le haut et vers le bas, c’est notre job pour que la république fasse encore société ». L’auditeur se frotte les yeux : est-il réellement possible que le studio matinal de RTL n’ait pas conscience de la principale source de cette défiance : la diffusion quotidienne d’une information formatée sociale-libérale ou libérale-sociale, qui ne s’ouvre à d’autres conceptions du monde que pour les atomiser au son de la reductio ad hitlerum ? « Le problème c’est qu’aujourd’hui, on paie très certainement des excès de notre profession mais on paie surtout les excès langagiers d’hommes et de femmes politiques qui nous ont accusé d’être des collabos du système ».
Violence et silence
La chroniqueuse reproduit la cause exacte de ce dont elle se plaint : le mépris pour ces hommes et femmes qui pensent autrement, et surtout elle ne voit pas la violence qui est faite régulièrement contre ces personnalités politiques mais aussi contre nombre d’intellectuels. C’est de cette violence, ou du silence qui est aussi une violence, que découle ce que subissent certains médias pourtant, de même pour cette accusation de « collabo ». Qui ignore combien les médias ont collaboré à l’élection de Macron et contribuent à ce que la majorité des Français ne soient pas représentés, en diabolisant aux sons de « l’extrême » toute conception autre que celle de l’idéologie libérale culturelle dominante ? Il n’est que d’écouter un média officiel un matin, si l’invité est membre du RN (comme aussi dans une moindre mesure des Insoumis), en période d’élection, pour saisir où est le problème. Vient alors le soupçon de complot, évidemment, Saporta ironisant : « parce que nous serions tous vendus au grand capital, c’est bien connu ». Il est vrai que les principaux médias… sont possédés par 10 milliardaires et que selon Reporters dans frontières la France arrive en 33e position en ce qui concerne la liberté de sa presse. Autre exemple du problème : Isabelle Saporta ne semble pas consciente de ces faits. Pire : « Même le président de la république se défie de nous, nous serions incapables de saisir sa pensée complexe. En un mot, nous serions ou vendus ou trop cons ».
La chronique se termine comme il est d’usage dans les principaux médias, par le constat prétendu d’une absence d’alternative : Saporta le dit, c’est nous les vrais et gentils journalistes, neutres et innocents, responsables de rien dans la défiance évoquée, ou bien ce sera le chaos des réseaux sociaux aux mains des GAFFA dont « les patrons sont multi milliardaires » et des fake news… « Et d’ailleurs qui les démonte les fake news ? ». Isabelle Saporta pouvait poser une autre question, comme par exemple qui finance le décodex du Monde ? C’est comme ça, termine-t-elle, c’est vrai et cela ne risque pas de s’améliorer au vu de l’absence complète de regard critique de la profession sur elle-même.