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Glenn Greenwald : Joe Biden et la guerre américaine par procuration

31 mars 2022

Temps de lecture : 16 minutes
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Glenn Greenwald : Joe Biden et la guerre américaine par procuration

Temps de lecture : 16 minutes

Glenn Greenwald est un journaliste américain libéral très hostile aux Républicains. Il a soutenu activement Edgar Snowden en 2013. Fondateur du site The Intercept, il le quittera lorsque celui-ci censurera ses articles sur les affaires du fils Biden en Ukraine. Il vient de publier une tribune parue le 27 mars 2022 où il évalue les risques de guerre totale après que Joe Biden – un peu fatigué – ait appelé au renversement de Vladimir Poutine en Russie. L’article est long, mais mérite le détour. Les intertitres sont de notre rédaction.


Voie aus­si : Glenn Green­wald, portrait

« Les mots impru­dents de Biden soulig­nent les dan­gers de l’u­til­i­sa­tion de l’Ukraine par les États-Unis comme guerre par procu­ra­tion. Aus­si grave que soit la men­ace d’une guerre délibérée, une escalade involon­taire due à une mau­vaise com­mu­ni­ca­tion et à une per­cep­tion erronée peut être aus­si mau­vaise. Biden est la cour­roie de trans­mis­sion par­faite pour de tels risques.

Quels objectifs pour l’Amérique ?

La ques­tion cen­trale pour les Améri­cains depuis le début de la guerre en Ukraine était quel rôle, le cas échéant, le gou­verne­ment améri­cain devrait-il jouer dans cette guerre ? Une ques­tion néces­saire­ment con­nexe : si les États-Unis vont s’im­pli­quer dans cette guerre, quels objec­tifs devraient motiv­er cette implication ?

Avant que les États-Unis ne se lan­cent directe­ment dans cette guerre, ces ques­tions n’avaient jamais été sérieuse­ment pris­es en compte. Au lieu de cela, les émo­tions délibéré­ment attisées par l’at­ten­tion implaca­ble des médias sur les hor­reurs de cette guerre — des hor­reurs qui, con­traire­ment à la pro­pa­gande médi­a­tique occi­den­tale, sont com­munes à toutes les guer­res, y com­pris la sienne — n’ont lais­sé que peu ou pas d’e­space pour un débat pub­lic sur ces ques­tions. Les seuls modes d’ex­pres­sion accept­a­bles dans le dis­cours améri­cain étaient de déclar­er que l’in­va­sion russe était injus­ti­fiée et, en util­isant un lan­gage que la ver­sion 2011 de Chris Hayes reje­tait à juste titre comme celui d’un ado­les­cent, que Pou­tine est un “méchant”. Ces rit­uels de dénon­ci­a­tion, même cathar­tiques, n’ont fourni aucune infor­ma­tion utile sur les mesures que les États-Unis devraient ou ne devraient pas pren­dre face à ce con­flit de plus en plus dangereux.

Revendications morales

C’é­tait le but de lim­iter si sévère­ment le dis­cours à ces sim­ples reven­di­ca­tions morales : per­me­t­tre aux décideurs poli­tiques de Wash­ing­ton de faire ce qu’ils voulaient au nom d’ar­rêter Pou­tine sans être inter­rogés. En effet, comme cela arrive si sou­vent lorsque la guerre éclate, quiconque ques­tionne les dirigeants poli­tiques améri­cains voit instan­ta­né­ment son patri­o­tisme et sa loy­auté con­testés (à moins que l’on ne se plaigne que les États-Unis devraient s’im­pli­quer davan­tage dans le con­flit qu’ils ne l’é­taient déjà, une forme de pro-guerre “dis­si­dence” qui est tou­jours per­mise dans le dis­cours américain).

La position Obama mise au rebut

Avec ces règles de dis­cours fer­me­ment implan­tées, ceux qui ont ten­té d’in­vo­quer les pro­pres argu­ments de l’an­cien prési­dent Oba­ma au sujet d’un con­flit entre la Russie et l’Ukraine, à savoir que « l’Ukraine est un intérêt fon­da­men­tal pour la Russie, mais pas pour les États-Unis » et que, par con­séquent, les États-Unis ne devraient pas ris­quer une con­fronta­tion avec Moscou à ce sujet — ont été large­ment décriés comme des act­ifs du Krem­lin, sinon des agents. D’autres qui ont exhorté les États-Unis à essay­er d’éviter la guerre par la diplo­matie — par exem­ple, en jurant formelle­ment que l’ad­hé­sion à l’OTAN ne serait pas offerte à l’Ukraine et que Kiev resterait neu­tre dans la nou­velle guerre froide menée par l’Oc­ci­dent avec Moscou — ont fait face aux mêmes séries d’ac­cu­sa­tions sur leur loy­auté et leur patriotisme.

Les États-Unis et Maïdan en 2014

Le plus tabou de tous était toute dis­cus­sion sur la forte impli­ca­tion des États-Unis en Ukraine à par­tir de 2014 jusqu’à l’in­va­sion : de la micro-ges­tion de la poli­tique ukraini­enne à l’arme­ment de son armée, en pas­sant par le place­ment de con­seillers mil­i­taires et d’of­ficiers du ren­seigne­ment sur le ter­rain pour for­mer ses sol­dats à com­ment se bat­tre (quelque chose que Biden a annon­cé qu’il envis­ageait en novem­bre dernier) – tout cela équiv­alait à une forme d’ex­pan­sion de fac­to de l’OTAN sans l’ad­hé­sion formelle. Et cela laisse de côté la ques­tion encore sans réponse mais suprême­ment réprimée de ce que la sous-secré­taire d’É­tat Vic­to­ria Nuland a qual­i­fié d’ ”instal­la­tions de recherche biologique” des Ukrainiens si dan­gereuses et au-delà des capac­ités de recherche biologique russ­es actuelles qu’elle craig­nait grave­ment qu’elles ne “tomberaient” entre les mains des Russes.

Les médias et la justice morale

En rai­son de l’adop­tion par les médias de la jus­tice morale au lieu de débat­tre de ces ques­tions géopoli­tiques cru­ciales, le gou­verne­ment améri­cain a con­stam­ment et agres­sive­ment inten­si­fié sa par­tic­i­pa­tion à cette guerre sans pra­tique­ment aucune remise en ques­tion, encore moins une oppo­si­tion. Les respon­s­ables améri­cains diri­gent avec fierté les efforts visant à faire s’ef­fon­dr­er l’é­conomie russe. Avec leurs alliés de l’OTAN, les États-Unis ont inondé l’Ukraine de mil­liards de dol­lars d’armes sophis­tiquées, au moins cer­taines de ces armes se retrou­vant entre les mains de véri­ta­bles batail­lons néon­azis inté­grés au gou­verne­ment et à l’ar­mée. Il four­nit une tech­nolo­gie de sur­veil­lance sous la forme de drones et ses pro­pres ren­seigne­ments pour per­me­t­tre à l’Ukraine de cibler les forces russ­es. Le prési­dent Biden a men­acé la Russie d’une réponse “en nature” si la Russie devait utilis­er des armes chim­iques. Pen­dant ce temps, rap­porte le New York Times, « C.I.A. des officiers aident à s’as­sur­er que les caiss­es d’armes sont remis­es entre les mains d’u­nités mil­i­taires ukraini­ennes contrôlées.”

Une guerre par procuration par ukrainiens interposés

Les États-Unis mènent, par déf­i­ni­tion, une guerre par procu­ra­tion con­tre la Russie, en util­isant les Ukrainiens comme instru­ment, dans le but non pas de met­tre fin à la guerre mais de la pro­longer. Ce fait con­cer­nant les objec­tifs améri­cains est si évi­dent que même le New York Times dimanche dernier a explicite­ment rap­porté que l’ad­min­is­tra­tion Biden “cher­chait à aider l’Ukraine à enfer­mer la Russie dans un bour­bier” (bien qu’en prenant soin de ne pas dégénér­er en un échange nucléaire). En effet, même “cer­tains respon­s­ables améri­cains affir­ment qu’en matière de droit inter­na­tion­al, la four­ni­ture d’armes et de ren­seigne­ments à l’ar­mée ukraini­enne a fait des États-Unis un cobel­ligérant”, bien que ce soit “un argu­ment que cer­tains experts juridiques con­tes­tent”.

Pas­sant en revue toutes ces preuves ain­si que des dis­cus­sions avec ses pro­pres sources améri­caines et bri­tan­niques, Niall Fer­gu­son, écrivant dans Bloomberg, a proclamé : « Je con­clus que les États-Unis ont l’in­ten­tion de pour­suiv­re cette guerre ». Les respon­s­ables bri­tan­niques lui ont égale­ment dit que «l’op­tion n ° 1 du Roy­aume-Uni est que le con­flit soit pro­longé et saigne ain­si Pou­tine».

La désinformation russe comme paravent

En résumé, l’ad­min­is­tra­tion Biden fait exacte­ment ce que l’an­cien prési­dent Oba­ma a aver­ti en 2016 qu’il ne devrait jamais être fait : ris­quer une guerre entre les deux plus grandes puis­sances nucléaires du monde au sujet de l’Ukraine. Pour­tant, si une patholo­gie définit les cinq dernières années du dis­cours dom­i­nant améri­cain, c’est que toute affir­ma­tion qui sape les intérêts des élites libérales améri­caines — aus­si vraie soit-elle — est rejetée comme de la “dés­in­for­ma­tion russe”.

Comme nous en avons été les témoins les plus vifs à l’ap­proche des élec­tions de 2020 — lorsque cette éti­quette a été appliquée sans aucun doute mais à tort par l’u­nion de la CIA, des médias d’en­tre­prise et de Big Tech aux archives d’or­di­na­teurs porta­bles révélant les activ­ités poli­tiques et finan­cières de Joe Biden en Ukraine et en Chine. – tous les faits que les cen­tres de pou­voir de l’estab­lish­ment veu­lent dia­bolis­er ou réprimer sont par réflexe qual­i­fiés de “dés­in­for­ma­tion russe”. Par con­séquent, la branche de pro­pa­gande du DNC (Demo­c­ra­t­ic Nation­al Com­mit­tee,  instance supérieure des démoc­rates améri­cains Media Mat­ters, qual­i­fie désor­mais de « pro­pa­gande pro-russe » le fait indis­cutable que les États-Unis ne défend­ent pas l’Ukraine, mais l’ex­ploitent et la sac­ri­fient plutôt pour men­er une guerre par procu­ra­tion avec Moscou. Plus une affir­ma­tion est vraie, plus elle est sus­cep­ti­ble de recevoir cette désig­na­tion dans le dis­cours de l’estab­lish­ment américain.

L’avertissement d’Adam Smith

Qu’il y ait peu ou pas de risques plus graves ou plus impru­dents qu’une con­fronta­tion mil­i­taire directe entre les États-Unis et la Russie devrait être trop évi­dent pour néces­siter une expli­ca­tion. Pour­tant, cela sem­ble avoir été com­plète­ment oublié dans le zèle, l’ex­ci­ta­tion, le but et l’ex­ci­ta­tion que la guerre déclenche tou­jours. Il faut peu ou pas d’ef­fort pour recon­naître l’émer­gence actuelle de la dynamique dont Adam Smith a si ardem­ment mis en garde il y a 244 ans dans Wealth of Nations :

« Dans les grands empires, les gens qui habitent la cap­i­tale et les provinces éloignées du théâtre de l’ac­tion ressen­tent, pour beau­coup d’en­tre eux, à peine les incon­vénients de la guerre ; mais jouis­sent, à leur aise, de l’a­muse­ment de lire dans les jour­naux les exploits de leurs pro­pres flottes et armées. Pour eux, cet amuse­ment com­pense la petite dif­férence entre les impôts qu’ils paient à cause de la guerre, et ceux qu’ils avaient l’habi­tude de pay­er en temps de paix. Ils sont com­muné­ment mécon­tents du retour de la paix, qui met fin à leurs amuse­ments, et à mille espérances vision­naires de con­quête et de gloire nationale, d’une plus longue durée de la guerre. »

Un climat de paranoïa

Les graves dan­gers des deux plus grandes puis­sances nucléaires du monde agis­sant de part et d’autre d’une guerre chaude vont bien au-delà de toute inten­tion des États-Unis d’en­gager délibéré­ment la Russie directe­ment. Une telle guerre, même si les États-Unis la mènent “unique­ment” par l’in­ter­mé­di­aire de leurs man­dataires, inten­si­fie grave­ment les ten­sions, la méfi­ance, les hos­til­ités et un cli­mat de para­noïa. Cela est par­ti­c­ulière­ment vrai étant don­né que — depuis que les démoc­rates ont décidé de blâmer Pou­tine pour la perte d’Hillary en 2016 — au moins la moitié des Améri­cains se nour­ris­sent d’un régime inces­sant et tox­ique de haine anti-russe sous le cou­vert du “Rus­si­a­gate”. Pas plus tard qu’en 2018, les 2/3 des démoc­rates pen­saient que la Russie avait piraté les machines à vot­er et mod­i­fié le décompte des voix de 2016 pour aider Trump à gag­n­er. Cette cul­ture de l’an­i­mosité anti-russe extrême à Wash­ing­ton a été ren­due encore plus dan­gereuse par l’in­ter­dic­tion virtuelle du dia­logue avec les respon­s­ables russ­es, qui, pen­dant le Rus­si­a­gate, était con­sid­érée comme intrin­sèque­ment sus­pecte, voire criminelle.

Joe Biden et les dangers du grand âge

Et tous ces dan­gers préex­is­tants sont, à leur tour, sévère­ment exac­er­bés par un prési­dent améri­cain qui est si sou­vent trop âgé pour par­ler claire­ment ou de manière prévis­i­ble. Cette con­di­tion est intrin­sèque­ment dan­gereuse, d’au­tant plus qu’elle le rend vul­nérable à la manip­u­la­tion par les con­seillers à la sécu­rité nationale du Par­ti démoc­rate qui n’ou­blieront jamais 2016 et sem­blent plus déter­minés que jamais à se venger enfin de Pou­tine, quels que soient les risques. S’adres­sant aux troupes améri­caines en Pologne ven­dre­di, un prési­dent Biden vis­i­ble­ment épuisé et décousu – après de longs voy­ages, des sauts de fuse­aux horaires, des réu­nions et des dis­cours pro­longés – a sem­blé dire aux troupes améri­caines qu’elles étaient en route pour voir de pre­mière main la résis­tance de Ukrainiens, ce qui sig­ni­fie qu’ils se dirigeaient vers l’Ukraine.

Une déclaration improvisée

Il sem­ble clair qu’il ne s’agis­sait pas d’une déci­sion plan­i­fiée pour que le prési­dent améri­cain annonce avec dés­in­vol­ture son inten­tion d’en­voy­er des troupes améri­caines com­bat­tre les Russ­es en Ukraine. C’é­tait plutôt un vieil homme, plus fatigué, imprévis­i­ble et inco­hérent que d’habi­tude en rai­son d’in­tens­es voy­ages à l’é­tranger, mar­mon­nant acci­den­telle­ment divers­es phras­es qui pour­raient être et étaient presque cer­taine­ment très alar­mantes pour Moscou et d’autres pays.

Mais une escalade acci­den­telle ou involon­taire — due à une mau­vaise per­cep­tion ou à une mau­vaise com­mu­ni­ca­tion — est tou­jours un dan­ger de guerre au moins aus­si grave que l’in­ten­tion délibérée de s’en­gager directe­ment mil­i­taire­ment. En jan­vi­er de cette année, le Bul­letin of Atom­ic Sci­en­tists a annon­cé que sa soi-dis­ant “hor­loge apoc­a­lyp­tique” était réglée sur 100 sec­on­des avant minu­it, l’heure métaphorique qu’ils util­i­saient pour sig­ni­fi­er un événe­ment au niveau de l’ex­tinc­tion de l’hu­man­ité. Ils ont aver­ti que la per­spec­tive d’un échange nucléaire cat­a­clysmique entre les États-Unis, la Russie et/ou la Chine était dan­gereuse­ment pos­si­ble, et a spé­ci­fique­ment aver­ti : « L’Ukraine reste un point d’é­clair poten­tiel, et les déploiements de troupes russ­es à la fron­tière ukraini­enne aggravent les ten­sions quotidiennes ».

En 2018, alors que l’hor­loge n’é­tait « que » à minu­it moins deux, ils ont souligné les ten­sions entre la Russie et les États-Unis comme l’une des prin­ci­pales caus­es : « Les États-Unis et la Russie sont restés en désac­cord, pour­suiv­ant des exer­ci­ces mil­i­taires le long des fron­tières de l’OTAN, saper le Traité sur les forces nucléaires à portée inter­mé­di­aire (FNI), mod­erniser leurs arse­naux nucléaires et éviter les négo­ci­a­tions sur le con­trôle des arme­ments. Ils ont appelé à la recon­nais­sance de ce dan­ger spé­ci­fique : « Les prin­ci­paux acteurs nucléaires sont à l’aube d’une nou­velle course aux arme­ments, qui coûtera très cher et aug­mentera la prob­a­bil­ité d’ac­ci­dents et d’idées fausses ».

Poutine « ne peut pas rester au pouvoir »

Cette “gaffe” de Biden sur les troupes améri­caines dirigées vers l’Ukraine pour­rait génér­er exacte­ment ce genre de “per­cep­tion erronée” sem­ble aller de soi. Il en va de même pour les graves dan­gers de la déc­la­ra­tion soudaine mais caté­gorique de Biden same­di selon laque­lle Pou­tine « ne peut pas rester au pou­voir » – le lan­gage clas­sique de la poli­tique améri­caine déclarée de change­ment de régime.

Cette déc­la­ra­tion claire de change­ment de régime comme objec­tif améri­cain pour Pou­tine a été rapi­de­ment repoussée par les aides de Biden, qui ont absur­de­ment affir­mé qu’il voulait seule­ment dire que Pou­tine ne pou­vait pas rester au pou­voir en Ukraine et dans d’autres par­ties de l’Eu­rope de l’Est, pas qu’il ne pou­vait plus gou­vern­er la Russie. Mais cet épisode a mar­qué au moins la troisième fois au cours des deux dernières semaines que les respon­s­ables de la Mai­son Blanche ont dû revenir sur les com­men­taires de Biden, à la suite de son décret clair selon lequel les troupes améri­caines seraient bien­tôt de retour en Ukraine et de son aver­tisse­ment préal­able que les États-Unis utilis­eraient des armes chim­iques con­tre Russie s’ils les util­i­saient en premier.

Que Biden sem­ble trébuch­er avec mal­adresse plutôt que de suiv­re l’im­pru­dence scé­nar­isée sem­ble prob­a­ble dans cer­tains de ces cas, mais pas tous. Le démen­ti véhé­ment de la Mai­son Blanche, à la suite du dis­cours de Biden, selon lequel le change­ment de régime en Russie est son objec­tif a été con­tred­it par le reportage de Fer­gu­son dans Bloomberg la semaine dernière.

L’Amérique pour le prolongement de la guerre

En lisant ceci atten­tive­ment, je con­clus que les États-Unis ont l’in­ten­tion de pour­suiv­re cette guerre… J’ai des preuves provenant d’autres sources pour cor­ro­bor­er cela. “La seule fin de par­tie main­tenant”, a déclaré un haut respon­s­able de l’ad­min­is­tra­tion lors d’un événe­ment privé au début du mois, “est la fin du régime de Pou­tine”. Et «l’op­tion n°1 du Roy­aume-Uni est que le con­flit se pro­longe et saigne ain­si Pou­tine». Encore et encore, j’en­tends de tels pro­pos, qui con­tribuent à expli­quer, entre autres, l’ab­sence de tout effort diplo­ma­tique de la part des États-Unis pour obtenir un cessez-le-feu, ain­si que la volon­té du prési­dent Joe Biden de traiter Pou­tine de crim­inel de guerre.

Qu’elles soient délibérées ou non, ces déc­la­ra­tions d’escalade — en par­ti­c­uli­er lorsqu’elles sont com­binées avec les actions d’escalade des États-Unis — sont dan­gereuses au-delà de ce qui peut être décrit. Comme l’a rap­porté dimanche un média aus­tralien, “la Russie a lancé une frappe de mis­siles près de la Pologne dans ce qui sem­ble être un aver­tisse­ment mor­tel aux États-Unis”. La vidéo d’ac­com­pa­g­ne­ment mon­tre au moins trois mis­siles de croisière à longue portée, lancés depuis un sous-marin russe dans la mer Noire, frap­pant avec pré­ci­sion des cibles dans l’ouest de l’Ukraine, près de l’en­droit où se trou­vait Biden en Pologne. Ce lance­ment de mis­sile, a raisonnable­ment con­clu le point de vente, “sem­ble être un aver­tisse­ment mor­tel pour les États-Unis”.

La crise la plus grave depuis les missiles cubains

Quoi qu’il en soit, les États-Unis et la Russie se trou­vent désor­mais dans des eaux inex­plorées depuis la crise des mis­siles cubains. Même les guer­res sauvages par procu­ra­tion entre les États-Unis et l’URSS des années 1980 en Amérique latine et en Afghanistan n’ont pas entraîné ce genre de men­aces qui s’ag­gra­vaient rapi­de­ment. Un prési­dent russe qui, val­able­ment ou non, se sent men­acé par l’élar­gisse­ment de l’OTAN dans la région et poussé par les ques­tions de son héritage, de l’autre côté d’un prési­dent améri­cain au long passé de bel­li­cisme et de fièvre guer­rière, aujour­d’hui entravé par l’in­sou­ciance et les infir­mités de la vieil­lesse, forme une com­bi­nai­son remar­quable­ment volatile. Comme l’a dit same­di l’an­cien min­istre grec des Finances Yanis Varo­ufakis : « Un prési­dent améri­cain qui, pen­dant une guerre atroce, ne pense pas ce qu’il dit sur les ques­tions de guerre et de paix, et doit être cor­rigé par son état-major est un homme dan­ger pour tous. »

Au-dessus de tous ces graves dan­gers se pose la ques­tion du pourquoi ? Quels intérêts les États-Unis ont-ils en Ukraine qui sont suff­isam­ment vitaux ou sub­stantiels pour jus­ti­fi­er de jouer avec des risques de cette ampleur ? Pourquoi les États-Unis n’ont-ils pas fait plus pour essay­er d’éviter diplo­ma­tique­ment cette hor­ri­ble guerre, optant plutôt pour le con­traire : à savoir, décourager le prési­dent ukrainien Zelen­sky de pour­suiv­re de telles dis­cus­sions au motif de leur pré­ten­due futil­ité et récom­penser l’a­gres­sion russe, et ne même pas explor­er si un vœu de non-adhé­sion à l’OTAN pour l’Ukraine suf­fi­rait-il ? Com­ment l’im­pli­ca­tion crois­sante des États-Unis dans cette guerre prof­ite-t-elle au peu­ple des États-Unis, d’au­tant plus qu’il était déjà — avant cette guerre — alour­di par le dou­ble fardeau des dif­fi­cultés économiques liées à la pandémie et de l’in­fla­tion en pro­gres­sion rapide ?

Les néo-conservateurs remis en selle

Ce sont pré­cisé­ment les ques­tions qu’une nation en bonne san­té dis­cute et exam­ine avant de se lancer tête pre­mière dans une guerre majeure. Mais c’é­taient pré­cisé­ment les ques­tions déclarées antipa­tri­o­tiques, preuve de son statut de traître ou de pro­pa­gan­diste pro-Russie, comme la mar­que d’être pro-Pou­tine. Ce sont les tac­tiques stan­dard util­isées pour écras­er la dis­si­dence ou la remise en ques­tion lorsque la guerre éclate. Que les néo­con­ser­va­teurs, qui ont per­fec­tion­né ces tac­tiques de diffama­tion, soient de retour en selle en tant que lead­ers du dis­cours et des poli­tiques – en rai­son de leur pro­jet de six ans de se réin­té­gr­er dans le libéral­isme améri­cain avec un agit­prop per­for­matif anti-Trump – rend inévitable que de telles attaques sor­dides pré­vau­dront encore.

En con­séquence, les États-Unis se retrou­vent main­tenant plus pro­fondé­ment empêtrés que jamais dans la guerre la plus dan­gereuse qu’ils aient menée depuis des années, voire des décen­nies. Il est peut-être trop tard pour que ces ques­tions soient exam­inées de manière sig­ni­fica­tive. Mais étant don­né les enjeux, il est clair qu’il vaut mieux tard que jamais. »

Glenn Green­wald

Tra­duc­tion : CC

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