Première diffusion le 01/11/2018 — L’Observatoire du journalisme (Ojim) se met au régime de Noël jusqu’au 5 janvier 2019. Pendant cette période nous avons sélectionné pour les 26 articles de la rentrée qui nous ont semblé les plus pertinents. Bonne lecture, n’oubliez pas le petit cochon de l’Ojim pour nous soutenir et bonnes fêtes à tous. Claude Chollet, Président
Cinquième et dernier volet de notre décryptage du documentaire « Histoires d’une nation ». Partie 5 : Histoires d’une nation, analyse de l’épisode 4/4, « Générations, 1975–2005 ».
Le cinquième volet de la série documentaire de France 2, « Histoires d’une nation » est consacré aux « générations », ce qui n’est pas très clair. Sauf à comprendre que l’histoire de France serait un ensemble d’histoires de « générations » successives de personnes venues d’ailleurs ? L’interprétation est délicate, le choix de ce titre étant flou. Ce qui n’est pas le cas de l’ensemble de ce dernier épisode, lequel s’inscrit pleinement, ainsi que l’OJIM le faisait remarquer, dans un moment où une volonté de limiter la liberté d’expression semble s’associer avec une volonté de réécrire l’histoire de France, y compris dans les établissements scolaires. Un rôle prétendument éducatif auquel est appelée cette série documentaire coproduite par France 2, France Inter et L’Obs, et diffusée auprès des jeunes scolarisés, par les médias de l’Éducation Nationale.
La France black blanc beur
La fin du documentaire, et donc de la série de quatre épisodes, donne le fin mot de l’histoire, pas de ces histoires prétendues de la France ou d’une quelconque histoire de France prise au sérieux, mais plutôt la raison profonde de l’existence même de la série. Ce dernier épisode, mené au rythme de la même musique épique, sous-entendant combien l’épopée de la France serait celle d’immigrés héroïques fondant contre vents et marées ce pays, la France. Celle de la victoire de la coupe du monde en 1998, dans l’esprit et les mots des auteurs, la France dite « black blanc beurs », une France dont l’histoire (du football en tout cas) serait histoire des enfants de migrants ayant composé cette équipe.
Les émeutes de 2005
Ce « fin mot » des « histoires d’une nation » tient dans les derniers mots du commentaire et les dernières images défilant sous nos yeux :
Après les émeutes de 2005, dont il est dit qu’elles sont la conséquence de la mort de deux enfants d’immigrés mineurs, « victimes de la police », sans que jamais le contexte ne soit posé, ni le déroulé des événements ayant conduit à ces morts, étant entendu que la frontière sépare des victimes par nature (les enfants d’immigrés) des coupables par nature (la police, c’est-à-dire la France), « quelque chose de neuf apparaît ». Notons que la vraie responsabilité de ces émeutes ethniques urbaines (ce qui n’est jamais analysé ainsi dans le documentaire) serait Nicolas Sarkozy et sa « provocation » quand il évoque les « racailles ». En tout cas, le drame aurait eu un effet à rebours, une sorte de prise de conscience : « Certains décident d’affirmer leurs identités, ils vont chercher dans leurs histoires de quoi enrichir l’histoire de France ». Ce n’est plus l’intégration qui est la France commune, c’est la juxtaposition des différentes identités (sauf la blanche, européenne, de souche dont l’existence demeure douteuse, sauf sous la forme d’un État collectif répressif), de la diversité ; en un mot : le multiculturalisme en forme de communautés séparées, chacune attachée à son identité (sauf l’identité européenne bien entendu, répétons le). La somme des identités qui auraient fait la France seraient, justement, la France. Ce point est clair : la fin de l’histoire réside dans le multiculturalisme. Il faut « aller chercher cette autre histoire-là », ce que fait la série documentaire en somme.
Je suis ce que j’ai décidé
- Les mots qui terminent le documentaire donnent le message, dont il convient de rappeler qu’il va faire le tour des lycées Français, et peut-être alimenter le goût de l’usage de pistolets factices ici ou là : « Aujourd’hui, à l’image de nos nouveaux champions du monde, on peut être Français et garder ce qu’on aime de nos origines », l’heure est « à l’identité choisie ». L’un des tout derniers intervenants le déclare : « Je suis ce que j’ai décidé ». Il n’y a pas d’identité au singulier, pas plus d’identités au pluriel, au sens d’identités diverses: nous serions l’identité que nous nous donnons à chaque instant. Ainsi le titre de ce dernier épisode s’éclaire-t-il. « Générations », comme des générations spontanées, une sorte de renaissance et de mutation permanentes, par l’apport de « l’enrichissement des immigrations ». Ainsi, « nos façons de nous définir sont infinies ». Mais, car il y a un mais…
- Nous ne retenons pas la leçon de ces histoires qui feraient l’histoire de la France. Pourquoi ? Images de « migrants », images de maintenant : « comme hier, ils viennent chassés par les guerres, les génocides et la misère (les images se font larmoyantes). Ils prennent le même chemin que des centaines de milliers d’immigrés depuis 150 ans et ayant déjà donné naissance à plus de vingt millions de Français. Elles ont fait leurs histoires. Notre histoire ».
Le choix dans la date ?
Ce documentaire, dernier de la série de quatre, se termine en 2005, année des émeutes, acte de naissance donc d’une sorte de vraie France. Choix étonnant, accentué par la sur-représentation dans cet épisode d’immigrés venus d’Asie (Vietnamiens et Cambodgiens) et d’Africains, et la sous-représentation d’immigrés d’Afrique du Nord et musulmans (même si, malencontreusement les images font parfois mentir le commentaire, ainsi quand on voit que ceux qui vont parler aux jeunes des bandes ethniques, dans la nuit de 2005, sont des hommes barbus vêtus de façon clairement islamiste). Une réalité que ne dit pas le documentaire car c’est précisément la réalité que la série semble ne pas vouloir voir ni montrer : la transformation de la France par la migration musulmane et le climat de violence dans lequel le pays est plongé, climat directement lié à l’immigration. Choisir d’arrêter ces histoires en 2005, suffit à faire de cette série une série de propagande et non d’histoire. Que seraient ces histoires d’une nation si le documentaire s’arrêtait le 13 novembre 2015 ?
Un dernier épisode à l’image des trois premiers
L’épisode 4 ne dépareille pas du reste de la série. Il commence en 1976, par la descente des Champs Élysées effectuée par les « verts » de Saint-Etienne, battus en finale de la coupe d’Europe des clubs champions de football et cependant « des héros ». Bien sûr, déjà et encore, « les noms des joueurs racontent la France telle qu’elle s’est construite », des joueurs « tous enfants d’immigrés », représentant « une France qui se reconnaît dans ses enfants ». L’épisode commence par montrer le bonheur qui régnait alors, en particulier dans des cités que les images montrent solidaires, les hommes faisant tourner des moutons sur des broches improvisées en bas des immeubles, les enfants de toutes les origines jouant au football, sans racisme, dans des espaces où régnait la mixité sociale. Ainsi, « Le modèle d’une France mélangée s’installe ». C’était sans compter avec la crise économique des années 70, laquelle replongerait la France dans des politiques décidées par « un Valéry Giscard d’Estaing se repliant vers de vieilles idées des années 30 ». Le téléspectateur est étonné de découvrir le visage de ce président dans ce contexte. Années 30 ? Pourquoi ? C’est la référence qui amalgame toute politique à une politique d’extrême droite, dans le langage commun de la gauche culturelle. Il y a du chômage, le gouvernement décide de limiter l’immigration, c’est un retour aux années de sinistre mémoire… le changement vient des boat people, dont le drame vécu au Vietnam et au Cambodge, pays pourtant communistes, oblige à « rouvrir les frontières au nom des droits de l’Homme ». Cela entraîne l’arrivée de 130 000 asiatiques, « une arrivée massive à l’origine de milliers de Français », ceux-là même qui effacent (ou presque) les musulmans de l’image de ce dernier épisode.
Giscard d’Estaing coupable
Cependant, pour s’installer en France, il faut alors « triompher » des contrôles douaniers. Le mot « triompher » est révélateur. Toute la politique migratoire du président Giscard d’Estaing et de son ministre Lionel Stoleru est analysée au prisme d’une politique de « répression », y compris la « prime au départ ». Et cette politique serait à l’origine du retour des « idées racistes et xénophobes » ; c’est le moment choisi par le réalisateur pour placer en plein écran une affiche du Front National et l’image d’un meeting. Ainsi, la présence d’une immigration, dont le documentaire répète à satiété qu’elle concerne au moins 25 % des actuels Français, ne serait pas la cause de la montée en puissance du Front National. Ce serait plutôt la politique de « rejet » des immigrés menée par VGE et son ministre.
Heureusement, Mitterrand vint
Sous « la droite », « les héros des Trente Glorieuses sont redevenus, comme dans les Années 30, des indésirables ». « La droite divise Français et étrangers, la gauche propose un autre discours que ce rejet des étrangers ». Entendons-nous bien, il s’agit d’un verbatim. Suit alors l’image devenue mythe de la gauche, celle de Mitterrand se rendant au Panthéon en un concert de roses. L’heure est « au vent de liberté », la victoire de la gauche est « la victoire des immigrés ». Mais les choses se gâtent à compter du tournant de 1983, quand la gauche se met à mener des « politiques de droite », alors « un vent raciste souffle de nouveau ». La xénophobie est de retour, tandis que « Les immigrés et leurs enfants sont le symbole de la France métissée voulue par la gauche. Alors, ils sont la cible de tous ceux qui s’opposent au gouvernement ». L’immigration n’est ainsi jamais un problème, plutôt un bouc-émissaire, dans l’optique de ces « histoires d’une nation ». Face à la xénophobie, les enfants d’immigrés auraient changé l’histoire : c’est la « marche des beurs » de 1983, à la suite de laquelle (et bien que le documentaire omette la petite main jaune de Touche pas à mon pote, pour une raison qui échappe), une sorte de fraternité refait surface, à commencer entre enfants d’immigrés marcheurs, et « ces nouvelles voix, ces nouveaux visages, renouvellent la culture française ». Musique, cinéma, les immigrés apportent leur « richesse » partout.
L’Islam montré du doigt
En même temps, du fait de la crise et de la rigueur, divers événements auraient amalgamé l’immigration et l’islam, ce que le documentaire affirme en montrant force couvertures de magazines, du Figaro magazine au Nouvel Observateur : « L’islam est pointé du doigt et la gauche se rallie aux théories de la droite ». Verbatim « Ils sont d’accord sur une idée : il y a bien un problème de l’immigration ». Suit la célèbre phrase de Rocard : « Nous ne pouvons héberger toute la misère du monde ». L’horizon du documentaire s’éclaircit : les problèmes que nous connaissons maintenant ne sont que les mêmes problèmes rencontrés hier : la France, peu accueillante, aurait eu le tort de vouloir « intégrer » les immigrés. Verbatim, toujours. Cette question de « l’intégration » est jugée inadmissible : elle consisterait à devoir abandonner son identité, son origine. Cette politique serait à l’origine des « ghettos », des immigrés « parqués » entre eux, « séparés », à compter des années 90, et finalement à l’origine des… émeutes de 2005, après lente macération, malgré la victoire de 1998 et ce nouvel espoir déçu d’une France multiculturelle. Car la réalité serait moins rose. Un médecin issu de l’immigration témoigne ainsi de son entrée à la Faculté de médecine : « J’ai réalisé qu’il y avait plusieurs France que ces gens-là n’étaient pas comme moi (il parle des femmes aux jupes plissées et au ronds rouges dans les cheveux), ils avaient leurs fêtes, leurs musiques à eux ». Il s’agit d’un enfant d’immigrés évoquant des Français de souche, en France. Verbatim.
C’est donc après 2005, une fois la question de l’identité devenue centrale, non pas du fait de la présence trop forte d’immigrés en France mais des conceptions politiques de « l’extrême droite » et de « Nicolas Sarkozy », que les choses changent. Quand les enfants d’immigrés descendent dans la rue pour revendiquer le droit à leur identité. Leurs histoires seraient celles de la nation, celle-là même qui se reconstruirait en permanence à l’infini comme l’identité de chacun de nous.
Histoires d’une nation, un outil de formatage des esprits
Histoires d’une nation ? Ce n’est pas de l’histoire, à peine un documentaire, mais une arme de propagande à destination des lycéens, un outil de formatage des consciences et de lutte contre ces Français (devenus majoritaires) qui refusent justement les dogmes de la société multiculturelle, dogmes devenus religion dans cette série financée par l’État. Une série qui prétend que l’histoire de France commence en 1870 par l’immigration et que la France devient vraiment une nation quand les enfants des immigrés font des émeutes pour « affirmer un droit à l’identité ». Un outil médiatique clairement au service de la conception du monde actuellement dominante et qui veut essaimer.