C’est en Suisse, pays de la neutralité (un peu effacée) et supposé protecteur des libertés publiques et privées que cela se passe. Un personnage public est condamné à 60 jours de prison pour avoir traité dans une vidéo de « grosse lesbienne » une journaliste.
Le personnage est Alain Soral dont on peut penser ce que l’on veut. Mais la sanction est disproportionnée et inquiétante. La journaliste incriminée se revendique comme « lesbienne militante », nous ignorons son tour de taille mais « grosse lesbienne » ne nous paraît pas une insulte méritant la prison ferme.
Nous reprenons partiellement un article sur le sujet du journaliste suisse David L’Épée, lui-même victime des flics de la pensée de Libération. Les intertitres sont de notre rédaction.
Les flics de la pensée ne désarment jamais
… « Le colloque des 50 ans de la revue Éléments que je vous annonçais il y a quelques jours a été une réussite…Comme vous le saviez j’animais une table ronde intitulée De la pensée unique au wokisme : faire face aux flics de la pensée, où j’ai donné la parole à l’écrivain Jean-Paul Brighelli et au député Roger Chudeau, qui a fondé récemment une Association des parlementaires contre le wokisme afin d’opposer au lobbying des partis du système sur la question une résistance au sein même des assemblées…
De retour dans ma chère patrie je me dis que ces tendances inquisitoriales sont tout de même moins marquées ici qu’en France et qu’à tout prendre on respire un peu mieux sous nos latitudes, où il demeure — malgré le wokisme ambiant chez les élites — une certaine liberté d’expression. Erreur !
… Soral est sans doute la dernière personne dont j’ai envie de vous parler ici. Il ne vous aura en effet pas échappé qu’en dépit des amalgames grossièrement entretenus par certains de nos ennemis communs, nous ne sommes pas exactement en bons termes (c’est peu de le dire) ni n’avons les mêmes idées et que ça fait une bonne dizaine d’années que le peu de rapports que nous avons sont exécrables. Non sans raison d’ailleurs. Mais bon, qu’importent ce que peuvent croire (ou feignent de croire) les inquisiteurs, revenons au réel.
Le réel, quel est-il ? Qu’Alain Soral est condamné en Suisse, où il réside actuellement, à une peine de prison ferme suite à la plainte d’une journaliste de La Tribune de Genève qu’il a traitée dans une vidéo en ligne de « grosse lesbienne » dans le cadre d’une sorte de dispute entre eux deux. Alors bon c’est tout sauf élégant et on n’en sera pas étonné outre mesure connaissant la finesse du personnage mais enfin, jusqu’à peu la grossièreté n’avait pas un caractère délictueux et on a peine à voir dans ces deux petits mots où réside le crime qui pourrait envoyer son auteur en prison.
Une épithète peu amène, certes, mais pas infamante pour autant : en effet il est de notoriété publique que cette journaliste est effectivement lesbienne (elle n’en fait pas mystère) et il faut bien admettre qu’elle n’a pas tout à fait une taille de guêpe. C’est peut-être indélicat de le mentionner mais ce n’est ni mensonger ni calomnieux. Le réel, donc, c’est qu’on peut aujourd’hui en Suisse croupir derrière les barreaux pour une simple insulte, et face à ce réel, il me semble que mon antipathie ou mes désaccords à l’égard de l’individu Soral n’ont pas à interférer dans mon appréciation : il fait en l’état les frais d’une loi liberticide qui ne devrait absolument pas avoir sa place dans une démocratie digne de ce nom.
Cette loi, quelle est-elle ? Proposée au vote en février 2020, cette extension d’un article déjà existant du Code pénal suisse (l’article 261 bis ) punissant initialement les appels à la haine ou à la discrimination raciales proposait d’étendre cette disposition à l’encontre de tout propos portant atteinte à l’orientation sexuelle de quelqu’un. Un terrain juridique pour le moins glissant qui laisse la porte ouverte à tous les abus répressifs, comme on l’imagine et comme ce nouveau cas nous le confirme…
C’est un peu comme ce qui se passe en France ces derniers jours avec la dissolution de l’organisation catholique intégriste Civitas. Personne n’a envie de prendre la défense de ces fous furieux et pourtant il n’empêche que leur association est dissoute par le gouvernement sans la moindre justification crédible et sans qu’elle ait jamais représenté le moindre danger pour la sûreté de l’État. Là encore la technique de l’épouvantail : si vous vous opposez aux bouffées autoritaires de Darmanin alors vous êtes un catho intégriste ; si vous vous opposez à l’article 261 bis du Code pénal suisse alors vous êtes « soralien »… Insupportable !
À ceux que ces épouvantails effraieraient je rappellerais cette réflexion de l’éditeur Jean-Jacques Pauvert qui, dans La Traversée du livre (Viviane Hamy, 2004), écrivait ceci sur son opposition de principe à la censure :
« Quoi qu’en disent les avocats, le procès de La Polka des braguettes n’est pas celui de Madame Bovary, mais juridiquement, il ne peut être différent . […] En retombant chaque fois dans l’ornière de la valeur littéraire, défenseurs et procureurs renvoient indéfiniment le vrai procès, celui qu’il faudra bien plaider un jour, et dont le thème est très simple : y a‑t-il, oui ou non, une justification quelconque aux moindres des entraves à la liberté d’expression ? »
Pauvert a raison. Si on les compare à certains lanceurs d’alerte autrement plus sympathiques, on pourrait dire que Soral ou Civitas sont La Polka des braguettes de l’agitation politique, mais juridiquement leurs droits sont et doivent être les mêmes. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise censure : la censure doit être combattue partout où elle se présente et quels qu’en soient les victimes… »