Un des mots de l’année 2018 restera fake news (infox en français). Depuis les « mauvais votes » du Brexit, de la victoire de Donald Trump ou celle de Salvini/De Maio en Italie les grands médias et le camp libéral libertaire ont trouvé une justification et une cible. Une justification pro domo : ils ne sont pour rien pour leurs défaites, le camp du Mal aurait trompé le peuple abusé dans son vote par les fausses nouvelles. Une cible : pour que le Mal ne se propage pas, le camp du Bien doit protéger le peuple des mauvaises informations par un cordon sanitaire législatif (Allemagne, France) et la collaboration active de l’appareil de censure des nouveaux acteurs des réseaux sociaux, les GAFAM. Hélas, les grands médias eux aussi propagent régulièrement de fausses nouvelles. Un exemple en Allemagne au Spiegel.
Der Spiegel : miroir moral libéral
Le Miroir (Der Spiegel en allemand) est l’hebdomadaire allemand le plus connu et le plus vendu. Libéral, progressiste, pro-Bruxelles, il revendique plus de 700.000 copies vendues et plus de six millions de lecteurs en ligne, et a influencé les magazines français Le Point et L’Express. Il se présente comme une autorité morale, défenseur des libertés (Sturmgeschütz der Demokratie « artillerie de la démocratie »), spécialiste du journalisme d’investigation et de la vérification de l’information. Une sorte d’hybride entre l’anglais The Economist et le français L’Obs.
Der Spiegel inventait certaines enquêtes
Le nom de Claas Relotius, déjà célèbre en Allemagne avant cette date l’est encore plus fin 2018 mais à son corps défendant. Relotius, journaliste vedette du journal, avait été en 2014 « journaliste de l’année » de CNN (chaîne américaine elle-même connue pour sa vision biaisée de l’actualité) et récompensé de l’équivalent du prix Pulitzer allemand. Il avait reçu l’année d’avant le prix médias décerné par l’Association Suisse des journalistes catholiques (ASJC). Relotius, jeune journaliste de 33 ans avait eu son heure de gloire en exploitant des sujets à sensation : une femme qui suivait une à une les exécutions aux États-Unis, un adolescent syrien qui aurait déclenché la guerre dans son pays etc. Mais… au moins une douzaine de ces reportages étaient purement et simplement inventés de toutes pièces.
Retombées en cascade
L’affaire a été découverte par un confrère de Relotius, Juan Moreno, qui enquêtait en parallèle fin 2018 sur la caravane des migrants parcourant le Mexique pour rallier les États-Unis. Moreno a interrogé des protagonistes américains de l’affaire (supposés avoir été en relation avec Relotius) pour découvrir que ceux ci n’avaient jamais rencontrés le reporter. Depuis, une enquête interne tente de démêler entre ce qui a été purement inventé et ce qui pourrai rester du fond factuel. La presse suisse alémanique (NZZ an Sonntag, Sonntags Zeitung, Die Weltwoche, Reportagen) qui avait repris certains des articles de Relotius a annoncé vérifier ceux ci un par un. D’autres journaux allemands piégés (Die Welt, Die Tageszeitung, Neue Zürcher Zeitung) font de même.
Le rédacteur en chef du Spiegel, Steffen Klusmann a mis à pied deux éditeurs Ulrich Fitchner et Matthias Geyer. Le premier avait « découvert » Relotius et le second était son supérieur direct. Mais c’est tout le service société du journal qui est touché et sa crédibilité durement entamée et pour longtemps. La Columbia Journalism Review, sous la signature de Craig Silverman, avait admiré en avril 2010 la « plus grande équipe de vérification des faits » employant alors 80 personnes à plein temps. Comme les Décodeurs du Monde, Der Spiegel avait soigneusement oublié de balayer devant sa porte.