Il est difficile de faire un mauvais film avec le scénario inspiré de Balzac, l’ascension du jeune Lucien de Rubempré, venu chercher la gloire littéraire à Paris depuis son Angoulême natale, qui trouvera dans le journalisme, argent, mensonges, prévarication, renommée, avant de sombrer par les vices qui avaient permis son apparente ascension sociale. Avec sa pléiade de vedettes (Depardieu, Balibar, Vincent Lacoste), le film de Xavier Giannoli se laisse regarder gentiment, mais le véritable intérêt est la comparaison entre deux époques, celle de la Restauration et la nôtre.
Un film en costumes
Avec un gros budget de 19M€, le décorateur peut s’en donner à cœur joie. Il ne manque pas une dentelle, pas un jabot, pas un bas, pas un bijou, pas un fiacre qui n’évoque les années 1820/1830. Si le tout fait passer un moment agréable, les limites du genre de film en costumes se font sentir et la pellicule sur papier impeccablement glacé ne provoque que peu d’émotion en dehors des émouvantes rondeurs de Coralie (la charmante Salomé Dewaels), la maîtresse de Lucien.
1820/2021, réclame et brand content
Deux siècles nous séparent de l’époque. En 1820 les médias ne sont constitués que par la presse écrite avec une révolution technique : l’ancêtre de la rotative, inventé par les allemands, permet une impression plus rapide, des coûts réduits et une plus grande diffusion. C’est aussi le début de la publicité ou plutôt de la réclame pour les pilules pour le foie, la crème miraculeuse qui rajeunit ou les spectacles de théâtre du boulevard du crime.
C’est également le règne de la corruption, les articles sont achetés à l’avance pour louer ou assassiner tel livre, telle pièce de théâtre, tel produit, tel personnage. Une comparaison avec le « brand content » s’impose ici. Le brand content c’est un article commandé par une entreprise ou une association ou un individu pour associer de manière positive un produit, une idée, un projet dans un article ou une vidéo ou un podcast audio dont l’apparence est neutre et dénuée d’esprit publicitaire. La différence avec l’achat pur et dur en liquide des articles des journaux libéraux ou royalistes de l’époque apparaît au fond assez faible. Des deux côtés on produit sur la commande d’un donneur d’ordre qui paie et sous couvert de journalisme ; à ceci près qu’en 1820 les rédacteurs ne faisaient pas de leçons de morale.
Si les différences d’environnement technique à deux siècles de distance sont évidentes (apparition de la radio, de la télévision, du digital, vitesses de production et de diffusion des contenus etc), les ressemblances ne manquent pas. Le souci de l’immédiat, du scandale, de la polémique (du buzz de nos jours), l’influence des actionnaires, l’entre soi, l’argent et le faux-semblant omniprésents, sont communs aux deux époques. La scène clé du film est sans doute ou celle où le jeune Lucien de Rubempré (Benjamin Voisin, très vraisemblable dans le rôle) est sacré journaliste par le directeur de sa publication, Le Corsaire-Satan :
« Au nom de la rumeur, de la fausse information, de l’absence de principes, je te baptise journaliste », au champagne et dans un éclat de rire général.
Tout ressemblance avec un des 230 portraits de journalistes que nous avons publiés serait purement fortuite et due au hasard
Illusions perdues, d’après Honoré de Balzac, film de Xavier Giannoli, 2h29, 2021. Mieux : lire ou relire Illusions perdues, Balzac, folio classique, 956 p., 9,90 €