Mise en lumière par les soupçons pesant sur le journaliste de BFMTV Rachid M’Barki, l’existence supposée d’ingérences étrangères au sein des officines de presse française a engendré la création d’une commission d’enquête à l’Assemblée nationale visant à en déterminer la nature. Retour sur les origines de l’affaire qui a soulevé la suspicion…
Aux origines du doute : un soupçon d’ingérence marocaine
C’est au début du mois de février 2023 que le magazine Politico révèle les Soupçons d’ingérence [qui planeraient] à BFM. Au cœur de l’affaire, le journaliste Rachid M’Barki, qui sera licencié à la fin du même mois, fait l’objet d’une enquête interne pour avoir eu recours à des informations délivrées par un tiers et dont la diffusion dans son Journal de la nuit n’aurait pas fait l’objet des validations par l’intermédiaire des « circuits de validation habituels » de la chaîne. À en croire Politico, c’est d’abord à une influence étrangère marocaine vers laquelle se serait laisser orienter le présentateur : l’utilisation du terme de « Sahara marocain », alors même que le gouvernement français aspirerait à la neutralité sur ce territoire disputé entre le Maroc et l’Algérie, a soulevé la suspicion des médias français qui n’a pas tardé à faire étalage de l’affection portée par le journaliste à son pays d’origine. Si l’intéressé s’est largement défendu d’être « un petit télégraphiste » au service d’une nation qu’il qualifie de « grand pays, souverain, et qui n’a besoin de personne pour défendre ses intérêts », la défiance à son égard a également été soulevée par une enquête, « Story killers : au cœur de l’industrie mortelle de la désinformation », menée par le « consortium » Forbidden Stories avec le soutien de médias français.
Des enquêteurs… sous influence ?
Avant de s’intéresser à l’enquête à l’origine de telles révélations, il convient de se pencher sur ses auteurs. Forbidden stories, « projet à but non lucratif », entendrait « faire vivre le travail des reporters menacés, emprisonnés ou assassinés et de s’assurer qu’un maximum de personnes ait accès à une information indépendante sur des sujets aussi importants que l’environnement, la santé, les droits de l’Homme ou la corruption ». Une perspective généreuse, défendue financièrement par des « organismes philanthropiques » et les dons du public. Parmi ces institutions, l’américaine National Endowment for Democracy, l’Open Society Foundations de Georges Soros ou la californienne Skoll Foundation laissent peu de doutes sur le fait que les financeurs de telles enquêtes ne défendront pas les gouvernements jugés par les puissances occidentales comme non démocratiques, à l’image de l’Iran ou de la Russie. Si cette structure déclare « qu’aucun donateur ni aucune institution n’influence le travail journalistique de Forbidden Stories », il apparaît néanmoins peu probable qu’un tel consortium décide par exemple de mener l’enquête, par exemple, sur les réseaux de Georges Soros au sein du Parlement européen au risque de se voir retirer leurs financements. Exalter une absence totale d’influence relève dès lors de la gageure.
Une officine israélienne à la manœuvre
L’enquête de Forbidden stories à l’origine de la chute de Rachid M’Barki (licencié le 23 février dernier) vise un domaine plus large : dans son enquête à plusieurs volets, Story Killers, Forbidden stories fait état d’institutions vendant des services d’influences, au service d’une véritable « industrie », selon les rédacteurs, destinée à « manipuler les médias et l’opinion publique, aux dépens de l’information et de la démocratie ». S’intéressant tout particulièrement à un vendeur d’influence israélien qui se fait prénommer « Jorge », les journalistes du Consortium évoquent la manière dont celui-ci se serait vanté de diffuser des informations pour le compte de clients et d’avoir œuvré sur « trente-trois campagnes présidentielles, dont vingt-sept ont été couronnées de succès ». L’enquête raconte enfin comment le journaliste de BFMTV se serait fait l’écho, par l’intermédiaire d’un « mercenaire de l’information » (Jean-Pierre Duthion) au service de ce genre d’agences, d’informations influencées. C’est Frédéric Métézeau, journaliste à Radio France enquêtant alors pour les Story Killers qui fera part au directeur de la chaîne Marc-Olivier Fogiel de ses soupçons sur son collègue du journal de la nuit.
« Team Jorge » : un instrument d’influence efficace
Située à Modi’in, près de Tel-Aviv, l’équipe de « Jorge », que les médias enquêteurs dénomment « Team Jorge », propose tout un panel de services passant du piratage de l’information à la création de faux comptes sur les réseaux sociaux comme le placement auprès de médias de séquences ou d’articles. La fameuse équipe, selon Forbidden stories, serait essentiellement composée d’anciens du renseignement israélien. Si l’on en croit les reporters, une telle publication « peut être facturée 20 000 euros au client, dont 3 000 seraient reversés en espèces au journaliste en bout de chaîne », explique France Info. Si, pour l’heure, Rachid M’Barki a nié (sous serment) avoir été payé pour diffuser une quelconque information, Marc-Olivier Fogiel, PDG de BFMTV, a annoncé le lendemain de l’audition du suspect devant les députés de la commission d’enquête que l’intermédiaire « Duthion a[vait] essayé de contacter d’autres journalistes de BFMTV après le départ de Rachid M’Barki […] pour leur proposer d’autres types d’informations […] qui n’ont pas retenu leur intérêt […] À l’un (des journalistes) a été proposée une rétribution à ce moment-là ». L’enquête reste donc ouverte…