Libération, Le Monde et Le Courrier picard (80) sont les derniers exemples en date de la difficulté des entreprises de presse à gérer leurs troupes en temps de crise. Il s’agit de trois exemples saisissants d’une profession journalistique rongée par deux maux principaux.
Primo, son manque d’adaptation et de souplesse vis-à-vis du monde qui l’entoure (et dont elle est censée raconter et décrypter l’évolution) est souvent flagrant. Certains parleront même d’archaïsme. Secundo, son corporatisme se vérifie régulièrement. Parmi d’autres reproches, ces défauts, pointés du doigt par le sondage annuel de La Croix sur la crédibilité des médias (63% des Français n’ont pas confiance en eux), ne semblent pas prêts d’être gommés.
L’exemple du quotidien de gauche Libération est un cas d’école. Si la rédaction est évidemment fondée à douter de la surface financière de son actionnaire de référence, Bruno Ledoux, elle le pilonne sur l’ensemble de son projet de relance. La Planète Libé, qui agrégerait autour du journal et de sa marque très forte un centre culturel, un restaurant, un réseau social, une télévision, n’a pas l’heur de plaire aux rédacteurs. Ils martèlent quotidiennement dans les colonnes du titre (aux frais de leur employeur) qu’ils sont des journalistes et rien d’autres. Cet écosystème n’a pourtant rien d’original et encore moins de révolutionnaire. Il existe au Royaume uni, en Espagne et en Allemagne notamment. Il a ainsi permis au Guardian, à El Païs et au Tageszeitung (TAZ) de sortir la tête de l’eau. Faute de recettes alternatives de diversification, Libération lui plonge avec une baisse de sa diffusion de 15% (DSH OJD 2013 : 104 329 exemplaires) et des pertes de deux millions d’euros en 2013.
Le Monde connaît sa plus grave crise depuis le rachat du groupe en novembre 2010 par le trio Bergé-Niel-Pigasse, avec la démission en bloc de sa rédaction en chef le 6 mai. Si les griefs de défaut de management, et de manque de vision et de leadership de la directrice du journal, Natalie Nougayrède, sont mis en avant, c’est en premier le plan de mobilité interne de 57 postes qui a mis le feu aux poudres. Considéré par les syndicats comme un guichet de départs déguisé, cette réorganisation, annoncée en mars et évidemment tournée vers un renforcement du numérique, fait peur aux journalistes du Monde. Et pour cause. Ils sont encore très majoritairement tournés vers le quotidien papier, qui a perdu 4,6% de sa diffusion en 2013 et est passé sous la barre des 300 000 exemplaires.
Le blocage au Courrier picard depuis le 5 mai, est quant à lui symbolique du corporatisme ambiant. Il fait fi des questions de hiérarchie. Après le licenciement pour faute grave du chef d’édition de l’agence de Beauvais, 90% des quelques 80 journalistes du quotidien du groupe Voix du Nord se sont mis en grève. Tout en reconnaissant la faute du cadre (il a injurié des membres du CHSCT), ils demandent sa réintégration.
Persuadés (souvent à raison) d’être des garde-fous indispensables de la démocratie, et d’être donc intouchables, les journalistes de presse écrite semblent jouer un jeu suicidaire. L’exemple du quotidien La Tribune, pur web depuis 2012, avec à la clé la suppression de plus de deux tiers des effectifs, devrait pourtant les pousser à réfléchir. France soir, qui employait encore une centaine de rédacteurs au milieu des années 2000, a lui purement et simplement arrêté de paraître en 2013, en format papier puis digital.
Crédit photo : alainbachellier via Flickr (cc)