Première diffusion le 14/10/2022.
Seconde partie. En près de trente années d’existence, cette organisation a étendu ses activités dans près de 180 pays et revendique un réseau fort de plus de 150 000 journalistes. Une puissante machine de formation et de mise en réseaux des journalistes dont on parle peu en Europe. Éclairage sur l’ICFJ, un bras incontournable de la force de frappe médiatique US au plan mondial.
Guerre de l’information contre la Russie
Sans surprise, l’ICFJ est également très actif dans la guerre de l’information menée par les puissances occidentales contre la Russie. Et là aussi, le centre de formation washingtonien voit dans son activité un rôle « vital ».
Dans un document publié le 31 août dernier, l’ICFJ a tenu à faire un faire point sur son rôle dans la guerre de l’information depuis l’ « invasion brutale de l’Ukraine par la Russie » commencée six mois plus tôt.
Ces derniers mois, ce rôle a consisté en des soutiens financiers à des journalistes travaillant pour des médias ouvertement hostiles au président russe et basés non seulement en Russie et en Ukraine mais aussi dans des pays connus pour comporter d’importants éléments russophobes (Pologne, Kazakhstan et Kirghizistan).
C’est ainsi que l’ICFJ a par exemple financé à hauteur de 10 000 dollars un projet de cartographie militaire des « crimes russes » porté par trois salariés du groupe ISD (une agence de création numérique) en étroite collaboration avec le média ukrainien Slidstvo.
Dans la liste des douze projets soutenus par l’ICFJ, on trouve aussi le financement d’une plate-forme de mise en relation des journalistes de langue russe, la Discours.io Media Community, un site où se fréquentent environ 800 journalistes tous décidés à en découdre avec le Kremlin. Mais encore un soutien financier à la journaliste ukrainienne Anastasia Rudenko, qui s’occupe des « impacts écologiques de la guerre », une enveloppe de 3000 dollars à Nazira Darimbe, qui lutte « contre la désinformation russe » depuis le Kazakhstan.
L’ICFJ ne s’en cache absolument pas : son parti-pris dans le conflit est totalement ouvert et il met la main au portefeuille en conséquence. Pour ce qui de ces projets de soutien aux journalistes et aux médias traitant du problème russe, l’ICFL s’appuie principalement sur la Fondation John S. et James L. Knight.
Voir aussi : L’ICFJ : une pouponnière au service du « monde libre » américain. Première partie
La très généreuse Fondation Knight
Elle existe depuis 1950 et tient son nom des magnats de la presse John S. et James L. Knight, qui ont mis sur pieds une structure finançant chaque année des projets journalistiques à hauteur de plusieurs dizaines de millions de dollars — systématiquement plus de 100 millions de dollars par an depuis le début des années 2000, 123 millions en 2020 par exemple, alors que son budget est de près de 3 milliards de dollars par an.
Proche de grandes universités américaines, de plusieurs titres de presse par le bais de 18 « communautés » réparties sur tout le territoire des États-Unis, cette fondation est dirigée par Alberto Ibargüen depuis 2005, qui, avant de prendre les rênes de la Knight, occupait des postes à responsabilité au sein du Miami Herald et du El Nuevo Herald.
Alberto Ibargüen présente également un CV typique de ces hommes occupant de postes importants au sein de ces innombrables fondations nord-américaines à vocation « philanthropique ». Voici une liste, sans doute non-exhaustive, des structures dans lesquelles Ibargüen siège ou a siégé : les comités d’AMR Corporation (American Airlines), PepsiCo, AOL, Norwegian Cruise Lines, le Comité politique des Affaires étrangères du Secrétariat d’État, Conseil des Affaires étrangères ou encore l’Inter-American Dialogue. Des fils qui mènent tous aux structures de la projection US à l’étranger, que ce soit dans son versant privé ou public.
Les liens de la Fondation Knight avec l’ICFJ ne sont qu’un exemple de cette connivence entre le pouvoir US et de ce journalisme fier de son indépendance et de son combat pour le Bien. Un zoom sur les dirigeants et le réseau de l’ICFJ lèvent tout doute sur la réelle nature de ce centre de formation.
La fine équipe de l’ICFJ
Pour donner le ton, commençons par le président du comité des directeurs de l’ICFJ, Michael Golden, qui n’est autre que l’ancien vice-président de la New York Times Company, un homme de médias d’un anti-trumpisme frisant la pathologie.
Au sein du comité de direction de l’ICFJ, on croise aussi un des piliers de Bloomberg News, Matthew Winkler, mais aussi des dirigeants de société d’investissements comme Geer Mountain Holdings LLC (Jason H. Wright) ou encore Berman Capital Advisors (Wendell Reilly). Une des vices-présidentes est par ailleurs liée à la Fondation Scripps Howard, qui, sur le modèle de la Fondation Knight, s’occupe de soutien à grandes échelles de projets journalistiques.
Parmi les directeurs et conseillers de l’ICFJ, deux travaillent pour la désormais célèbre société McKinsey and Co. (Rik Kirkland, Frank Comes), une pour Facebook (Anne Kornblut), un pour Google (Richard Gringras), alors qu’on retrouve des journalistes de Politico, du New York Times, de la NBC et de la MSNBC, du Wall Street Journal et des profils passés par la prestigieuse John F. Kennedy School of Government, une chapelle formant les élites politiques américaines au sein de l’université de Harvard.
Éplucher les parcours des collaborateurs et des dirigeants de l’ICFJ donne de sérieux indices sur l’affiliation de cette organisation, mais rien ne peut rivaliser avec un simple coup d’œil à la liste des donateurs.
Les bienfaiteurs de l’ICFL, une belle brochette !
L’ICFJ a derrière lui un bataillon de donateurs bien garni et des plus prestigieux. Dans son rapport annuel de 2020, il a dressé la liste des bienfaiteurs ayant versé plus de 5000 dollars. On y trouve le Département d’État ainsi que l’Agence US pour le Développement international, mais aussi des entreprises privées. En voici une sélection : Facebook Journalism Project, Dow Jones/News Corp, Microsoft, Google News Initiative, Al Jazeera Media Network, Apple News, National Geographic, CBS News, CNN, Discovery, Fox, McKinsey and Company, Politico, The NYT Company, The Washington Post, Ernst and Young.
Des parrains qui ne sont pas moins prestigieux quand on se penche sur les organisations et les fondations finançant l’ICFJ : l’Organisation Mondiale de la Santé, Radio Free Asia, Freedom House, Stanford University, National Endowment for Democracy, Bill and Melinda Gates Fondation et Bloomberg Philanthropies.
La grande presse, les GAFAM, les papes de l’IT et des biotechs, les grandes universités américaines et les fondations en charge de la propagation des valeurs US, tous réunis pour aider le travail soi-disant bien intentionné de l’ICFJ, au service de… vous pouvez compléter.