Pensant être passés maîtres es journalisme, Les Inrocks se sont pris les pieds dans le tapis en prétendant donner une « leçon de journalisme ». Cela se passait début novembre et c’était relayé par inrockstv. Bienvenue dans le pire des Inrocks.
Il y a peu, l’hebdomadaire de gauche libérale libertaire pour personnes d’un certain âge Les Inrocks faisait le buzz en publiant une photo de Bertrand Cantat en Une. Il n’aura échappé à personne que cette Une visait d’abord à faire ce buzz, peut-être pour de banales raisons de trésorerie ou de diffusion. Ou bien pour financer cette étrange chose que Les Inrocks prétendent être une chaîne de télévision, inrockstv ? Un simple coup d’œil sur la page de la chaîne, en suivant le lien, montre combien l’hebdomadaire devenu télévision ne fait plus guère dans le journalisme. Plutôt dans la propagande bien-pensante des gens de son âge. Un zeste de prétendue rebelle attitude musicale, avec le groupe Marquis de Sade, un zeste de militantisme ultra-féministe en diffusant le clip « tu m’aimes, tu me respectes », un peu de pleurs liés aux migrations, ou encore un hommage à Drake quand il interrompt courageusement l’un de ses concerts pour demander les yeux dans les yeux à l’un des spectateurs de cesser de tourner autour des filles. Comme Drake n’est à ce moment précis entouré que de milliers de fans tout acquis à sa personne, il n’est pas difficile de mesurer le courage d’un tel acte. Sur inrockstv tout est à l’avenant. Une sorte de Télérama, en moins fin et plus militant. Et comme souvent, le militantisme et le journalisme ne font pas bon ménage. Ce n’est pas un Plenel qui nous contredirait. Comme Médiapart sur le plan politique et sociétal, Les Inrocks se pensent donneurs de leçons en matière de journalisme culturel. Et parfois plus.
La leçon de journalisme des Inrocks ?
Et comme Médiapart, Les Inrocks aiment bien la dénonciation de qui ne pense pas comme il faut. Au nom de la tolérance. Forcément. C’est ainsi que le 7 novembre 2017, la chaîne télévisée des Inrocks croit pouvoir donner une leçon de journalisme à Eugénie Bastié, l’une de ces journalistes que la presse de gauche a du mal à supporter. Jeune femme de droite, catholique, féministe intégrale, membre de la rédaction de la revue écolo Limite, la journaliste Eugénie Bastié a beaucoup de torts. Par exemple, elle écrit dans Le Figaro. On peut être femme, jeune, engagée, écologiste et… ne pas être de gauche. Pour Les Inrocks, c’est difficile à avaler. Alors, quand l’occasion de délégitimer la jeune journaliste se présente, le média pense ne pas la rater en « repérant » une « leçon de journalisme » qu’elle aurait reçue lors de l’émission L’heure des pros du 3 novembre 2017, sur CNEWS. L’émission est en ligne sur le site inrockstv : Quand Pascal Praud et Eugénie Bastié prennent une leçon de journalisme.
Elle est consacrée au « nouvel antisémitisme en France », dans le cadre du procès Merah. Selon Les Inrocks, « le docteur en sciences politiques Clément Viktorovitch est subitement devenu un héros sur Twitter (sic !), pour avoir donné une leçon de rigueur journalistique à la journaliste du Figaro Eugénie Bastié et au présentateur Pascal Praud ». Ce monsieur aurait, « alors que ses acolytes s’égaraient dans des considérations inexactes (…) mis les points sur les i » sur plusieurs sujets. Notamment, à propos de Merah dont il affirme, pour contredire ses interlocuteurs, que jamais il ne « s’est revendiqué de la lutte pour les territoires palestiniens ». Et notre docteur de s’enflammer : « On est des journalistes autour de ce plateau, on est là pour donner des informations précises ! Si on ne sait pas, on ne sait pas, on ne dit pas ». Intervention saluée, selon Les Inrocks, sur les réseaux sociaux comme un acte de lutte contre « les faux experts ». Entendez la journaliste du Figaro Eugénie Bastié.
Les Inrocks ou l’arroseur arrosé
Sauf que inrockstv devrait changer de stagiaire. Pourquoi ? L’affirmation selon laquelle Merah n’aurait jamais évoqué le conflit israélo-palestinien, assénée avec vigueur par un docteur en sciences politiques qui est aussi journaliste et chroniqueur, c’est-à-dire de ces « experts » régulièrement invités sur les chaînes d’information en continue que Les Inrocks entendent dénoncer en s’en prenant à Bastié, cette affirmation est un mensonge grossier.
Que disait-il exactement à l’encontre de son interlocutrice ? Ceci : « Deux précisions sur tout ce qui a été dit. Sur ces sujets-là, il faut faire attention à ce que l’on dit. À titre personnel, je n’ai jamais vu de déclarations de Merah disant sa sympathie pour le peuple palestinien. Alors, peut-être qu’il y en a mais je ne les ai pas vues passer. Ce serait intéressant de vérifier ». Réaction de Bastié : « S’il s’est attaqué aux Juifs, pourquoi alors ? ». Notre docte spécialiste de rétorquer : « Ce n’est pas pareil ça, c’est très différent ». Bien. Mais alors ? Le fait a été rapporté par de nombreux médias, l’article le plus précis à ce propos étant celui d’Actualité Juive qui se conclut ainsi, non au sujet des propos d’Eugénie Bastié mais de ceux de Clément Viktorovitch : « Or, c’est totalement faux. Non seulement Mohamed Merah était sensible au conflit israélo-palestinien, comme l’a affirmé à de nombreuses reprises son frère Abdelkader, mais en plus, celui-ci avait cité la cause palestinienne parmi les raisons qui l’ont poussé à commettre ses crimes. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Claude Guéant, avait témoigné à la presse des revendications de l’assassin, parmi lesquelles « le sort réservé aux Palestiniens sous l’occupation israélienne ». Ces éléments ont été largement rappelés lors du procès qui s’est déroulé le mois dernier. Cette Fake News a ensuite été reprise par le site des Inrocks, lors d’un article consacré à ce duel télévisuel, assurant que le chroniqueur a donné une « leçon journalistique » à la journaliste Eugénie Bastié. « Clément Viktorovitch a mis les points sur les « i » en faisant un peu de fact-checking : non Mohammed Merah n’a pas soutenu les Palestiniens », ose écrire le/la journaliste qui n’a pas signé son article. Au vu du torrent de réactions des internautes, cet élément a fini par être supprimé de l’article et Viktorovitch par admettre s’être trompé à demi-mot, préférant se cantonner à une autre partie de son argumentaire qui reprochait à la journaliste d’avoir évoqué l’UOIF (Union des organisations islamiques de France) comme « majoritaire » chez les musulmans. C’est ce qu’on appelle un arroseur arrosé ».
On ne peut pas sans cesse dénoncer le fait supposé d’une France pratiquant l’essentialisme, par exemple post-colonial ou misogyne, et pratiquer soi-même la dénonciation approximative d’une journaliste sous prétexte qu’elle n’est pas de gauche. À essentialisme, essentialisme et demi ? Nous n’avons pas eu le temps de vérifier mais sans doute le Decodex du Monde considère-t-il Les Inrocks comme un média fiable ?
Crédit photo : logo Les Inrocks TV. DR