Suite de notre dossier.
Voir aussi :
- GPA : derrière le romantisme des médias, une réalité sordide. Première partie
- GPA : derrière le romantisme des médias, une réalité sordide. Deuxième partie
Troisième partie : une réalité occultée
La GPA : belles histoires et belles vies
Avec des célébrités à la mode, la construction d’un modèle
En supposant qu’ils aient fait l’effort de se documenter sur la GPA, les médias sont donc face à un dilemme : comment faire entrer la GPA dans les esprits comme une pratique positive qui n’a aucune raison de ne pas être légalisée ? La réponse est simple : il suffit de ne rien dire, et de se concentrer sur une scène où le positif est facile à montrer. Paris Match décrit ainsi « l’appartement d’un couple devenu une maison de famille, envahie par les enfants » pour parler du logement de Marc-Olivier Fogiel, son conjoint, et de deux enfants. « Il y a des jouets dans l’entrée, des petits mots laissés sur le frigo, des sacs de courses qui attendent d’être déballés. » Quant à la GPA que le couple a payée, il s’agit d’une « odyssée », d’un « parcours du combattant » d’un « récit entre deux continents ». L’animateur Christophe Beaugrand, lui, raconte son histoire dans Fils à papa(s), et Jonathan Cerrada, ancien gagnant de la Nouvelle Star, a une interview de Gala. Il pourra se réjouir d’avoir une « chouette vie », où l’arrivée d’un petit garçon par l’intermédiaire d’une mère porteuse a été une « expérience folle ». Jonathan Cerrada fait d’ailleurs le lien entre son projet et le processus d’adoption, expliquant que « les projets comme ceux-là, au travers d’une mère porteuse ou l’adoption, sont des parcours un peu difficiles ». De quoi faire bondir les couples ayant adopté un enfant, c’est-à-dire ayant recueilli un enfant privé de ses parents biologiques par un abandon ou un accident de la vie. Une démarche qui a peu à voir avec un enfant fabriqué dans le but d’être vendu.
Voir aussi : Marc-Olivier Fogiel, portrait
Au-delà des célébrités, la GPA chez vos voisins
Pour que la dépénalisation de la GPA fasse l’unanimité, il faut aussi montrer des exemples plus proches du quotidien des Français. Libération raconte donc l’histoire de Christophe, dont les enfants sont « baptisés et inscrits dans une école catholique ». De quoi montrer que même les « cathos » sont pour la GPA. L’article fait également intervenir Dominique Mennesson, dépeint comme le « pionnier du combat pour la gestation pour autrui ». Le terme est également utilisé par Paris Match dans son portrait de Marc-Olivier Fogiel, qui, avec son conjoint, devait « demander des conseils sous le manteau » à des « pionniers très peu nombreux ». Dominique Mennesson a dû, avec sa conjointe, « faire appel à la justice pour faire reconnaître leurs deux filles nées aux Etats-Unis ». On pourrait presque écrire le scénario d’un film à succès centré sur l’histoire du couple qui « a incarné le débat houleux » sur la GPA. Au reste, en 2019, Libération s’était attelé à la tâche, décrivant les « dix-neuf ans de combat » avant que « de procédures en requêtes, de guérillas en appels, [ce soit] gagné. » La décision finale avait été « une délivrance pour cette famille ».
La saga du couple Mennesson
En 2000, le couple Mennesson recourt à la gestation pour autrui aux Etats-Unis. Monsieur Mennesson donne ses gamètes à une mère porteuse, qui vend ses ovocytes et loue son ventre. Neuf mois plus tard naissent deux filles, qui sont donc les filles biologiques de Monsieur Mennesson. En revanche, biologiquement parlant, rien ne les relie à Madame Mennesson, qui sera désignée par Libération comme la « mère d’intention ». Comme le couple ne veut pas passer par l’adoption pour faire reconnaître les filles comme les enfants de cette femme, il ne reste guère qu’une décision de justice. Elle sera obtenue au bout de dix-neuf ans, mais Libération tient à marteler qu’il s’agit d’une « décision d’exception au regard du temps écoulé » : au bout de dix-neuf ans, il n’est plus possible de demander à Madame Mennesson d’adopter les filles qu’elle a élevées comme les siennes. Selon le journal, cette « victoire » « n’ouvre en aucune manière la porte à la GPA, contrairement à ce que certains opposants à cette pratique laissent entendre ». Et de conclure : « elle ne fait que rendre justice à une mère qui l’était déjà… », comme si Madame Mennesson avait été prise en traître par la justice française.
Les médias de gauche libérale libertaire à l’œuvre pour défendre la GPA
Droit à l’enfant pour tous
Après l’autorisation du mariage homosexuel, de l’adoption, puis de la PMA pour toutes, la GPA est la dernière ligne rouge qui n’a pas encore été dépassée. Certains médias classés à gauche s’emploient donc à changer cela. Libération utilise notamment la vieille ficelle de l’exemple de l’étranger, présentant les couples français qui « faute de loi sur la gestation pour autrui » en France, sont obligés d’acheter leurs enfants par GPA à l’étranger, où « les prix des agences de femmes porteuses et des cliniques ont explosé ». La technique est loin d’être innovante, et l’objectif est toujours le même : affirmer que ce que les riches peuvent s’offrir doit être accessible à tous. Dans certaines cliniques, il faut compter plus de 100 000 euros pour un enfant. L’autre argument récurrent des journalistes en faveur de la GPA concerne les enfants eux-mêmes.
Alors que les opposants à la gestation pour autrui invoquent le droit des enfants à ne pas être fabriqués pour être vendus et à ne pas être séparés volontairement de leur mère à leur naissance, les partisans de la GPA se concentrent sur les enfants nés de cette manière, qui ne doivent pas être des « fantômes » selon les termes de Dominique Mennesson. En effet, les enfants nés de GPA à l’étranger ne peuvent pas être reconnus comme les enfants du couple qui les a achetés, sauf s’ils ont donné leurs gamètes. C’est la difficulté qu’a rencontrée le couple Mennesson.
Des opposants peu entendus
Les médias veillent donc à ne présenter qu’une toute petite facette de la GPA, en faisant taire les mères, les enfants, mais aussi les experts et les décideurs qui s’opposent à cette pratique. Le 8 septembre 2024, huit députés chiliens venant de l’ensemble du spectre politique local ont signé une lettre publiée par le journal El Mercurio afin de demander l’abolition de la gestation pour autrui. Les députés rejettent l’idée de la GPA éthique en affirmant que « la GPA commerciale comme la GPA dite altruiste aboutissent au même résultat : l’instrumentalisation de la femme et de l’enfant pour satisfaire les désirs de tiers. »
Quelle que soit la conclusion que l’on peut en tirer, force est de constater que les médias ont été relativement discrets vis-à-vis de l’appel des députés chiliens. Ils ont été tout aussi mutiques sur la déclaration de Casablanca. Cette dernière a réuni une centaine de juristes, médecins, psychologues, chercheurs et divers praticiens, détenteurs de 75 nationalités différentes. Ils demandent eux aussi l’abolition universelle de la GPA, car leurs diverses expériences professionnelles leur ont permis de constater qu’il s’agit un problème international, qui ne saurait donc être résolu que par une abolition universelle. Ces experts ont rédigé une Convention internationale aujourd’hui proposée aux États.
La GPA, ce marché que le monde libéral libertaire aime
On ne peut que s’étonner du silence des médias, alors que la GPA devrait cristalliser à peu près tous les points que la gauche réprouve. Le marché brasse entre 15 et 30 milliards de dollars en 2024, une somme qui pourrait atteindre les 129 milliards de dollars en 2032, et pousse les femmes, principalement les femmes pauvres, à porter un enfant qui n’est pas le leur, c’est-à-dire à travailler toutes les journées et toutes les nuits, y compris les week-end, pendant neuf mois, avec des risques sérieux pour leur santé, et même de possibles conséquences sur leur avenir. De plus, dans le marché juteux de la gestation pour autrui, la part de la mère porteuse est maigre : 63% de l’argent va aux cliniques, 33% aux avocats et autres prestataires en jeu, et 1% aux mères porteuses.
Pourtant, les élites et la sphère médiatique ne tarissent pas d’éloges sur la GPA et la considèrent, selon des propos dénoncés par le Telegraph, comme un « miracle moderne. » En fait, les médias voudraient tirer la GPA d’un débat trop poussiéreux selon eux, et surtout difficile à gagner. Le Monde a publié une tribune de « trois spécialistes de la reproduction » qui appellent à « une réflexion sur la gestation pour autrui dégagée d’arguments moraux ». Pour eux, alors que voilà un an, le 5 octobre 2023, la GPA a été incluse dans la définition de la traite d’être humains par le Parlement européen, cette pratique doit être libérée de « son instrumentalisation idéologique ». Ces spécialistes rappellent que « la GPA et la transplantation utérine (TU) sont les seules solutions médicales à l’infertilité utérine absolue » et estiment que l’interdiction de la GPA relève du « pouvoir interventionnel de l’Etat en matière de choix reproductifs ». Autrement dit, l’Etat devrait autoriser tout ce qui est techniquement possible.