Dans la presse, il y a des sujets qui sont plus vendeurs que d’autres : les propos polémiques, le sexe, la violence… Mais aussi le IIIème Reich et Adolf Hitler ! Intérêt historique prononcé pour l’aquarelliste autrichien ou curiosité morbide pour une période historique taboue du XXème siècle, le nazisme fait cliquer et vendre. Le Figaro fait office de premier de cordée en la matière mais n’est pas le seul organe de presse à surfer sur une Histoire, avec un grand H, vieille maintenant de plus de 70 ans.
Les chiffres fous d’Hitler au Figaro
Entre le 11 octobre 2020 et le 11 octobre 2021, 277 articles du Figaro en ligne mentionnent Adolf Hitler, soit plus de cinq articles hebdomadaires en moyenne sur une année ! Joli score pour l’un des plus gros titres de France. Parmi ces articles, il convient certes de faire le tri : certains traitent d’émission télévisées historiques ou de faits divers en lien avec le personnage comme les affiches comparant le président Macron à l’ancien chef d’État allemand voire même de petites polémiques contemporaines. Comme quand la journaliste de RMC Apolline de Malherbe croit malin de demander à un autre intellectuel contemporain, Cyril Hanouna : « fallait-il inviter Hitler à l’époque » à la télé ?
On le voit, la référence hitlérienne s’invite souvent dans l’actualité française mais au Figaro la rédaction semble avoir déployé un arsenal de « fun facts » sur l’ancien chef d’État à même de faire cliquer le badaud.
La méthamphétamine du Führer et les couilles de Franco
Objet d’un intérêt tout particulier, Adolf Hitler a droit à un papier pour chaque nouvelle archive ouverte ou chaque nouveau livre écrit à son propos. Ainsi Le Figaro nous apprenait il y a quelques années qu’Hitler aurait été un drogué à la méthamphétamine mais qu’en revanche la rumeur selon laquelle il n’aurait qu’un testicule relevait de la légende… Alors que Franco lui en aurait vraiment perdu une au combat…
Si certains papiers ont un véritable intérêt d’un point de vue historique (c’est le cas par exemple d’une critique du documentaire Apocalypse, par Jean Christophe Buisson), de nombreux articles publiés ont tout du phénomène « pute-à-clic », c’est-à-dire du contenu qui incite à cliquer derrière des titres accrocheurs. Ainsi, si l’on ne prête pas toujours deux testicules à Hitler, Le Figaro lui attribue une grosse montre ! Le 1er octobre un article intitulé « Il était une fois la montre perdue d’Hitler » illustre bien ce phénomène : mais à y regarder de plus près, rien n’assure qu’elle fut vraiment à lui… Les biographes du chef d’État allemand argueront d’ailleurs que le principal intéressé, qui ne portait pas de montre mais avait des goûts assez simples n’aurait certainement pas porté un tel bijou et qu’il s’agit tout au plus d’un cadeau qu’on lui fit…
Dans la même veine, un long papier sur le crâne supposé d’Hitler, qui serait à Moscou, paru le 7 mai 2021 joue aussi sur le titre racoleur « A Moscou, l’incroyable histoire du crâne d’Adolf Hitler ». L’article nous apprend finalement, au dernier de la vingtaine de paragraphes que compte le papier, que : « faute d’analyse génétique, un doute peut subsister concernant le crâne » évoquant une « authenticité vraisemblable ».
La fièvre brune touche la presse française
Pourquoi tant d’articles ? La presse française serait-elle gangrenée par des restes de la « bête immonde » ? Si notre attention s’est ici portée sur Le Figaro, champion de l’article hitlérien, il faut tout de même signaler que Le Monde, certes plus timide, propose une bonne centaine « seulement » de papiers évoquant le Führer au cours de la même période, alors que Libération déçoit avec seulement 99 références !
Voir aussi : Le point Godwin. Dossier
Hitler comme super référence, cela évoque évidemment la loi de Godwin généralement appelée point Godwin. Cette notion, théorisée par l’avocat américain Mike Godwin consiste à expliquer que la probabilité de faire référence Adolf Hitler ou au nazisme s’accroît plus une discussion dure sur internet. L’imprégnation de ce tabou germanique touche plus largement le débat depuis l’après-guerre avec le procédé rhétorique du reductio ad Hitlerum théorisé par le philosophe Leo Strauss. La méthode est simple, pour disqualifier votre interlocuteur, accusez le d’être hitlérien ! La floraison de notions très contestables comme « l’islamofascisme » et même « l’islamonazisme » participe d’une simplification-confusion qui participe largement du retour systématique à ces références passées. La récente sortie un peu pathétique de Charline Vanhœnacker qui avait grimé le presque-candidat Éric Zemmour d’une moustache hitlérienne témoigne également de « l’outil IIIème Reich » pour discréditer celui perçu comme un ennemi.
Une curiosité qui ne se tarit pas
Au-delà du Figaro et des principaux titres de presse nationale, le national-socialisme et d’Adolf Hitler tiennent une place privilégiée dans les kiosques. Ainsi, les revues d’Histoire évoquent très régulièrement le sujet. La raison ? On vend mieux un magazine avec une croix gammée ou Hitler en couverture qu’avec à peu près n’importe quelle autre image. La raison semble ici celle du tabou. Le lecteur ressent possiblement, inconsciemment, un plaisir ayant trait à la subversion en portant ses yeux sur la représentation du tabou. Un sujet qui interpelle jusque dans les cimes de France Culture qui avait consacré une émission à ce sujet en décembre 2018.
Au-delà du nombre de références hitlérienne du Figaro qui peut prêter à sourire, l’attraction morbide autour de ce sujet soulève de véritables questions sur le rapport à l’Histoire et à la mémoire en Europe occidentale et particulièrement en France. Des questions qui devraient revenir dans quelques mois avec les 60 ans de la fin de la guerre d’Algérie qui arrivent en pleine campagne présidentielle… Au moins parlera-t-on un peu moins d’Hitler ? Rien n’est moins sûr !
Illustration : capture d’écran vidéo du film “Les producteurs” (2005).