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GPA : derrière le romantisme des médias, une réalité sordide. Troisième partie

18 octobre 2024

Temps de lecture : 8 minutes
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GPA : derrière le romantisme des médias, une réalité sordide. Troisième partie

Temps de lecture : 8 minutes

Suite de notre dossier.

Voir aus­si :

Troisième partie : une réalité occultée

La GPA : belles histoires et belles vies

Avec des célébrités à la mode, la construction d’un modèle

En sup­posant qu’ils aient fait l’effort de se doc­u­menter sur la GPA, les médias sont donc face à un dilemme : com­ment faire entr­er la GPA dans les esprits comme une pra­tique pos­i­tive qui n’a aucune rai­son de ne pas être légal­isée ? La réponse est sim­ple : il suf­fit de ne rien dire, et de se con­cen­tr­er sur une scène où le posi­tif est facile à mon­tr­er. Paris Match décrit ain­si « l’appartement d’un cou­ple devenu une mai­son de famille, envahie par les enfants » pour par­ler du loge­ment de Marc-Olivi­er Fogiel, son con­joint, et de deux enfants. « Il y a des jou­ets dans l’entrée, des petits mots lais­sés sur le fri­go, des sacs de cours­es qui atten­dent d’être débal­lés. » Quant à la GPA que le cou­ple a payée, il s’agit d’une « odyssée », d’un « par­cours du com­bat­tant » d’un « réc­it entre deux con­ti­nents ». L’animateur Christophe Beau­grand, lui, racon­te son his­toire dans Fils à papa(s), et Jonathan Cer­ra­da, ancien gag­nant de la Nou­velle Star, a une inter­view de Gala. Il pour­ra se réjouir d’avoir une « chou­ette vie », où l’arrivée d’un petit garçon par l’intermédiaire d’une mère por­teuse a été une « expéri­ence folle ». Jonathan Cer­ra­da fait d’ailleurs le lien entre son pro­jet et le proces­sus d’adoption, expli­quant que « les pro­jets comme ceux-là, au tra­vers d’une mère por­teuse ou l’adoption, sont des par­cours un peu dif­fi­ciles ». De quoi faire bondir les cou­ples ayant adop­té un enfant, c’est-à-dire ayant recueil­li un enfant privé de ses par­ents biologiques par un aban­don ou un acci­dent de la vie. Une démarche qui a peu à voir avec un enfant fab­riqué dans le but d’être vendu.

Voir aus­si : Marc-Olivi­er Fogiel, portrait

Au-delà des célébrités, la GPA chez vos voisins

Pour que la dépé­nal­i­sa­tion de la GPA fasse l’unanimité, il faut aus­si mon­tr­er des exem­ples plus proches du quo­ti­di­en des Français. Libéra­tion racon­te donc l’histoire de Christophe, dont les enfants sont « bap­tisés et inscrits dans une école catholique ». De quoi mon­tr­er que même les « cathos » sont pour la GPA. L’article fait égale­ment inter­venir Dominique Men­nes­son, dépeint comme le « pio­nnier du com­bat pour la ges­ta­tion pour autrui ». Le terme est égale­ment util­isé par Paris Match dans son por­trait de Marc-Olivi­er Fogiel, qui, avec son con­joint, devait « deman­der des con­seils sous le man­teau » à des « pio­nniers très peu nom­breux ». Dominique Men­nes­son a dû, avec sa con­jointe, « faire appel à la jus­tice pour faire recon­naître leurs deux filles nées aux Etats-Unis ». On pour­rait presque écrire le scé­nario d’un film à suc­cès cen­tré sur l’histoire du cou­ple qui « a incar­né le débat houleux » sur la GPA. Au reste, en 2019, Libéra­tion s’était attelé à la tâche, décrivant les « dix-neuf ans de com­bat » avant que « de procé­dures en requêtes, de guéril­las en appels, [ce soit] gag­né. » La déci­sion finale avait été « une délivrance pour cette famille ».

La saga du couple Mennesson

En 2000, le cou­ple Men­nes­son recourt à la ges­ta­tion pour autrui aux Etats-Unis. Mon­sieur Men­nes­son donne ses gamètes à une mère por­teuse, qui vend ses ovo­cytes et loue son ven­tre. Neuf mois plus tard nais­sent deux filles, qui sont donc les filles biologiques de Mon­sieur Men­nes­son. En revanche, biologique­ment par­lant, rien ne les relie à Madame Men­nes­son, qui sera désignée par Libéra­tion comme la « mère d’intention ». Comme le cou­ple ne veut pas pass­er par l’adoption pour faire recon­naître les filles comme les enfants de cette femme, il ne reste guère qu’une déci­sion de jus­tice. Elle sera obtenue au bout de dix-neuf ans, mais Libéra­tion tient à martel­er qu’il s’agit d’une « déci­sion d’ex­cep­tion au regard du temps écoulé » : au bout de dix-neuf ans, il n’est plus pos­si­ble de deman­der à Madame Men­nes­son d’adopter les filles qu’elle a élevées comme les siennes. Selon le jour­nal, cette « vic­toire » « n’ou­vre en aucune manière la porte à la GPA, con­traire­ment à ce que cer­tains opposants à cette pra­tique lais­sent enten­dre ». Et de con­clure : « elle ne fait que ren­dre jus­tice à une mère qui l’é­tait déjà… », comme si Madame Men­nes­son avait été prise en traître par la jus­tice française.

Les médias de gauche libérale libertaire à l’œuvre pour défendre la GPA

Droit à l’enfant pour tous

Après l’autorisation du mariage homo­sex­uel, de l’adoption, puis de la PMA pour toutes, la GPA est la dernière ligne rouge qui n’a pas encore été dépassée. Cer­tains médias classés à gauche s’emploient donc à chang­er cela. Libéra­tion utilise notam­ment la vieille ficelle de l’exemple de l’étranger, présen­tant les cou­ples français qui « faute de loi sur la ges­ta­tion pour autrui » en France, sont oblig­és d’acheter leurs enfants par GPA à l’étranger, où « les prix des agences de femmes por­teuses et des clin­iques ont explosé ». La tech­nique est loin d’être inno­vante, et l’objectif est tou­jours le même : affirmer que ce que les rich­es peu­vent s’offrir doit être acces­si­ble à tous. Dans cer­taines clin­iques, il faut compter plus de 100 000 euros pour un enfant. L’autre argu­ment récur­rent des jour­nal­istes en faveur de la GPA con­cerne les enfants eux-mêmes.

Alors que les opposants à la ges­ta­tion pour autrui invo­quent le droit des enfants à ne pas être fab­riqués pour être ven­dus et à ne pas être séparés volon­taire­ment de leur mère à leur nais­sance, les par­ti­sans de la GPA se con­cen­trent sur les enfants nés de cette manière, qui ne doivent pas être des « fan­tômes » selon les ter­mes de Dominique Men­nes­son. En effet, les enfants nés de GPA à l’étranger ne peu­vent pas être recon­nus comme les enfants du cou­ple qui les a achetés, sauf s’ils ont don­né leurs gamètes. C’est la dif­fi­culté qu’a ren­con­trée le cou­ple Mennesson.

Des opposants peu entendus

Les médias veil­lent donc à ne présen­ter qu’une toute petite facette de la GPA, en faisant taire les mères, les enfants, mais aus­si les experts et les décideurs qui s’opposent à cette pra­tique. Le 8 sep­tem­bre 2024, huit députés chiliens venant de l’ensemble du spec­tre poli­tique local ont signé une let­tre pub­liée par le jour­nal El Mer­cu­rio afin de deman­der l’abolition de la ges­ta­tion pour autrui. Les députés rejet­tent l’idée de la GPA éthique en affir­mant que « la GPA com­mer­ciale comme la GPA dite altru­iste aboutis­sent au même résul­tat : l’instrumentalisation de la femme et de l’enfant pour sat­is­faire les désirs de tiers. »

Quelle que soit la con­clu­sion que l’on peut en tir­er, force est de con­stater que les médias ont été rel­a­tive­ment dis­crets vis-à-vis de l’appel des députés chiliens. Ils ont été tout aus­si mutiques sur la déc­la­ra­tion de Casablan­ca. Cette dernière a réu­ni une cen­taine de juristes, médecins, psy­cho­logues, chercheurs et divers prati­ciens, déten­teurs de 75 nation­al­ités dif­férentes. Ils deman­dent eux aus­si l’abolition uni­verselle de la GPA, car leurs divers­es expéri­ences pro­fes­sion­nelles leur ont per­mis de con­stater qu’il s’agit un prob­lème inter­na­tion­al, qui ne saurait donc être résolu que par une abo­li­tion uni­verselle. Ces experts ont rédigé une Con­ven­tion inter­na­tionale aujourd’hui pro­posée aux États.

La GPA, ce marché que le monde libéral libertaire aime

On ne peut que s’étonner du silence des médias, alors que la GPA devrait cristallis­er à peu près tous les points que la gauche réprou­ve. Le marché brasse entre 15 et 30 mil­liards de dol­lars en 2024, une somme qui pour­rait attein­dre les 129 mil­liards de dol­lars en 2032, et pousse les femmes, prin­ci­pale­ment les femmes pau­vres, à porter un enfant qui n’est pas le leur, c’est-à-dire à tra­vailler toutes les journées et toutes les nuits, y com­pris les week-end, pen­dant neuf mois, avec des risques sérieux pour leur san­té, et même de pos­si­bles con­séquences sur leur avenir. De plus, dans le marché juteux de la ges­ta­tion pour autrui, la part de la mère por­teuse est mai­gre : 63% de l’argent va aux clin­iques, 33% aux avo­cats et autres prestataires en jeu, et 1% aux mères porteuses.

Pour­tant, les élites et la sphère médi­a­tique ne taris­sent pas d’éloges sur la GPA et la con­sid­èrent, selon des pro­pos dénon­cés par le Tele­graph, comme un « mir­a­cle mod­erne. » En fait, les médias voudraient tir­er la GPA d’un débat trop pous­siéreux selon eux, et surtout dif­fi­cile à gag­n­er. Le Monde a pub­lié une tri­bune de « trois spé­cial­istes de la repro­duc­tion » qui appel­lent à « une réflex­ion sur la ges­ta­tion pour autrui dégagée d’arguments moraux ». Pour eux, alors que voilà un an, le 5 octo­bre 2023, la GPA a été incluse dans la déf­i­ni­tion de la traite d’être humains par le Par­lement européen, cette pra­tique doit être libérée de « son instru­men­tal­i­sa­tion idéologique ». Ces spé­cial­istes rap­pel­lent que « la GPA et la trans­plan­ta­tion utérine (TU) sont les seules solu­tions médi­cales à l’infertilité utérine absolue » et esti­ment que l’interdiction de la GPA relève du « pou­voir inter­ven­tion­nel de l’Etat en matière de choix repro­duc­tifs ». Autrement dit, l’Etat devrait autoris­er tout ce qui est tech­nique­ment possible.

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