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Humeur : traitement médiatique de la mort de Jean-Marie Le Pen

13 janvier 2025

Temps de lecture : 9 minutes
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Humeur : traitement médiatique de la mort de Jean-Marie Le Pen

Temps de lecture : 9 minutes

Le décès de Jean-Marie Le Pen, figure emblématique de la politique française, le 7 janvier 2025, a suscité une large couverture médiatique, comme on pouvait s’en douter.

Les vaillants soldats de l’antifascisme institutionnel ne se sont pas gênés, évidemment, pour souiller la mémoire d’un homme, sans se soucier d’une trêve qu’impose d’ordinaire la mort d’une personnalité publique. Bien plus, nous avons pu assister à des scènes de liesse d’une rare indignité, notamment Place de la République, où nous avons pu apercevoir – bon signe pour la neutralité du service public — Raphaël Gribe-Marquis, alias “DJ Monique Ninja”, producteur chez Radio France, en train de sabler le champagne. Ce dernier était aux côtés de Romain Chalendar, porte-parole du collectif communiste antisioniste et LGBTI+ Les Inverti·e·s. Également présent, Tarik Safraoui, employé chez Mediapart, fut aperçu.

« Vous n’aurez pas ma haine » à géométrie variable

Manon Boltan­sky, mil­i­tante du NPA a, quant à elle, déclaré sur BFMTV, à pro­pos de cette célébra­tion nécrophagique :

« On a le droit de rire de ces choses-là. »

Con­clu­sion, ces gens qui ont pour slo­gan « vous n’au­rez pas ma haine » lorsqu’il s’ag­it de ter­ror­istes islamiques qui pren­nent des vies inno­centes, s’en don­nent à cœur joie lorsqu’il est ques­tion d’un opposant poli­tique. Pas de meilleur rap­pel que celui de Jean-Marie Le Pen, qui dans un tweet à l’an­nonce de la mort de Jacques Chirac, écrivit :

« Mort, même l’en­ne­mi a droit au respect. »

Même Sophie Pri­mas, la porte-parole d’un gou­verne­ment qui lui a tou­jours été hos­tile réagis­sant à ces rassem­ble­ments, a déclaré :

« Il a le droit au respect et sa famille, à nos con­doléances républicaines. »

L’Huma ne refait pas la Une de la mort de Staline

L’Hu­man­ité a qual­i­fié les hom­mages de cer­tains médias d’ ”amnésiques”, pointant du doigt l’ou­bli des nom­breuses con­tro­ver­s­es liées à ses pro­pos jugés « anti­sémites, racistes et néga­tion­nistes ». Le jour­nal com­mu­niste a titré : « Une vie dédiée à la haine du rouge. » Les inter­nautes, sur les réseaux soci­aux, n’ont pas man­qué d’iro­nis­er en déclarant y voir le plus bel hom­mage qui se puisse con­cevoir. Et de rap­pel­er la une de ce même jour­nal qui titrait, à la mort de Staline :

« Deuil pour tous les peu­ples, qui expri­ment dans le recueille­ment leur immense amour pour le grand Staline. »

Medi­a­part a égale­ment pub­lié un arti­cle inti­t­ulé “Mort de Jean-Marie Le Pen : les hom­mages de la honte, le tri­om­phe de la lep­éni­sa­tion des esprits”, cri­ti­quant une abso­lu­tion médi­a­tique et une réécri­t­ure de l’his­toire. BFMTV, de leur côté, n’ont pas hésiter à tra­quer la désor­mais veuve de Jean-Marie Le Pen, avide de recueil­lir le cha­grin d’une femme endeuil­lée sur le vif. Et Paris Match, qui a don­née, selon sa ligne édi­to­ri­ale, dans le sen­sa­tion­nel, n’a pas hésité à pub­li­er une pho­to de Marine Le Pen, en pleurs dans l’avion lorsqu’elle a appris la nou­velle de la mort de son père.

Procès, médias et fausses nouvelles

Plusieurs médias ont égale­ment util­isé cette occa­sion pour rap­pel­er les mul­ti­ples con­damna­tions judi­ci­aires de Le Pen pour ses pro­pos con­tro­ver­sés. France Info a dressé une liste de ses con­damna­tions, soulig­nant les « sor­ties de route et les déra­pages » qui ont jalon­né sa car­rière. Le Figaro, de son côté, a retracé la car­rière de Le Pen, le décrivant comme une “fig­ure majeure et con­tro­ver­sée de la Ve République”, mais n’a pas man­qué de men­tion­ner ses nom­breux procès.

L’analyse médi­a­tique a égale­ment porté sur l’im­pact de Le Pen sur les médias français. 20 Min­utes a exploré com­ment Le Pen, de paria, est devenu un client réguli­er des médias, par­ti­c­ulière­ment après que François Mit­ter­rand a décidé de lui accorder plus de vis­i­bil­ité médi­a­tique dans les années 80, con­tribuant ain­si à la “berlus­con­i­sa­tion médi­a­tique” de la poli­tique française. Il est bon de rap­pel­er, à ce sujet, cette manœu­vre odieuse : le 12 jan­vi­er 1992, une jour­nal­iste d’Antenne 2 annonce à Jean-Marie Le Pen, dans les couliss­es, avant son pas­sage dans l’émis­sion L’Heure de vérité qu’une de ses filles est à l’hôpi­tal pour le désta­bilis­er. Heureuse­ment, le men­songe ne prend pas. Toutes les filles de l’homme poli­tique étaient dans le pub­lic ce soir-là.

Vous avez dit normalisation ?

La notion de “lep­éni­sa­tion des esprits” a été large­ment dis­cutée. Ce terme, intro­duit par Robert Bad­in­ter en 1997, décrit com­ment les idées de Le Pen ont pro­gres­sive­ment infil­tré le dis­cours poli­tique et médi­a­tique français. Les médias ont exploré com­ment, même après sa mort, cette lep­éni­sa­tion per­siste, avec des idées autre­fois mar­ginales devenant de plus en plus accep­tées ou au moins débattues dans la sphère publique. Une par­tie de la cou­ver­ture médi­a­tique s’est con­cen­trée sur la ques­tion de la « nor­mal­i­sa­tion de l’ex­trême droite ». Des fig­ures comme Éric Zem­mour ont été citées dans cer­tains arti­cles, sig­nalant que le débat sur la place des idées nationales dans le paysage poli­tique français con­tin­ue à pren­dre de l’am­pleur, même après la mort de Le Pen.

La fracture des réseaux sociaux

Les réac­tions sur les réseaux soci­aux ont été analysées par des médias comme 20 Min­utes et Libéra­tion. La liesse publique dans cer­taines villes a été un phénomène inédit, sou­vent com­paré à des célébra­tions de “libéra­tion”. Ce con­traste entre célébra­tions et deuil a mon­tré la divi­sion pro­fonde dans la société française, que Le Pen avait par­faite­ment observée. Les médias ont malaisé­ment nav­igué entre le respect des morts, la cri­tique d’une ligne poli­tique et d’une per­son­nal­ité haute en couleurs, et la réflex­ion sur l’im­pact durable des idées exprimées par ce dernier dans la société. Cette cou­ver­ture a révélé autant sur la France con­tem­po­raine que sur l’homme lui-même.

La Croix hurle avec les loups

Côté catholique ou sup­posé tel, Loup Besmond de Sen­neville a signé un édi­to­r­i­al pour le jour­nal La Croix, inti­t­ulé : « Mort de Jean-Marie Le Pen : cinquante ans de frac­tures. » Dans cet édi­to­r­i­al, il rap­porte une con­damna­tion subie par Le Pen pour « avoir nié l’ex­is­tence des cham­bres à gaz », ce qu’il n’a pour­tant jamais fait. Il rap­pelle que si « Jean-Marie Le Pen se revendi­quait catholique, » ce dernier « a pour­tant entretenu des rela­tions pour le moins dif­fi­ciles avec l’Église catholique et sa hiérar­chie. En 2002, alors qu’il fran­chis­sait pour la pre­mière fois la barre du sec­ond tour de la prési­den­tielle, sa réu­til­i­sa­tion des fameux mots de Jean-Paul II (« N’ayez pas peur, entrez dans l’espérance ») avait sus­cité la répro­ba­tion unanime des évêques, tout comme ces derniers avaient com­bat­tu longtemps son par­ti, iden­ti­fié comme pro­mou­vant le rejet de l’autre. »

Pen­dant les can­tonales de 1985, Jean-Marie Le Pen a répon­du aux évêques et à leurs vapeurs d’en­cens dérisoires, dont l’édi­to­ri­al­iste sem­ble se faire l’é­cho : « À gauche du par­ti rad­i­cal, du Grand Ori­ent et de la ligue des droits de l’homme, je vois quelques évêques. Ils sont en civ­il pour­tant. C’est à ça que je les recon­nais d’ailleurs. Ils ont le col roulé n’est-ce pas ? Alors eux, c’est le tir de bar­rage. Les attaques des évêques de gauche et d’ex­trême-gauche, c’est quand même rare, c’est à ma con­nais­sance la pre­mière fois qu’ils mon­tent au filet sur le plan poli­tique. On les a pas enten­du par­ler du goulag. On les a pas enten­du con­damn­er le géno­cide com­mu­niste en Afghanistan, ni au Cam­bodge. Et si vous vous mêliez de ce qui vous regarde, c’est-à-dire de ce qui touche à Dieu, au spir­ituel, à l’Eglise. Et si vous laissiez à gros gens que nous sommes le soin de nous occu­per de la poli­tique qui ne vous regarde pas plus que les autres. Vous n’avez pas plus d’au­torité dans ce domaine que le dernier des citoyens et vous abusez de votre fonc­tion en lançant l’anathème que vous lancez. »

Jean-Marie Le Pen racon­te, dans des pages touchantes de ses Mémoires, sa rup­ture avec l’Église catholique :

« Nous avons rompu l’Église et moi quand j’avais 16 ans (…) C’était après l’été 44 (…) les prêtres du col­lège peinaient à me tenir, je ne sup­por­t­ais plus la dis­ci­pline bras croisés. Bref, ils ont décidé de me vir­er et, comme j’étais à la fois costaud et rebelle, ils ont trou­vé un strat­a­gème igno­ble. J’étais alors, rap­pelons-le, déjà orphe­lin de père. Ils me con­vo­quent : « Mon enfant, une ter­ri­ble nou­velle, votre maman est morte. Ren­trez chez vous ». Je prends mon vélo et je pédale aus­si vite que je peux, à tra­vers mes larmes dont je n’imaginais pas qu’elles pou­vaient couler autant. Maman. Morte. J’arrive à la mai­son, et je la vois qui bine son potager. »

Rup­ture qui n’empêcha pas de renouer avec cette foi : Le Parisien évoque « l’ex­trême-onc­tion anticipée » — expres­sion qui dénote une cul­ture religieuse approx­i­ma­tive — que Jean-Marie Le Pen a reçue par l’in­ter­mé­di­aire de l’ab­bé Laguérie, qual­i­fié par le jour­nal d’ « intégriste ».

De Laurent Fabius à Jean-Yves Le Gallou

Lau­rent Fabius avait déclaré :

« Le Pen pose de bonnes ques­tions mais apporte de mau­vais­es réponses. »

C’est un peu l’at­ti­tude for­cée de cer­tains médias qui est résumée dans cette phrase. Ils ont bien dû con­venir qu’il avait été clair­voy­ant sur bien des points, en par­ti­c­uli­er l’im­mi­gra­tion, l’Is­lam et l’in­sécu­rité. Mais ils sont inca­pables d’en tir­er les con­clu­sions qui s’im­posent et qui sig­ni­fieraient une remise en ques­tion fon­da­men­tale de leur atti­tude à son égard, préférant se repos­er sur l’al­i­bi que con­stituent les pro­pos sur « le point de détail ». Or Jean-Yves Le Gal­lou, Prési­dent de Polémia, a oppor­tuné­ment rap­pelé, à pro­pos de la dia­boli­sa­tion qui mar­qua sa tra­jec­toire au fer rouge :

« La chronolo­gie est claire : la dia­boli­sa­tion de Jean-Marie Le Pen et du FN/RN débute (1983/84/85) bien avant l’af­faire du “détail” (1987). C’est un adju­vant de sa dia­boli­sa­tion pas sa cause ! »

Jean-Marie Le Pen con­clut le pre­mier tome de ses Mémoires par ces mots, qui frap­pent par leur justesse aujourd’hui :

« Si j’ai eu un sens, c’est de crier la vérité à temps et à con­tre-temps comme fit mon saint patron Jean le Bap­tiste, d’être la voix qui refuse le men­songe, la voix qui récon­forte et redresse le peu­ple des malades, des humil­iés, des offen­sés. La poli­tique, après tout, ce n’é­tait peut-être pas absol­u­ment mon truc. J’é­tais plutôt, com­ment dire ? Une vigie, une sen­tinelle, un lanceur d’alerte, un chien de tête qui flaire la crevasse où court l’at­te­lage, un emmerdeur, un prophète ? Une voix, qui crie dans le désert jusqu’à ce qu’il se remplisse. »

Jean Mon­talte

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