Dans un texte intitulé « Adieu Le Monde, vive Reporterre » et publié lundi chez le second, Hervé Kempf explique que « ce 2 septembre, quinze ans et un jour après y être entré, (il) quitte Le Monde ».
Une décision prise avoir avoir subi, « de fait, une censure » à propos du très polémique dossier de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes qui doit être construit par Vinci. « Que je quitte volontairement un titre prestigieux étonnera peut-être. Mais certes moins que la raison qui m’y pousse : la censure mise en œuvre par sa direction, qui m’a empêché de poursuivre dans ce journal enquêtes et reportages sur le dossier de Notre-Dame-des-Landes », écrit le journaliste qui affirme que « des indices concourant (lui font) penser que l’hypothèse de pressions d’un propriétaire sur le journal à propos de Notre-Dame-des-Landes était pensable. Ce sont des indices, pas des preuves. Je les publierai si cela parait nécessaire au public. »
Il pense par exemple à quatre pages axées sur « la compétitivité des entreprises » et majoritairement rédigées par des journalistes économiques extérieurs à la rédaction. On y expliquait « que l’enjeu essentiel d’une nouvelle politique énergétique était la compétitivité des entreprises, que le gaz de schiste réveillait l’industrie américaine, que la politique énergétique allemande produisait maints effets pervers ».
Hervé Kempf évoque aussi « un colloque organisé par l’Association française des entreprises privées (les cent plus importantes) et le Cercle de l’Industrie (fondé naguère par Dominique Strauss-Kahn) avec Le Monde (qui) accompagnait cet exercice de communication, (remerciant) Alstom, Areva, GDF-Suez, Arkema, Lafarge, etc. ». Et s’interroge au passage : « Ces partenaires avaient-ils apporté 35 000 euros au journal pour prix de ces quatre pages, comme me l’indiqua un collègue bien placé pour le savoir ? »
Autre « indice » : Le 18 juin, Le Monde organisait, avec l’Institut de l’entreprise, l’International summit of business think tanks (Sommet international des cabinets de réflexion sur les affaires), ‘avec le soutien de Deloitte et Vinci’. Et pour préparer cet important événement, des entretiens avec des chefs d’entreprise furent publiés, le premier avec Xavier Huillard, le président de Vinci.
Après plusieurs refus de sujets et de reportages par sa direction qui le considère comme « trop marqué », sa chronique écolo passe à la trappe au début du mois de juin, un choix que justifie a posteriori Arnaud Leparmentier, rédacteur en chef au Monde :
Un matin, Pierre Mauroy est mort. Il a fallu remplacer une chronique. Un journal, c’est de l’actu. Et c’est un collectif @KEMPFHERVE
— Leparmentier Arnaud (@ArLeparmentier) September 2, 2013
Pour Kempf, c’est la vexation de trop. Il claque la porte et constate aujourd’hui, dépité : « Ce qui compte, dans l’atmosphère délétère d’un système qui ne proclame la démocratie que pour mieux renforcer les logiques oligarchiques, c’est la croissance, l’économie, la production. »
Le journaliste va désormais se consacrer à un site écologiste, Reporterre. Si le site est 100% gratuit, Hervé Kempf espère que « de la même manière que l’on trouve normal de payer son pain parce que le boulanger a travaillé pour le faire, on trouvera normal de payer l’information parce que les journalistes ont travaillé pour la produire. Nous faisons le pari qu’une large part de nos recettes viendra du soutien des gens qui enverront quelques euros car ils comprendront que c’est utile. »
Crédit photo : DR