Quatrième volet de notre série de décryptage du documentaire « Histoires d’une nation ». Partie 4 : Histoires d’une nation, analyse de l’épisode 3/4, La gloire de nos pères (1954–1974).
Le quatrième volet de la série documentaire de France 2, « Histoires d’une nation » est consacré à « la gloire de nos pères », autrement dit les immigrés qui ont travaillé « sans cesse », sauf à dormir « vingt minutes » entre trois métiers affirme un témoin, durant les Trente Glorieuses, « pour faire la France » (décidément une rengaine de cette série) et permettre à leurs enfants de gravir les marches de l’ascenseur social du pays, à l’image de Zinedine Zidane, figure en filigrane permanent de cet épisode.
Après avoir analysé le pourquoi de ce documentaire, puis décrypté les deux premiers épisodes, l’OJIM se penche sur l’épisode trois sur quatre, épisode qui évoque plus souvent l’immigration maghrébine, tout en insistant sur l’assimilation progressive des immigrés polonais, portugais ou italiens. Notons que la série documentaire (coproduite par France Inter/L’Obs, et diffusée massivement dans l’Éducation Nationale par l’intermédiaire de Francetvéducation), n’interroge toujours pas le pourquoi d’une assimilation plus aisée en France d’un Européen que d’un Africain, sinon en exposant une sorte d’atavisme raciste du Français (Français qui pourtant n’existe pas, puisque d’après les épisodes précédents il serait un immigré comme les autres). La machine à penser correctement est en marche. Une série dont on se demande si elle ne mériterait pas un Bobard d’or ? Voire de platine.
Et si on larmoyait un peu pour commencer ?
Images colorisées, musique dramatique, le téléspectateur peut avoir le sentiment de regarder un épisode de cette autre série documentaire qu’est Apocalypse, sur les guerres mondiales ; ce n’est pas le cas, ce sont les histoires propagandistes d’une nation, cette France qui serait née du ventre fécond de l’immigration. La ficelle est à ce point grosse que, une fois n’est pas coutume, dans le concert de louanges venu de tous les côtés de la presse, même Le Monde s’est interrogé sur la pertinence de la vision du monde propagée par la série, indiquant que cette dernière offre « un regard incomplet, sinon éloigné du réel » (définition possible d’un documentaire de propagande).
Dès l’entame, le troisième épisode ne fait pas dans la dentelle : « Il fait froid, nous avons chaud », chacun aura reconnu les premiers mots de l’appel de l’abbé Pierre de 1954. Pourquoi reprendre le fil de ces histoires « plurielles » d’une France « sans cesse réinventée par ses immigrés » en 1954 ? Simple comme une obsession : sur les 1677 sans logis de Paris, en 1954, les deux tiers sont, d’après les auteurs, des algériens. Et parmi eux ? Le papa de Zinedine Zidane. On pleure dans les chaumières, pardon dans les cités. « Ils dorment dehors, dont le père de Zinedine Zidane, quarante-quatre ans avant que son fils gagne la coupe du monde de football ». Pour un peu, le football n’aurait pas eu son Mozart. Et la France n’aurait pas connu son énième renaissance.
La France des Trente Glorieuses ?
D’un côté, des Français « bourgeois » habitant beaux quartiers et beaux immeubles (nulle trace d’un ouvrier blanc Français ni d’un paysan dans cet épisode), employant une « bonne espagnole et une concierge portugaise » (c’est l’ascenseur social), tandis que les immigrés d’Afrique du Nord vivent dans la boue des bidonvilles. Un simple regard des auteurs portés sur le quatorzième arrondissement du Paris de l’époque aurait montré que les conditions de vie n’étaient guère meilleures dans les vieux immeubles délabrés, souvent insalubres, où logeaient les ouvriers de souche.
Qu’à cela ne tienne, ce qui importe c’est que dans les bidonvilles, « la moitié de ceux qui vivent là sont des Français pas comme les autres, ils sont appelés les Français musulmans d’Algérie ». L’époque est à la reconstruction et « les immigrés arrivent pour redresser le pays ». Après l’avoir inventée, puis sauvée, les immigrés redressent maintenant la France. Ce redressement national, du coup acceptable quand il serait l’œuvre d’étrangers, se fait dans un contexte terrible pour les immigrés, victimes d’être en France tandis que leurs peuples combattent cette même (méchante) France pour leur indépendance. Cela tombe mal : on travaille en France, mais au « bled » on ne veut plus dépendre de la France. Pire, certains immigrés algériens (au moins un en tout cas, cela s’appelle la « micro histoire »), se sont engagés pour combattre en Indochine, avant d’ensuite rejoindre le FLN, tuer des soldats Français, puis revenir travailler dans ce même pays dont ils ne voulaient plus. On ne comprend goutte, et le documentaire ne nous éclaire guère sur la logique à l’œuvre ; l’objectif n’est pas là, il est simplement de nous rappeler l’injustice de la décolonisation. Une décolonisation ou « L’État est en guerre avec ses immigrés sur le sol Français ». C’est cela, la Guerre d’Algérie : une guerre menée par la France contre les immigrés algériens vivant sur le territoire national. Ce qui évidemment ne saurait rappeler que les « heures sombres de notre histoire », puisque « le Vel d’Hiv’ sert de nouveau pour les interner » (les Algériens, le Vel d’Hiv’ ?). La parole est donnée à un témoin dont le père a combattu la France et a été interné : c’était « un résistant, comme Jean Moulin » (sic). Autre témoignage, au sujet de la Guerre d’Algérie, celui de Ramzy Bédia : « J’en sais plus sur Clovis et le vase de Soissons [il doit être âgé, du coup] que sur la Guerre d’Algérie ». Personne n’a une adresse de librairie à indiquer à ce quidam ?
L’indépendance, une bonne nouvelle ? Plus ou moins.
L’indépendance et la défaite de la France dans la Guerre d’Algérie, c’est évidemment bien, d’après cet épisode. Enfin… sauf pour les immigrés vivant en France, lesquels perdent la nationalité française. Ce qui serait un scandale : il est vrai que des individus accueillis en France, aidés socialement (les aides représentaient le double du salaire de son père, indique un témoin), participant de l’intérieur à la guerre contre ce pays qui les a accueillis (les fameux « résistants »), fêtant l’indépendance de l’Algérie, obtenant donc le statut de nation entre les nations, et qui n’ont plus la nationalité du pays qu’ils ont voulu quitter, mais gagnent celle du pays qu’ils ont voulu rendre indépendant, il y a de quoi être choqué. Du moins, pour les auteurs de ce documentaire. Pourtant, ils avaient bien mérité, comme cet immigré dont l’histoire nous est contée qui, après avoir combattu en Algérie dans les rangs du FLN, se précipite en France car la RATP embauche. Le pire ? Comme il est Algérien et que la guerre se termine juste, bien que ne se déclarant évidemment pas en tant que tueur de soldats Français, il est victime d’une « injustice » : lui et ses compatriotes (300 000 algériens arrivent en France juste après la guerre pour travailler) « sont considérés comme des ennemis de l’intérieur ». On se demande bien pourquoi ? Les auteurs de la série ne se demandent rien.
C’est le boom économique
Les images montrent d’autres immigrés, passant les frontières, fuyant les « dictatures du sud de l’Europe », le Portugal et l’Espagne ; ce seraient des « réfugiés » devant d’ailleurs payer des « passeurs », une situation somme toute normale semble-t-il. Ils rejoignent les bidonvilles montrés auparavant, dans une France qui maltraite plus qu’elle n’accueille, et c’est ce qui est le plus étonnant dans cette série : la France n’y est jamais généreuse. On peut se demander à bon droit ce qui attire, du coup, tant les populations exogènes ?
Par contre, certains Français se sont montrés accueillants, ainsi Michelin et sa politique de regroupement familial avant la lettre, passage qui donne à voir un étrange éloge du paternalisme patronal, jusque-là plutôt critiqué dans les officines culturelles de gauche. La confusion règne ainsi à tous les étages d’Histoires d’une nation, malgré l’adoubement de France Inter et de France 2.
Dans la mémoire de leurs enfants, les Trente Glorieuses des immigrés, c’est « la gloire de nos pères ». Les histoires familiales se succèdent, valant histoire générale de la France, dans une conception ultra individualiste des sociétés. Ainsi, ce témoin qui raconte : « À partir du moment où je suis allé au lycée, j’étais vénéré dans la famille. J’avais une sœur qui m’enlevait les chaussures et les chaussettes en rentrant, une autre sœur m’apportait une bassine avec de l’eau chaude et du gros sel, et ma mère qui me lavait les pieds ». Comme dans les épisodes précédents, pas une remarque quant au sexisme tranquille de ces propos. Ce n’est certainement pas un hasard : laissons le temps au temps, comme autrefois, semblent dire les auteurs, l’œil rivé sur le sexisme des immigrés musulmans vivant actuellement en France, et faisant autant d’enfants que ceux d’hier, à en croire les images. Peut-être moins que les « 25 enfants » de la même famille que le président Giscard d’Estaing voulut voir lors d’une visite rendue à un bidonville. Reste qu’alors « La France change de visage. Qu’ils soient immigrés ou Français, les jeunes ont les mêmes loisirs, écoutent la même musique », et « les enfants d’immigrés montent en haut de l’affiche [images d’Aznavour, Montand, Lino Ventura, Gainsbourg, Kopa, sans que soit remarqué qu’aucun n’est africain et que la majorité sont de religion chrétienne], la France rayonne et ils en assurent le prestige national » (c’est la rengaine, le refrain de la série).
Il n’est pas plus remarqué, le Français impeccable parlé par ces enfants d’immigrés, éduqués par leurs familles et l’école, poussés à s’intégrer dans la nation plutôt qu’à occuper leur temps à la désintégrer, sous couvert de la protection des « valeurs républicaines » (cet aspect a été signalé à l’OJIM par un lecteur, indiquant que derrière la négation de la nation se profile, dans ce documentaire, un éloge de ces « valeurs », lesquelles sont il est vrai un dogme dont les immigrés sont le Graal). La preuve que l’immigration est le Graal de la France ? Astérix, œuvre de Goscinny et Uderzo, fils d’immigrés, porteurs avec le village irréductible des Gaulois de la mythologie de la nation, laquelle du coup n’est rien de plus qu’une bande dessinée, un imaginaire.
1968, l’année de sortie de l’ombre
Deviner en quelle année les immigrés auraient enfin pu quitter l’ombre pour la lumière, et avoir la parole, n’est pas si difficile : c’est 1968. Forcément. L’année de la grande libération. Dans le courant des événements étudiants puis ouvriers, orchestré par divers groupuscules soutiens de divers totalitarismes de l’époque, les immigrés se tiennent à l’écart mais, instruits par les événements et aidés par la gauche, ils prennent la parole en 1970, portant des revendications spécifiques pour leur catégorie.
L’historien militant Benjamin Stora apparaît alors à l’écran pour affirmer que cette prise de parole met fin à la « dissimulation-assimilation ». Cette dernière, l’assimilation, c’est le mal car elle contraignait l’immigré, hier, la minorité, aujourd’hui, à cacher son identité, laquelle serait le bien le plus important de ce vivre ensemble, lui-même le Bien absolu. Ils réclament le droit de « vivre normalement en France », et même « l’Église monte au créneau » ; elle qui pourtant semblait n’être qu’une fiction, est appelée à la rescousse quand elle va dans le bon sens de l’Histoire ou plutôt des histoires d’une nation qu’elle n’aurait, la coquine, en rien contribué à créer.
En tout cas, dans la foulée de 1968, l’heure étant à la liberté, dit-on, est votée la loi de 1972 contre le racisme, montrant par là même le racisme dont serait victime les immigrés. Du coup : « La nouvelle extrême droite veut raviver en France les inégalités raciales des colonies ». Le Mal approche sans aucun doute, et certainement le dernier épisode nous donnera-t-il son nom.
Déconstruction tous azimuts
Ce troisième épisode d’histoires d’une nation ne décevra pas les amateurs de propagande contemporaine. Il a la qualité d’être fidèle à lui-même, autrement dit à l’esprit d’une série dont l’objet est de déconstruire la nation France, au nom effectivement des « valeurs de la république », mais aussi au-delà : la véritable communauté nationale serait celle du « vivre ensemble », construit patiemment, et contre les autochtones « racistes », par les générations de migrants qui sont venus sur le territoire afin, justement, d’inventer et de réinventer sans cesse une France qui n’existait pas auparavant. L’immigration, c’est la Parole du nouveau prophète, Zidane. Après 68 et par la grâce de Dieu, pardon de Zidane, pardon de l’immigration, « une nouvelle vie commence pour toute une génération de jeunes Français ». Le nouveau récit national, celui que nos enfants vont maintenant apprendre à l’école.
Sans doute vise-t-on ainsi à supprimer les jeux de revolver en classes de lycée professionnels où, on le constate, la France n’a plus aucune existence ethnique. Ceci expliquant peut-être cela ? Mais alors, ce serait une autre histoire que ces histoires d’une nation, car jamais un immigré n’oserait menacer une enseignante avec une arme, le bien ne pouvant pas faire le mal, c’est bien connu. On frétille d’impatience à l’idée de voir le quatrième et dernier épisode de ce document de propagande.