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GPA : derrière le romantisme des médias, une réalité sordide. Première partie

16 octobre 2024

Temps de lecture : 7 minutes
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GPA : derrière le romantisme des médias, une réalité sordide. Première partie

Temps de lecture : 7 minutes

59% des Français sont favor­ables mi 2024 à la ges­ta­tion pour autrui, ou GPA. Cette pra­tique est aujourd’hui inter­dite par la loi de bioéthique du 29 juil­let 1994 selon laque­lle « toute con­ven­tion por­tant sur la pro­créa­tion ou la ges­ta­tion pour le compte d’autrui est nulle ». Une loi cohérente avec la Con­ven­tion de la Haye du 29 mai 1993 sur l’adoption inter­na­tionale, qui oblige les États l’ayant rat­i­fiée à refuser l’adoption si le con­sen­te­ment des par­ents biologiques a été obtenu avant la nais­sance. L’opinion de plus d’un Français sur deux, recueil­lie par un sondage CSA pour Europe 1, CNews et Le Jour­nal du Dimanche pose une ques­tion lim­i­naire. Que savent ces 59% de la GPA ? En France, les médias se plaisent à en bross­er un por­trait posi­tif, fait d’altruisme, de don, d’échange, avec au cen­tre du tableau un cou­ple émer­veil­lé devant un nou­veau-né par­fait sous tous rap­ports. L’arrière-plan, lui, est soigneuse­ment ignoré par la plu­part des titres. Et pour cause. Si tel n’était pas le cas, il n’est pas sûr que les 59% seraient de la même opinion.

Première partie : la réalité de la GPA

Pourquoi les médias évitent la réalité

Silence coupable ou ignorant ?

Les médias français aiment pub­li­er des por­traits, et quelque­fois des tri­bunes en faveur de la GPA, mais ils évi­tent les enquêtes et analy­ses. Pourquoi ? Parce que leur nar­ratif n’y sur­vivrait pas.

La jour­nal­iste Céline Rev­el-Dumas en a fait les frais. Décou­vrant la GPA, elle a voulu écrire pour « défendre l’idée d’une GPA légale qui empêcherait l’éclosion de dérives majeures et choquantes ». Or, à force d’étudier, elle en est venue à la con­clu­sion « qu’il était inten­able d’un point de vue à la fois pra­tique et moral de défendre quelque GPA que ce soit ». Elle a donc écrit GPA : le grand bluff, et alerte les rares médias qui l’invitent sur ce qu’elle a décou­vert. Elle explique ain­si au FigaroVox qu’en Ukraine, les femmes enceintes sont réu­nies dans un apparte­ment et sur­veil­lées. Elles doivent par exem­ple être de retour avant qua­tre heures de l’après-midi sous peine d’amende.

Des risques non négligeables

Ces pré­cau­tions s’expliquent : une grossesse est très loin d’être anodine pour une femme, et celles qui entrent dans le cadre d’une GPA encore moins. Selon Céline Rev­el-Dumas, « les risques d’hypertension et d’hémorragies du post-par­tum sont en moyenne 20 % plus élevés que lors d’une grossesse non-GPA ». De plus, plus de la moitié de ces grossess­es sont gémel­laires, ce qui est plus dan­gereux qu’une grossesse unique. Mais si vous voulez avoir deux enfants, c’est moins cher, et les risques pour la mère por­teuse ne pèsent pas lourd face au porte-mon­naie des clients. Le Tele­graph relate l’histoire d’une femme bri­tan­nique de 32 ans, dev­enue mère por­teuse pour résoudre une sit­u­a­tion de pré­car­ité, qui a fait trois fauss­es couch­es et a eu d’importants soucis de san­té au cours du proces­sus. Le cou­ple a fini par décider de pour­suiv­re son pro­jet en Cal­i­fornie, non sans lui avoir reproché de leur avoir fait per­dre « leur temps, et beau­coup d’argent ».

Ce que la guerre en Ukraine a montré de la GPA

Un marché perturbé par la guerre

L’Ukraine est un bon exem­ple de ce qu’est la GPA. Avant la guerre, près de 3 000 bébés y nais­saient chaque année pour être livrés à des clients étrangers, dont une dizaine par mois pour des Français. La guerre venue, le min­istère des Affaires étrangères était régulière­ment con­tac­té par des cou­ples qui souhaitaient aller chercher « leur » enfant. Quant aux femmes, elles étaient retenues dans des hôpi­taux, à Kiev ou à Kharkov, poten­tielle­ment loin de leurs familles, parce que leurs clients voulaient être cer­tains que la grossesse se déroulerait comme prévu et que c’est là que sont les plus gross­es clin­iques pro­posant des GPA.

Comment les médias montrent des familles éplorées

Cette sit­u­a­tion a été peu détail­lée par les médias. D’abord parce que, par­mi les nom­breux arti­cles pub­liés sur le sujet de la guerre entre l’Ukraine et la Russie, peu abor­daient la GPA. Ensuite parce que ceux qui le fai­saient veil­laient, tou­jours, à se plac­er du point de vue des cou­ples.  « Guerre en Ukraine : les derniers Français quit­tent Kiev » : France Info illus­tre son arti­cle par une vidéo dont l’image de cou­ver­ture présente deux femmes por­tant un nour­ris­son dans leurs bras. Recon­nais­sons à l’article que le voile est vite levé, puisqu’il explique dès le cha­peau que « trois familles notam­ment ont pu fuir, après s’y être ren­du [à Kiev] pour une GPA ».

En revanche, ne comptez pas lire un quel­conque rap­pel de l’illégalité de cette pra­tique en France. N’espérez pas non plus une remise en ques­tion quel­conque. La GPA s’est « très bien passée », l’une des com­man­di­taires a accom­pa­g­né la mère por­teuse « pour toute la péri­ode de la mon­tée en puis­sance des con­trac­tions » et a « coupé le cor­don ombil­i­cal », un autre « pro­pose à la mère por­teuse de son enfant de l’accueillir en France ». Ces familles ont « bravé la guerre », s’apprêtent à faire « un tra­jet long et périlleux » pour ren­tr­er en France par la Pologne. L’épopée don­nerait presque envie. Pour­tant, la GPA est loin d’être une expéri­ence pos­i­tive pour la mère porteuse.

La GPA, un marché de la femme

Un marché aux esclaves modernes ?

Tem­pérons immé­di­ate­ment ce sous-titre : les mères por­teuses ne sont pas des esclaves, puisqu’elles sont payées. Pour le reste, étu­dions la ques­tion en détail. Sur le marché de la GPA, tous les ovo­cytes, et par exten­sion toutes les femmes, ne se valent pas. Les prix vari­ent du sim­ple au décu­ple, en fonc­tion de l’âge, de l’origine eth­nique, du quo­tient intel­lectuel. Encore cela vaut-il pour les femmes qui se retrou­vent sur les cat­a­logues. Avant cela, il y a la sélec­tion, où elles sont éval­uées physique­ment, médi­cale­ment, intel­lectuelle­ment, psy­chologique­ment. WFI Sur­ro­ga­cy, qui est l’une des plus grandes agences de GPA améri­caines, ne se cache guère de cette marchan­di­s­a­tion de la femme et promet « une bonne qual­ité de don­neuses d’ovocytes et de mères por­teuses » et que « toutes les mères por­teuses sont scan­nées médi­cale­ment et psy­chologique­ment[1] ».

Sans cadre légal, les femmes pauvres livrées aux desideratas des riches

Peut-on au moins se dire que, si les médias se taisent sur la sélec­tion des mères por­teuses, la GPA reste, pour celles qui por­tent effec­tive­ment des enfants, un moyen de sub­sis­tance sim­ple et attrac­t­if ? Nulle­ment. Comme louer son ven­tre pen­dant quelques mois ne néces­site en soi ni diplômes, ni com­pé­tences, c’est une pra­tique qua­si habituelle dans cer­tains pays, où les dérives sont légion. La Croix cite le cas de la Colom­bie, pré­cisant que la GPA y est dev­enue « une pra­tique com­mer­ciale aus­si lucra­tive qu’incontrôlée » à cause de « l’absence de cadre légal ». Là-bas, on échange à coups de petites annonces sur les réseaux soci­aux, annonçant un état de san­té sain et d’anciennes grossess­es dans com­pli­ca­tions. En Colom­bie, une ges­ta­tion par autrui coûte moins de 10 000 euros, un tarif plus qu’attractif, qui équiv­aut à plusieurs mil­lions de pesos. Tout le monde est gag­nant. Tout le monde, sauf la mère por­teuse si tout ne se passe pas comme prévu. L’une d’elle recon­naît ain­si devant La Croix n’avoir reçu aucun soin après une nais­sance par césari­enne. L’existence d’un cadre légal ne per­met pas pour autant aux mères por­teuses d’être pro­tégées. En témoigne Kel­ly Mar­tinez, mère por­teuse aux États-Unis, qui témoigne dans le doc­u­men­taire #BigFer­til­i­ty relayée par L’Incorrect. Là-bas, la loi est du côté des clients, ce qui peut engen­dr­er une ner­vosité par­ti­c­ulière­ment dan­gereuse pour les femmes enceintes. En l’occurrence, Kel­ly Mar­tinez a souf­fert d’une pré-éclamp­sie, ce qui peut être fatal.

À suiv­re.

Notes

[1] « med­ical­ly and psy­cho­log­i­cal­ly screened » dans le texte.

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