Le décès de Jean-Marie Le Pen, figure emblématique de la politique française, le 7 janvier 2025, a suscité une large couverture médiatique, comme on pouvait s’en douter.
Les vaillants soldats de l’antifascisme institutionnel ne se sont pas gênés, évidemment, pour souiller la mémoire d’un homme, sans se soucier d’une trêve qu’impose d’ordinaire la mort d’une personnalité publique. Bien plus, nous avons pu assister à des scènes de liesse d’une rare indignité, notamment Place de la République, où nous avons pu apercevoir – bon signe pour la neutralité du service public — Raphaël Gribe-Marquis, alias “DJ Monique Ninja”, producteur chez Radio France, en train de sabler le champagne. Ce dernier était aux côtés de Romain Chalendar, porte-parole du collectif communiste antisioniste et LGBTI+ Les Inverti·e·s. Également présent, Tarik Safraoui, employé chez Mediapart, fut aperçu.
« Vous n’aurez pas ma haine » à géométrie variable
Manon Boltansky, militante du NPA a, quant à elle, déclaré sur BFMTV, à propos de cette célébration nécrophagique :
« On a le droit de rire de ces choses-là. »
Conclusion, ces gens qui ont pour slogan « vous n’aurez pas ma haine » lorsqu’il s’agit de terroristes islamiques qui prennent des vies innocentes, s’en donnent à cœur joie lorsqu’il est question d’un opposant politique. Pas de meilleur rappel que celui de Jean-Marie Le Pen, qui dans un tweet à l’annonce de la mort de Jacques Chirac, écrivit :
« Mort, même l’ennemi a droit au respect. »
Même Sophie Primas, la porte-parole d’un gouvernement qui lui a toujours été hostile réagissant à ces rassemblements, a déclaré :
« Il a le droit au respect et sa famille, à nos condoléances républicaines. »
L’Huma ne refait pas la Une de la mort de Staline
L’Humanité a qualifié les hommages de certains médias d’ ”amnésiques”, pointant du doigt l’oubli des nombreuses controverses liées à ses propos jugés « antisémites, racistes et négationnistes ». Le journal communiste a titré : « Une vie dédiée à la haine du rouge. » Les internautes, sur les réseaux sociaux, n’ont pas manqué d’ironiser en déclarant y voir le plus bel hommage qui se puisse concevoir. Et de rappeler la une de ce même journal qui titrait, à la mort de Staline :
« Deuil pour tous les peuples, qui expriment dans le recueillement leur immense amour pour le grand Staline. »
Mediapart a également publié un article intitulé “Mort de Jean-Marie Le Pen : les hommages de la honte, le triomphe de la lepénisation des esprits”, critiquant une absolution médiatique et une réécriture de l’histoire. BFMTV, de leur côté, n’ont pas hésiter à traquer la désormais veuve de Jean-Marie Le Pen, avide de recueillir le chagrin d’une femme endeuillée sur le vif. Et Paris Match, qui a donnée, selon sa ligne éditoriale, dans le sensationnel, n’a pas hésité à publier une photo de Marine Le Pen, en pleurs dans l’avion lorsqu’elle a appris la nouvelle de la mort de son père.
Procès, médias et fausses nouvelles
Plusieurs médias ont également utilisé cette occasion pour rappeler les multiples condamnations judiciaires de Le Pen pour ses propos controversés. France Info a dressé une liste de ses condamnations, soulignant les « sorties de route et les dérapages » qui ont jalonné sa carrière. Le Figaro, de son côté, a retracé la carrière de Le Pen, le décrivant comme une “figure majeure et controversée de la Ve République”, mais n’a pas manqué de mentionner ses nombreux procès.
L’analyse médiatique a également porté sur l’impact de Le Pen sur les médias français. 20 Minutes a exploré comment Le Pen, de paria, est devenu un client régulier des médias, particulièrement après que François Mitterrand a décidé de lui accorder plus de visibilité médiatique dans les années 80, contribuant ainsi à la “berlusconisation médiatique” de la politique française. Il est bon de rappeler, à ce sujet, cette manœuvre odieuse : le 12 janvier 1992, une journaliste d’Antenne 2 annonce à Jean-Marie Le Pen, dans les coulisses, avant son passage dans l’émission L’Heure de vérité qu’une de ses filles est à l’hôpital pour le déstabiliser. Heureusement, le mensonge ne prend pas. Toutes les filles de l’homme politique étaient dans le public ce soir-là.
Vous avez dit normalisation ?
La notion de “lepénisation des esprits” a été largement discutée. Ce terme, introduit par Robert Badinter en 1997, décrit comment les idées de Le Pen ont progressivement infiltré le discours politique et médiatique français. Les médias ont exploré comment, même après sa mort, cette lepénisation persiste, avec des idées autrefois marginales devenant de plus en plus acceptées ou au moins débattues dans la sphère publique. Une partie de la couverture médiatique s’est concentrée sur la question de la « normalisation de l’extrême droite ». Des figures comme Éric Zemmour ont été citées dans certains articles, signalant que le débat sur la place des idées nationales dans le paysage politique français continue à prendre de l’ampleur, même après la mort de Le Pen.
La fracture des réseaux sociaux
Les réactions sur les réseaux sociaux ont été analysées par des médias comme 20 Minutes et Libération. La liesse publique dans certaines villes a été un phénomène inédit, souvent comparé à des célébrations de “libération”. Ce contraste entre célébrations et deuil a montré la division profonde dans la société française, que Le Pen avait parfaitement observée. Les médias ont malaisément navigué entre le respect des morts, la critique d’une ligne politique et d’une personnalité haute en couleurs, et la réflexion sur l’impact durable des idées exprimées par ce dernier dans la société. Cette couverture a révélé autant sur la France contemporaine que sur l’homme lui-même.
La Croix hurle avec les loups
Côté catholique ou supposé tel, Loup Besmond de Senneville a signé un éditorial pour le journal La Croix, intitulé : « Mort de Jean-Marie Le Pen : cinquante ans de fractures. » Dans cet éditorial, il rapporte une condamnation subie par Le Pen pour « avoir nié l’existence des chambres à gaz », ce qu’il n’a pourtant jamais fait. Il rappelle que si « Jean-Marie Le Pen se revendiquait catholique, » ce dernier « a pourtant entretenu des relations pour le moins difficiles avec l’Église catholique et sa hiérarchie. En 2002, alors qu’il franchissait pour la première fois la barre du second tour de la présidentielle, sa réutilisation des fameux mots de Jean-Paul II (« N’ayez pas peur, entrez dans l’espérance ») avait suscité la réprobation unanime des évêques, tout comme ces derniers avaient combattu longtemps son parti, identifié comme promouvant le rejet de l’autre. »
Pendant les cantonales de 1985, Jean-Marie Le Pen a répondu aux évêques et à leurs vapeurs d’encens dérisoires, dont l’éditorialiste semble se faire l’écho : « À gauche du parti radical, du Grand Orient et de la ligue des droits de l’homme, je vois quelques évêques. Ils sont en civil pourtant. C’est à ça que je les reconnais d’ailleurs. Ils ont le col roulé n’est-ce pas ? Alors eux, c’est le tir de barrage. Les attaques des évêques de gauche et d’extrême-gauche, c’est quand même rare, c’est à ma connaissance la première fois qu’ils montent au filet sur le plan politique. On les a pas entendu parler du goulag. On les a pas entendu condamner le génocide communiste en Afghanistan, ni au Cambodge. Et si vous vous mêliez de ce qui vous regarde, c’est-à-dire de ce qui touche à Dieu, au spirituel, à l’Eglise. Et si vous laissiez à gros gens que nous sommes le soin de nous occuper de la politique qui ne vous regarde pas plus que les autres. Vous n’avez pas plus d’autorité dans ce domaine que le dernier des citoyens et vous abusez de votre fonction en lançant l’anathème que vous lancez. »
Jean-Marie Le Pen raconte, dans des pages touchantes de ses Mémoires, sa rupture avec l’Église catholique :
« Nous avons rompu l’Église et moi quand j’avais 16 ans (…) C’était après l’été 44 (…) les prêtres du collège peinaient à me tenir, je ne supportais plus la discipline bras croisés. Bref, ils ont décidé de me virer et, comme j’étais à la fois costaud et rebelle, ils ont trouvé un stratagème ignoble. J’étais alors, rappelons-le, déjà orphelin de père. Ils me convoquent : « Mon enfant, une terrible nouvelle, votre maman est morte. Rentrez chez vous ». Je prends mon vélo et je pédale aussi vite que je peux, à travers mes larmes dont je n’imaginais pas qu’elles pouvaient couler autant. Maman. Morte. J’arrive à la maison, et je la vois qui bine son potager. »
Rupture qui n’empêcha pas de renouer avec cette foi : Le Parisien évoque « l’extrême-onction anticipée » — expression qui dénote une culture religieuse approximative — que Jean-Marie Le Pen a reçue par l’intermédiaire de l’abbé Laguérie, qualifié par le journal d’ « intégriste ».
De Laurent Fabius à Jean-Yves Le Gallou
Laurent Fabius avait déclaré :
« Le Pen pose de bonnes questions mais apporte de mauvaises réponses. »
C’est un peu l’attitude forcée de certains médias qui est résumée dans cette phrase. Ils ont bien dû convenir qu’il avait été clairvoyant sur bien des points, en particulier l’immigration, l’Islam et l’insécurité. Mais ils sont incapables d’en tirer les conclusions qui s’imposent et qui signifieraient une remise en question fondamentale de leur attitude à son égard, préférant se reposer sur l’alibi que constituent les propos sur « le point de détail ». Or Jean-Yves Le Gallou, Président de Polémia, a opportunément rappelé, à propos de la diabolisation qui marqua sa trajectoire au fer rouge :
« La chronologie est claire : la diabolisation de Jean-Marie Le Pen et du FN/RN débute (1983/84/85) bien avant l’affaire du “détail” (1987). C’est un adjuvant de sa diabolisation pas sa cause ! »
Jean-Marie Le Pen conclut le premier tome de ses Mémoires par ces mots, qui frappent par leur justesse aujourd’hui :
« Si j’ai eu un sens, c’est de crier la vérité à temps et à contre-temps comme fit mon saint patron Jean le Baptiste, d’être la voix qui refuse le mensonge, la voix qui réconforte et redresse le peuple des malades, des humiliés, des offensés. La politique, après tout, ce n’était peut-être pas absolument mon truc. J’étais plutôt, comment dire ? Une vigie, une sentinelle, un lanceur d’alerte, un chien de tête qui flaire la crevasse où court l’attelage, un emmerdeur, un prophète ? Une voix, qui crie dans le désert jusqu’à ce qu’il se remplisse. »
Jean Montalte