« Rochefort, c’est l’homme qui fut l’artisan majeur de la liberté de la presse, par son style, sa vie prodigieuse, sa popularité inouïe ! »
Entretien avec Richard Dessens, auteur de Henri Rochefort ou la véritable liberté de la presse (éditions Dualpha) (propos recueillis par Fabrice Dutilleul).
Henri Rochefort fut-il un journaliste ou un politique ?
À une époque où la presse politique est très encadrée par la loi, les journalistes sont surtout des pamphlétaires dans la mesure où ils mènent un combat politique pour la liberté de la presse, en frappant fort sur les régimes en place. D’ailleurs la grande loi de 1881, très libérale pour la presse, verra décliner les pamphlets au profit d’un journalisme politique plus structuré. Rochefort entre dans ce contexte et en est même le pionnier le plus célèbre puisque La Lanterne, en 1868, pamphlet corrosif contre l’Empire, connaît un succès inégalé et lui apporte une notoriété extraordinaire.
Mais Rochefort utilise aussi la politique pour la liberté de la presse. Il se fait élire 3 fois député, il est membre du Gouvernement de la Défense Nationale en 1870, participe à la Commune. Après 1881, il poursuit son combat pour la liberté d’une presse non inféodée au nouveau pouvoir de la République. Il est boulangiste, dénonce les nombreux scandales de la IIIe République naissante, est anti-dreyfusard. Toujours pour affirmer son indépendance et sa liberté de parole.
Quelles sont les idées politiques de Rochefort ?
Son individualisme forcené et son refus de tout pouvoir constitué posent le fondement de ses choix politiques. C’est pourquoi il ne fut jamais un homme de parti – on le lui reprochera souvent – et fut toujours fidèle à son idéal de défense du peuple contre les « grands » et les élites autoproclamées de son époque. Ses attaques permanentes contre tous les gouvernements avaient pour but d’informer – ou plutôt de « ré-informer » – le peuple qu’il considère trompé par les élites de l’Empire d’abord, puis par celles, à géométrie variable en plus opportunistes comme Rochefort les dénomme, de la IIIe République.
Toutefois, il y a beaucoup de l’esprit proudhonien chez Rochefort : il privilégie les actions concrètes aux idées, il s’inspire du réel pour construire un système et non l’inverse comme Marx ou ses suiveurs socialistes de la IIIe République. Rochefort est un homme de 1848 et surtout de la Commune qu’il qualifie comme le « meilleur régime politique » que la France ait connu, avec un brin de provocation ! Bien sûr, la Commune c’est le libertarisme de Proudhon et son souci des mesures concrètes plus que des grandes idées. On y retrouve le peintre Courbet, ami de Rochefort et proudhonien lui aussi. Proudhon est un anarchiste sans anarchie. Il déteste le pouvoir, mais respecte l’ordre. C’est cet ordre sans pouvoir qu’incarne Rochefort, héritier aussi des pouvoirs intermédiaires de la Fronde nobiliaire du XVIIe siècle, mélange détonnant aux fondements proches concrètement.
Qu’est-ce qui fait qu’on peut encore parler de Rochefort plus d’un siècle après sa mort ?
Rochefort, c’est l’homme qui fut l’artisan majeur de la liberté de la presse, par son style, sa vie prodigieuse, sa popularité inouïe ! La pression qu’il exerça pendant plus de vingt ans surtout sur les gouvernants, dans une atmosphère en outre très bouleversée des années 1865/1880, très riche en évènements de toutes sortes, fut déterminante. Son style incisif faisait rire toute la France ; il est sans cesse condamné, jeté en prison, envoyé au bagne, faisant de son combat un drapeau pour beaucoup de petites gens ; il s’évade du bagne, mène une vie d’aventures, toujours dans la critique des Pouvoirs. Toute cette vie lui apporte une popularité qui mobilise des centaines de milliers de Parisiens à chacun de ses retours en France après ses exils et condamnations ! Il est l’ami – le « troisième fils » – de Victor Hugo. Rochefort laisse un souvenir dans le peuple en forme d’espoir et d’émancipation, quels qu’aient été ses choix politiques de circonstances.
Et puis le souvenir de l’incroyable succès de Rochefort est peut-être aussi le symbole d’une liberté de la presse disparue, noyée dans le politiquement correct d’intellectuels désormais soumis. Le contraire de Rochefort !
Henri Rochefort ou la véritable liberté de la presse de Richard Dessens, 240 pages, 29 euros, éditions Dualpha, collection « Vérités pour l’Histoire », dirigée par Philippe Randa.
Photo : Henri Rochefort peint par Manet (détail). Kunsthalle de Hambourg.