L’Institut National de l’Audiovisuel, entreprise publique culturelle de l’audiovisuel chargée de la sauvegarde, de la valorisation et de la transmission de notre patrimoine audiovisuel et financé par la redevance, a lancé en mars dernier une revue papier, INA Global. Celle-ci fait écho à la revue numérique éponyme (www.inaglobal.fr) qui prend petit à petit sa place sur la toile depuis 2010. Analyse des deux premiers numéros et de son positionnement.
L’aventure INA Global débute avec le lancement du site en 2010. Elle se donne pour mission d’être la revue des industries créatives et des médias, de décrypter leur fonctionnement et de couvrir, toujours avec du recul, leur actualité. Grâce à un réseau international de 400 experts, la revue numérique trouve peu à peu un public jeune (plus de 70% des lecteurs ont moins de 34 ans), des étudiants ou des actifs, chercheurs, enseignants et professionnels des industries concernées. « Nous sommes particulièrement bien placés pour observer ce qui se produit dans les médias, puisque l’INA collecte l’ensemble des contenus médiatiques », justifie François Quiton, responsable éditorial de la revue.
Positionnement
Fort de cette position de carrefour, l’entreprise lance donc une formule papier, notamment pour toucher un public plus âgé. Elle ne concerne que les médias, délaissant les industries créatives et s’adresse d’ailleurs directement à ses professionnels : « les médias sont partout […] il est donc urgent de réfléchir à nos métiers » peut-on lire dans l’édito du premier numéro. Mais mise en vente en librairie, elle peut théoriquement être lue par tous. Quant au credo, c’est le même que pour le site : « nous voulons travailler sur le temps long, chercher le recul et donner de la perspective à l’actualité, que nous ne commentons donc pas à chaud », comme l’expliquait Mathieu Gallet, alors à la tête de l’INA.
Cette revue trimestrielle n’est pas vraiment un magazine, mais un « mooc », ce nouveau format hybride, à mi-chemin entre le livre et le magazine, de la taille d’une tablette et qui a vocation à rester dans une bibliothèque. Dense, d’un très bon niveau intellectuel, il fait intervenir de nombreux experts et journalistes, leur donnant la place pour développer leurs propos. Nous vous proposons une analyse succincte des deux premiers numéros, sortis en mars et juin dernier.
Des points de vue
D’abord la première partie, à nos yeux la plus mitigée, celle de courtes interventions, où des auteurs donnent leurs avis. Certains ne sont pas très originaux, d’autres sont intéressants, tel cet aveu dont l’Ojim se fait régulièrement l’écho : « les 14 écoles de journalisme reconnus par les professionnels de la profession encouragent par leur conformisme, la reproduction du système et de ses outils formatés ». D’autres, moralistes, tombent comme un cheveu sur la soupe dans cette revue s’intéressant plus à l’infrastructure des médias qu’à leur superstructure. On se demande donc un peu ce que font le billet de Xavier de La Porte sur le point Godwin ou celui d’Olivier Wickers sur « des journalistes impuissants face au Front ». D’autres mises au point sont en revanche beaucoup plus à propos, tel le cas d’Ignacio Cembrero, journaliste espagnol qui a démissionné d’El Pais après sa mise au placard pour un article qui n’a pas plu au Maroc.
Un dossier pluridisciplinaire
Classiquement, chaque numéro comporte un dossier. Particulièrement intéressants, fouillés, ils valent vraiment la peine d’être lus. « Écran(s) mon amour » et « Temps politique, temps médiatique » analysent avec pertinence les aspects historique, économique, sociétal, technologique, philosophique et bien sûr numérique, de ces thèmes sur nos vies.
Ils s’adressent par contre à un public averti et cultivé, les auteurs étant tous ultra spécialisés dans leur domaine. Dans le premier numéro, l’histoire de la chaîne d’Al Jazeera est passionnante, mais nécessite une bonne connaissance de l’histoire et de l’actualité du Proche et Moyen Orient. L’auteur, Gilles Kepel, démontre à quel point Al Jazeera a été créé dans un clair but de propagande. Par extension, cela pose évidemment la question de savoir d’où parlent les autres médias. Il explique également comment la chaîne qatarie, non contente d’avoir contribué au déclenchement des révolutions arabes, les ont placées dans les mains des Frères Musulmans qui ne les avaient pas initiées. Et comment le discrédit de cette mouvance islamiste se répercute à son tour sur la chaîne…
Le dossier du deuxième numéro sur les temps politique et médiatique comporte également quelques excellents articles. Notamment celui de Jacques Gerstlé sur le couple information-communication, se terminant par « aujourd’hui c’est un fait, les stratégies d’information peuvent s’avérer plus influentes que les stratégies de communication contrôlée ». Une conclusion qui pose bien des questions, car s’il y a stratégie d’information, c’est qu’il y a un but à atteindre en délivrant ou pas l’information. Quel est-il ? De qui émanent les choix de cette stratégie ?
Le dossier évoque aussi les journalistes à l’époque de Twitter et du temps court. L’interview de Franck Louvrier, conseiller pendant 15 ans de Nicolas Sarkozy propose un excellent éclairage sur les rapports entre médias, communication et politique pour finalement expliquer comment le numérique, les chaînes d’informations en continu et les réseaux sociaux impactent nos institutions et nos modes de vies.
À ne pas manquer également le passionnant article d’Yves Citton, qui instaure, en 11 principes, les médias comme fait politique. Selon l’auteur, il est temps d’accepter que nous ne sommes pas dans une démocratie, mais dans une médiarchie. Il distingue notamment le peuple des publics, relate la course à la synchronisation entre le moment où l’information est émise et celui où elle est reçue, course que nous entreprenons depuis le XVIIIème siècle. Et développe la capacité d’attente comme moyen d’action au sein de la médiarchie, afin de susciter quelque peu de « médianarchie ».
Photos
Un important portfolio orne chaque numéro, avec quelques lignes de leur auteur pour expliquer le contexte des photos et sa démarche au moment de les prendre. Le photoreporter Ammar Abd Rabbo expose ainsi son intéressant point de vue sur « la presse kalachnikov », cette presse qui ne s’intéresse qu’à des clichés de combats pour illustrer et parler de la guerre, alors que tant d’autres dimensions pourraient êtres abordées.
Entretiens
La revue offre aussi l’occasion à des personnalités de s’exprimer. Bernard Stiegler expose par exemple le rôle des puissances publiques dans le développement du net, qui n’est absolument pas anodin. Les géants Facebook, Google et Amazon, ont ainsi bénéficié de la volonté tenace du gouvernement américain de les favoriser et de les soutenir. Une démarche qu’est loin d’adopter l’Union Européenne. D’autres interviews sont moins lumineuses, celle de Bruno Latour concernant le média comme mode d’existence se lit ainsi difficilement.
Conclusion
Une revue qui a l’énorme avantage du mooc : elle laisse la place à une idée pour s’exprimer. Ammar Abd Rabbo remarque d’ailleurs dans le premier numéro que l’information spécialisé, fouillée et pertinente ne se trouve plus que dans une presse sélective et élitiste, type XXI. C’est en effet ces mooc qui sortent de la boucle habituelle de la presse, prennent du recul et livrent des informations passionnantes, auxquels le public adhère. L’INA Global est à lire donc, pour les fondus du fait médiatique.
Crédit photo : page Facebook INA Global (DR)
INA Global : « un autre regard sur les médias » http://t.co/uljZPUfIN9 cc @InaGlobal via @ojim_france pic.twitter.com/GRT4y5LX8a
— Claude Chollet (@ClaudeChollet) 31 Août 2014