59% des Français sont favorables mi 2024 à la gestation pour autrui, ou GPA. Cette pratique est aujourd’hui interdite par la loi de bioéthique du 29 juillet 1994 selon laquelle « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ». Une loi cohérente avec la Convention de la Haye du 29 mai 1993 sur l’adoption internationale, qui oblige les États l’ayant ratifiée à refuser l’adoption si le consentement des parents biologiques a été obtenu avant la naissance. L’opinion de plus d’un Français sur deux, recueillie par un sondage CSA pour Europe 1, CNews et Le Journal du Dimanche pose une question liminaire. Que savent ces 59% de la GPA ? En France, les médias se plaisent à en brosser un portrait positif, fait d’altruisme, de don, d’échange, avec au centre du tableau un couple émerveillé devant un nouveau-né parfait sous tous rapports. L’arrière-plan, lui, est soigneusement ignoré par la plupart des titres. Et pour cause. Si tel n’était pas le cas, il n’est pas sûr que les 59% seraient de la même opinion.
Première partie : la réalité de la GPA
Pourquoi les médias évitent la réalité
Silence coupable ou ignorant ?
Les médias français aiment publier des portraits, et quelquefois des tribunes en faveur de la GPA, mais ils évitent les enquêtes et analyses. Pourquoi ? Parce que leur narratif n’y survivrait pas.
La journaliste Céline Revel-Dumas en a fait les frais. Découvrant la GPA, elle a voulu écrire pour « défendre l’idée d’une GPA légale qui empêcherait l’éclosion de dérives majeures et choquantes ». Or, à force d’étudier, elle en est venue à la conclusion « qu’il était intenable d’un point de vue à la fois pratique et moral de défendre quelque GPA que ce soit ». Elle a donc écrit GPA : le grand bluff, et alerte les rares médias qui l’invitent sur ce qu’elle a découvert. Elle explique ainsi au FigaroVox qu’en Ukraine, les femmes enceintes sont réunies dans un appartement et surveillées. Elles doivent par exemple être de retour avant quatre heures de l’après-midi sous peine d’amende.
Des risques non négligeables
Ces précautions s’expliquent : une grossesse est très loin d’être anodine pour une femme, et celles qui entrent dans le cadre d’une GPA encore moins. Selon Céline Revel-Dumas, « les risques d’hypertension et d’hémorragies du post-partum sont en moyenne 20 % plus élevés que lors d’une grossesse non-GPA ». De plus, plus de la moitié de ces grossesses sont gémellaires, ce qui est plus dangereux qu’une grossesse unique. Mais si vous voulez avoir deux enfants, c’est moins cher, et les risques pour la mère porteuse ne pèsent pas lourd face au porte-monnaie des clients. Le Telegraph relate l’histoire d’une femme britannique de 32 ans, devenue mère porteuse pour résoudre une situation de précarité, qui a fait trois fausses couches et a eu d’importants soucis de santé au cours du processus. Le couple a fini par décider de poursuivre son projet en Californie, non sans lui avoir reproché de leur avoir fait perdre « leur temps, et beaucoup d’argent ».
Ce que la guerre en Ukraine a montré de la GPA
Un marché perturbé par la guerre
L’Ukraine est un bon exemple de ce qu’est la GPA. Avant la guerre, près de 3 000 bébés y naissaient chaque année pour être livrés à des clients étrangers, dont une dizaine par mois pour des Français. La guerre venue, le ministère des Affaires étrangères était régulièrement contacté par des couples qui souhaitaient aller chercher « leur » enfant. Quant aux femmes, elles étaient retenues dans des hôpitaux, à Kiev ou à Kharkov, potentiellement loin de leurs familles, parce que leurs clients voulaient être certains que la grossesse se déroulerait comme prévu et que c’est là que sont les plus grosses cliniques proposant des GPA.
Comment les médias montrent des familles éplorées
Cette situation a été peu détaillée par les médias. D’abord parce que, parmi les nombreux articles publiés sur le sujet de la guerre entre l’Ukraine et la Russie, peu abordaient la GPA. Ensuite parce que ceux qui le faisaient veillaient, toujours, à se placer du point de vue des couples. « Guerre en Ukraine : les derniers Français quittent Kiev » : France Info illustre son article par une vidéo dont l’image de couverture présente deux femmes portant un nourrisson dans leurs bras. Reconnaissons à l’article que le voile est vite levé, puisqu’il explique dès le chapeau que « trois familles notamment ont pu fuir, après s’y être rendu [à Kiev] pour une GPA ».
En revanche, ne comptez pas lire un quelconque rappel de l’illégalité de cette pratique en France. N’espérez pas non plus une remise en question quelconque. La GPA s’est « très bien passée », l’une des commanditaires a accompagné la mère porteuse « pour toute la période de la montée en puissance des contractions » et a « coupé le cordon ombilical », un autre « propose à la mère porteuse de son enfant de l’accueillir en France ». Ces familles ont « bravé la guerre », s’apprêtent à faire « un trajet long et périlleux » pour rentrer en France par la Pologne. L’épopée donnerait presque envie. Pourtant, la GPA est loin d’être une expérience positive pour la mère porteuse.
La GPA, un marché de la femme
Un marché aux esclaves modernes ?
Tempérons immédiatement ce sous-titre : les mères porteuses ne sont pas des esclaves, puisqu’elles sont payées. Pour le reste, étudions la question en détail. Sur le marché de la GPA, tous les ovocytes, et par extension toutes les femmes, ne se valent pas. Les prix varient du simple au décuple, en fonction de l’âge, de l’origine ethnique, du quotient intellectuel. Encore cela vaut-il pour les femmes qui se retrouvent sur les catalogues. Avant cela, il y a la sélection, où elles sont évaluées physiquement, médicalement, intellectuellement, psychologiquement. WFI Surrogacy, qui est l’une des plus grandes agences de GPA américaines, ne se cache guère de cette marchandisation de la femme et promet « une bonne qualité de donneuses d’ovocytes et de mères porteuses » et que « toutes les mères porteuses sont scannées médicalement et psychologiquement[1] ».
Sans cadre légal, les femmes pauvres livrées aux desideratas des riches
Peut-on au moins se dire que, si les médias se taisent sur la sélection des mères porteuses, la GPA reste, pour celles qui portent effectivement des enfants, un moyen de subsistance simple et attractif ? Nullement. Comme louer son ventre pendant quelques mois ne nécessite en soi ni diplômes, ni compétences, c’est une pratique quasi habituelle dans certains pays, où les dérives sont légion. La Croix cite le cas de la Colombie, précisant que la GPA y est devenue « une pratique commerciale aussi lucrative qu’incontrôlée » à cause de « l’absence de cadre légal ». Là-bas, on échange à coups de petites annonces sur les réseaux sociaux, annonçant un état de santé sain et d’anciennes grossesses dans complications. En Colombie, une gestation par autrui coûte moins de 10 000 euros, un tarif plus qu’attractif, qui équivaut à plusieurs millions de pesos. Tout le monde est gagnant. Tout le monde, sauf la mère porteuse si tout ne se passe pas comme prévu. L’une d’elle reconnaît ainsi devant La Croix n’avoir reçu aucun soin après une naissance par césarienne. L’existence d’un cadre légal ne permet pas pour autant aux mères porteuses d’être protégées. En témoigne Kelly Martinez, mère porteuse aux États-Unis, qui témoigne dans le documentaire #BigFertility relayée par L’Incorrect. Là-bas, la loi est du côté des clients, ce qui peut engendrer une nervosité particulièrement dangereuse pour les femmes enceintes. En l’occurrence, Kelly Martinez a souffert d’une pré-éclampsie, ce qui peut être fatal.
À suivre.
Notes
[1] « medically and psychologically screened » dans le texte.